samedi, mars 01, 2008

Un film bien abject

Depuis quelque temps déjà, j’ai Michael Haneke de travers dans la gorge. Je remettais à plus tard mes réactions sur le blogue. Trop de choses à dire, trop de gêne devant le culte que plusieurs cinéphiles lui vouent. Alors c’est aujourd’hui, probablement grâce à un mélange explosif de Sudafed et de café brésilien brûlé à point, que je me vide l’abcès.

Il y a presque deux ans déjà (ce que le temps peut passer vite !), je publiais un billet s’intitulant Un film bien assommant en référence au film Caché de Michael Haneke. Je demandais à quiconque de bien vouloir m’expliquer comment on pouvait apprécier ce film. Même si plusieurs l’avaient apprécié, personne n’avait expliqué pourquoi. Seulement, beaucoup plus tard, s’ajoutait un commentaire pas du tout dénué d’intérêt. Commençons donc par ce commentaire comme amorce avant de descendre en flammes Funny Games. Ah ben oui, parce que c’est la sortie prochaine de Funny Games 2 qui me fait sortir de mes gonds.

Egoteknik m’écrivait en décembre 2007 :

«dis moi antoine, il y a quelque chose que je ne saisis pas. Comment peux tu dire que parce qu'un plan est fixe c'est qu'il ne se passe rien ... Alors qu'au contraire, s'agissant de Caché, c'est ce fameux rien qui produit le suspens c'est dire le moment où l'action est suspendu. de plus l'action n'est plus seulement, pour l'exemple qui nous intéresse, suspendu, mais également reporté puisque ce qui semble s'apparenter au présent est en fait passé, puisque qu'on s'aperçoit qu'il s'agit dans le récit d'une vidéo inséré dans un magnétoscope. C'est là ou intervient la notion de diégèse. Si tu reconsidère le début du film, au fil du générique on entend des voix. De part le choix de la vidéo dans ce plan on apparente un premier temps le voix à quelque chose d'extra diégétique, c'est à dire qui n'appartient pas au récit. Pour faire simple, quand tu entends un piano dans un film, si le piano n'est pas présent dans le récit, c'est que le son est extra diégetique. Si tu vois dans la scène un homme joué du piano le son est diégétique. Bref, la mise en scène nous conduit a se poser la même question que les protagonistes c'est à dire qu'est ce que cette vidéo ?

Toute la question de caché réside dans cette suspension permanente entre le regardant et le regardé ; qui regarde ou plutôt qui se regarde, c'est la mise en abîme.

bref on pourrait discuter fort longtemps de caché, non seulement pour sa mise en scène mais aussi pour son écriture d'une présicion d'orfèvre. Comme tu as l'air avide de références et pour te réconcilier avec Haneke, je te conseille de regarder Funny Games beaucoup plus accessible pour apprivoiser ce cinéaste autrichien au combien brillant. Par ailleurs je te conseille aussi Lost highway de Lynch qui comporte quelques similitudes d'écriture (dans la forme) avec Caché et manifestement comme tu souhaitait voir eraserhead tu pourrais envisager une soirée Lynch ...

Pour conclure je reviens sur un des articles que tu publies dans ton blog. Même si il est vrai le mot auteur est parfois pompeux, je voulais signifier qu'il ne faut pas confondre ecriture de scénario et écriture cinématographique. Pour l'exemple d'Hitchcock, si il est vrai que je n'ai pas souvenir d'avoir vu un scénario signé de sa main, il a écrit chaque plan de toute ses scènes et ce avec une maniaquerie folle. Le moindre élément de ses films trouve une justification (même la couleur des taxis dans la mort aux trousses). Donc attention de ne pas tout confondre ! (quel rebat joie je fais). Voilà. Merci
»

Ce commentaire nous permet tout de suite de mettre une chose au clair. Je ne remets pas du tout en cause le talent d’orfèvre de Haneke. Par exemple, d’avoir eu l’idée de séparer à toutes les occasions possibles les acteurs agresseurs des victimes lors du tournage, c’est tout simplement génial. De cette façon les agresseurs ont effectivement l’air complètement déconnecté de l’affreuse réalité qu’ils engendrent. On peut relever tout ce qu’il y a de plus génial, mon problème à moi c’est ce qu’on pourrait appeler la «séduction douteuse» de Haneke. Dans Funny Games, bien entendu.

Le film commence. De mon bagage personnel, l’entrée me rappelle le premier plan à vue d’oiseau de The Shining de Kubrick. Toute la scène étrange où un jeune voisin maladroit vient emprunter des œufs est savoureuse. Les deux jeunes «voisins» ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les voyous d’un autre film de Kubrick, Orange mécanique.

Ensuite papa se fait casser une jambe et le cauchemar commence. D’accord. Premier élément inquiétant, les jeunes se moquent des victimes en donnant toutes sortes de causes bidons expliquant leurs gestes. Conclusion: Haneke se moque bien d’expliquer le mobile de ses bourreaux. Il n’y a pas de mobile. Haneke se moque aussi un peu de nous, les spectateurs.

Un peu de torture ici et là. Déjà, je n’en peux plus de voir la tronche de papa complètement paralysé par sa jambe cassée. Haneke n’a pas envie de raconter l’histoire d’un héros. Ça saute aux yeux, papa a encore une jambe sur laquelle sauter et toute la haine de voir sa famille maltraitée par des ptits connards, mais il reste complètement débile dans son coin. Haneke frustre les envies héroïques du spectateur. Papa va rester sur le divan et geindre.

Alors qu’on se demande où on s’en va avec tout ça, Haneke nous lance justement une bouée de sauvetage. Dans le cadre d’un «jeu», les agresseurs demandent aux victimes si elles pensent qu’elles vont s’en sortir et en plus l’un d’eux SE TOURNE VERS LA CAMÉRA et NOUS demande si nous pensons qu’elles vont s’en sortir. Mes méninges ce sont tout de suite mises en marche. J’avais vu Caché avant Funny Games. Dans Caché, il n’y avait aucune résolution de problème. Y aurait-il une résolution de problème dans Funny Games ? Non. Alors que me restait-il? Regarder des voyous sans mobile torturer une famille sans histoire pour me montrer que la violence c’est pas beau ? Pour me montrer que le cinéma ment en général, mais pas Haneke en particulier ? Pour me montrer le génie diégétique, extra-diégétique et indigeste de Haneke ? NON !

J’ai donc arrêté le film et j’ai fait avance rapide pour constater que je gagnais la «game». Les voyous s’en vont après avoir torturé les victimes à la mort et s’apprêtent à recommencer.

Quel est donc le but d’un tel exercice?

J’ai lu dans un article que «pour Michaël Haneke, il s'agit de dénoncer la violence et disséquer ses composantes. […] Il s'agit aussi de faire réaliser cette violence au spectateur. En effet, pour le réalisateur «nous sommes tous dans cette partie du monde très industrialisée et nous ne connaissons la violence personnelle que par les médias. Nous assistons à la déréalisation de la violence»».

Pour ma part, je suis très conscient de la déréalisation de la violence et je n’ai pas besoin d’endurer un film de torture pour me conscientiser. Je me range du côté de Wim Wenders, qui lors de la projection cannoise de Funny Games, avait quitté la salle et déclaré à propos du film : «Il fonctionne comme un cauchemar dont on ne peut pas s'échapper. Quand j'ai un cauchemar, je me lève parce que je sais que si je me rendors tout de suite, je vais retomber dans le cauchemar. Funny Games, c'est exactement ça. J'ai l'impression que c'est ce que voulait Haneke. En sortant avant la fin du film, je lui ai peut-être rendu justice

C’est exactement ce que je pense. Je pense qu’en sortant de la salle ou en arrêtant le film, on rend justice à Haneke. Sinon pour moi on est soit : naïf, sadique ou intello. Intello dans le sens où il faudrait tout rationaliser, intellectualiser, et ne plus voir que des intérêts esthétiques au film pour l’endurer.

Haneke a dit dans une entrevue : ««C’est brutal, mais éclairant. Je donne une gifle au spectateur en lui disant : Ah ! Tu es réveillé ! Coucou, c’est un film ! Et deux secondes plus tard, je lui prouve que je peux le séduire à nouveau. Ce que je lui montre à ce moment-là est désagréable. Mais sa curiosité fait de lui une proie facile. Puis il reçoit la deuxième gifle... et il me suit encore une fois. Et là je crois, je suppose qu’il ne comprend pas seulement intellectuellement : il commence à ressentir ce que c’est que d'être séduit. Dans le cinéma d’illusion, il paie pour oublier qu’il a signé ce contrat. Moi je lui montre qu’il paie pour un mensonge et qu’il est responsable de ce qu’il voit

Il faut croire que je ne suis pas facile à séduire ni une proie facile. Moi, il faudrait me casser les deux jambes pour m’immobiliser. Et vous? Êtes-vous comme papa à la patte cassée sur le divan? Vous regardez le spectacle en pleurnichant? À vous de le défendre! (Ou de vous défendre)


En passant, une interview intéressante donnée à Télérama en 1998. Cliquez ici

dimanche, février 03, 2008

Dialogues with Solzhenitsyn : a film by Alexander Sokurov

En épluchant les listes de DVD, je suis tombé avec étonnement sur Dialogues with Solzhenitsyn : a film by Alexander Sokurov. J’étais moins étonné de voir que le film était édité par Facets Video, de la dynamique cinémathèque de Chicago qui doit faire mourir d’envie bien d’autres institutions du genre. J’ai été étonné de nouveau en mettant le DVD dans mon lecteur lorsque je me suis aperçu qu’il ne s’agissait pas de dialogues posthumes… Soljenitsyne est encore vivant! Et Sokurov parle avec lui! Fascinant du début à la fin.

Dans la première partie, The Knot, Sokurov commence par dresser un sobre portrait biographique de Soljenitsyne à l’aide d’images. Ensuite, la seconde épouse de l’auteur, Natalia Svetlova, répond à quelques questions, notamment sur leur retour en Russie après plusieurs années passées aux États-Unis et sur la quasi-absence de reconnaissance de la part des Russes envers l’œuvre de Soljenitsyne.

Sokurov y va de son opinion tout au long du document visuel. Par exemple, «I don’t know about you, but I felt guilty. I felt guilty that we had [certainement il s’adresse aux Russes] nothing to receive him with, that we had nothing to give him».

Même s’il s’agit en quelque sorte d’un documentaire (philosophique), on y retrouve toute la poésie propre à Sokurov, ses leitmotivs visuels comme l’utilisation du noir et blanc, du monochrome, du flou, du brouillard, des plans fixes ainsi que la place donnée à la nature.

Le cinéaste s’introduit ensuite dans la vie de Soljenitsyne en l’accompagnant dans sa promenade quotidienne dans la nature. Il lui pose alors un certain nombre de questions banales et d’autres d’ordre philosophique. Cette balade rappelle étrangement un passage de August 1914, au deuxième chapitre, où l’étudiant Isaakii Lazhenitsyn se rend dans le jardin de Tolstoï pour poser une question au sage, alors qu’il faisait sa promenade quotidienne dans la nature.

Sur amazon.com The Dialogues with Solzhenitsyn (1998)


Voici des extraits que j’ai transcrits.

Sokurov insiste pour comprendre la cruauté humaine.

You see, all religions are against cruelty, all of them, but cruelty remains.
That’s what they’re for: so that man can have a shield, a brake. Repentance was so common in Russia. Now it doesn’t exist any more. Now you’ll never make anybody repent. I appealed for it in my article. Everybody just laughed. Whatever should repentance be for? When in some of my works I give way to my own repentance, the only result is : «Look, look, he himself is like this». No one thinks «Let me do it myself. I will try». [...] If it were only cruelty... How about greed? Is greed a lesser trouble than cruelty? Greed destroys the human race. Greed destroys everybody. Man can’t stop and say: «That will do. I’ve got enough. I’m perfectly satisfied».

To know is nothing. One has to let it into one’s heart. One may know anything. Some people know that God exists, even some scientists, some great physicists admit it, others don’t know. One knows, another doesn’t. No, it must be in the heart. One must live with it. Morality is not attained by knowledge. It is attained first in a child’s upbringing, then by a self-teaching. In this way, through experience.

Sur l’art

[…] And now you have to please millions. But their tastes aren’t developed. They are different. To please millions, quality decreases. But in fact, my idea is that in fact mass culture must not necessarily be low-level. Folklore is a proof. Folklore is a high-level art. And for the masses. [...] Folklore can attain, on one hand, a high level, and on the other, popularity. But in the art of today, this is not what matters in today’s art. It can, even remaining individual and professional, attain both a high level and mass accessibility. That can be attained. We mustn’t think that we are condemned to produce low-end rubbish.

-Is literature an emotional or a rational art?
Emotional. There are rational elements in it. There are even elements of scholarship, of analysis. But emotions must be there, otherwise it’s boring.
-So, literature is a structural art, by its nature, isn’t it? Is it close to architecture, if one wants to understand?
What is closer to? The prose is closer to architecture, you’re right.
-With its space, its laws, its freedom?
Its history. And the cinema, to the theatre?
-Nowhere. It goes nowhere
No to the theatre?
-It’s not an art at all.
Not an art? It’s wrong. It is an art. Must I convince you? This is an art. And in your works, it is an art.
-No, it just charms people. Charm is temptation. Charm is not love. It is temptation. Literature is an art.
[Silence de Soljenitsyne]

Which changes in the moral geography of man are irreversible?

Interesting. [...] I will answer you simply from a Christian point of view. The Christians believe everything is reversible, any sin, even any crime. While man is alive, he can understand and repent. In this respect, it is reversible. But you can’t repair anything. The result of your crime cannot be repaired. It’s in the past. Nothing to do. Only to grieve and to change. Still, Christianity appreciate it very much, this renewal of the soul, whenever it happens, even at the very end. This is Christianity. Otherwise, in our days, these turns of enlightenment become rare. One follows assuredly one’s wrong path. The Age tells him: «Go on». «Go on, everyone behaves so». This «everyone does» ossifies souls completely. People condemn themselves to complete perdition.

-Crime and punishment?

Yes it is, the punishment is that man can’t repent any more, lost in this stream and in this stream, he’s not even a person. The reason is: «Everyone does so». This is the most terrible idea.
Humilité

The higher power is always God, and those who cannot attain religious conscience, must have at least some humility towards existence. Remember the tree yesterday, each tree makes us stand in awe. And is it only trees? What about birds? Animals? Rivers? Mountains? Humility towards existence. Understanding our limitedness, our wretchedness. If not believing in God.

Le progrès

In general, mankind became so enthusiastic about progress, pushing forward with it ever since the Age of Enlightenment. But in reality, all mankind has won its spiritual emptiness. Only technology, civilisation, give-me-all, all the goods, now the Internet, the stream of information leaves no more air to breathe, the soul goes empty. The soul is empty, death is terrifying, nowhere to go.

-Art suffers pressure from progress.

Yes, you see, unfortunately progress did not, as we see it... The progress we know made its biggest steps in the last 4-5, no, 4 centuries. Before, it was very slow. Millennia went on slowly, with very few changes. But from the start today’s progress has overlooked the soul. The emptiness of the soul. People began to lose their soul to material growth, to civilisation. We have spoken of this.

Nouvelle passion

«Un passionné de cinéma et de beaucoup trop de choses...»

Je suis un passionné, que voulez-vous (à tendance autiste, diraient certains de mes amis). Depuis que je suis revenu au Saguenay, je me suis découvert une passion pour les plantes et surtout pour les arbres. J'ai même lancé un site web et un blogue sur le sujet des séquoias, ce qui explique en partie le peu d'activité sur le présent blogue. Oh j'ai des choses à dire, peut-être trop encore, comme un virulent billet contre le cinéma de Michael Haneke, mais ça ne saurait tarder puisque j'achève mon site sur les séquoias.

Si vous le visitez, notez que la très grande majorité des photos sont de moi.


jeudi, janvier 17, 2008

lundi, novembre 26, 2007

Le Herbert en moi

Mon sang irlandais semble refaire surface puisque non content d'aimer la bière noire et le whisky, je découvre avec autant de joie la musique traditionnelle irlandaise et écossaise. Ça me frappe de voir le nombre de chansons qu'ils ont composées pour leur libération. C'est vrai que nous n'avons pas été oppressés autant et aussi longtemps qu'eux, mais avons-nous une seule chanson de libération connue dans la francophonie canadienne? Il faut croire qu'on est bien avec l'occupant.

Deux vidéos sur youtube.

Seven Drunken Nights chantée par The Dubliners, illustrée par une animation amusante. Une chanson à boire, évidemment.



Si vous avez vu le film de Ken Loach, The Wind that Shakes the Barley, Darach Ó Catháin chante ici le classique en irlandais, vraiment touchant. On a l’impression d’entendre les échos lointains et plaintifs de la civilisation celte.

lundi, novembre 05, 2007

Ammmmateurs de Herzog

Voici un très très long article du The Observer sur Herzog et son dernier film que seuls les passionnés liront jusqu'au bout. Très intéressant.

L'intro:

Things happen on a Werner Herzog set: mutinies break out, actors' lives are threatened, crew members are beaten and thrown in jail in the wildest corners of the world - and all in pursuit of the 'ecstatic truth' about humanity. Daniel Zalewski joins the German director shooting his first Hollywood film in the Thai jungle.

Werner Herzog hastily cordoned off a swath of jungle with wooden sticks and yellow tape, like a cop marking a crime scene. 'Nobody will cross this line!' he announced. It was late August, and the German director had travelled to northwest Thailand, a few miles from the border of Burma, to shoot Rescue Dawn amid virgin rainforest. It was his first Hollywood-funded feature, and he was determined to stop what he called 'the Apparatus' - a squadron of make-up artists, special-effects engineers and walkie-talkie-carrying professionals who had been deployed to work with him - from trampling on yet another pristine thicket. Herzog, who typically works with a small crew and a minuscule budget, was pleased to have millions of dollars at his disposal, but he was not so pleased to have been saddled with more than a hundred collaborators. 'I do not need all these assistants,' he complained. 'I have to work around them.'

L'article complet

jeudi, novembre 01, 2007

Coq-à-l'âne ciné

Hé oui, Friedrich Wilhelm Murnau l'a dit il y a déjà longtemps:

«In each of my films I try to discover new artistic territory and find new forms of expression.
I feel that if a director succeeds in infusing his own being into a film, it will penetrate its audience. And I believe those films that do not concerns themselves with financial success point to the future of cinema».

C'est drôle à quel point ça rejoint exactement ce que disait Jean-Pierre Gorin en 2004:

«I really do believe that there’s two categories of filmmakers, there's the ones who are interested in the idiom and there are very vast number of them, and there's the ones that is more rarified who are interested in grammar».

Et ça rejoint un peu Deleuze «L'énorme proportion de nullité dans la production cinématographique n'est pas une objection: elle n'est pas pire qu'ailleurs, bien qu'elle ait des conséquences économiques et industrielles incomparables. Les grands auteurs de cinéma sont donc seulement plus vulnérables, il est infiniment plus facile de les empêcher de faire leur oeuvre. L'histoire du cinéma est un long martyrologe».

Sokurov va même jusqu'à dire que le cinéma n'est pas un art. Dans ses dialogues avec nul autre que Soljenitsyn, la discussion va comme suit:
Sokurov: It's not an art at all.
Soljenitsyn: Not an art? It's wrong. It is an art. Must I convince you? This is an art. And in your works, it is an art.
Sokurov: No, it just charms people. Charm is temptation. Charm is not love. It is temptation. Literature is an art.
Silence de Soljenistyn.

Finalement, pourquoi persiste-t-on à chercher quelque chose dans le cinéma?

Deleuze à la rescousse: «Le cinéma n'en fait pas moins partie de l'histoire de l'art et de la pensée, sous les formes autonomes irremplaçables que ces auteurs ont su inventer, et faire passer malgré tout».

Nous les Québécois, on se flatte et on ronronne

Un peu plus et je ne pouvais plus jamais vous parler faute de me souvenir de mon mot de passe sur blogger, c'est tout dire. Mais la scie à chaîne est bien affutée et le bois de poêle s'entasse dans le cabanon.

Pendant que je finalise ma propre critique tiède et trop gentille sur le film Comment survivre à sa mère (Surviving a bad comedy), je tombe sur cette «critique» de mon collègue indirect - par convergence - du Gournal (prononcez «gourrrr» comme dans gourde, gourer ou gore) de Mourrial où il dit par exemple:

«Les créateurs de Mambo Italiano font mouche à nouveau avec Surviving My Mother, une irrésistible comédie dramatique qui mélange habilement l’humour et le drame».

«On reconnaît dès les premières minutes le ton et l’efficacité des dialogues de Galluccio et la réalisation rythmée et dynamique de Gaudreault».

«Aussi, autant l’écriture et les gags sont plus fins et plus subtils, autant la réalisation est plus inspirée et plus poussée. Bonne idée, par exemple, ces messages textes échangés d’un cellulaire l’autre qui défilent sur l’écran».

Misère. À lire cette critique, on a l'impression qu'on va s'amuser et se délecter, pourquoi pas un mélange entre Woody Allen, Veber et Almodovar tant qu'à y être.

Et là je tombe sur cette autre critique d'Eddie Cockrell du Variety et je me dis, «mais c'est ça que je veux écrire!» Fouettez-moi le chat quelqu'un, que le minou Cottonelle sorte ses griffes!

In English, please.

Even more broadly played and annoyingly self-conscious than helmer Emile Gaudreault's modest-grossing "Mambo Italiano" (2003), "Surviving My Mother" is an all-over-the-map Canuck dysfunctional family saga that's a challenge to withstand. Call it "Canadian Ugly," a tediously faux-transgressive slog with nary an ounce of verisimilitude, risk or wit on view. Alliance Atlantis Vivafilm has no announced release plans after pic's Oct. 19 local bow, nor should the distrib look much beyond Quebec's borders for much save cable and disc deals.

Tired of the nonstop kvetching of her cancer-ridden mother (Veronique Le Flaguais), Clara (Ellen David) suffocates her in bed, then feels guilty about that. Vowing to get to know her own 21-year-old daughter Bianca (Caroline Dhavernas) better, mom has no idea her offspring's a Web-cruising nympho having a torrid affair with local priest Michael (Adam J. Harrington). Gaudreault's sledgehammer style crushes Steve Galluccio's leaden script, while talented Drew Carey cohort Colin Mochrie is wasted as affable paterfamilias Richard. Tech package is the sole reason to endure pic, sporting vet Pierre Mignot's crystalline lensing, Patricia Christie's fine production design and Gino Vanelli's "You Gotta Move."

Bon vous me pardonnerez, j'ai d'autres chats à flatter. Où est le papier de toilette... ah c'est le Gournal, ça va faire pareil.

mercredi, septembre 19, 2007

Ombres d'un poète

Sur le DVD de Criterion Le Sang d’un poète de Jean Cocteau, on retrouve dans les suppléments le documentaire Jean Cocteau : autoportrait d’un inconnu.

L’homme est extrêmement inspirant, son époque aussi, son œuvre. Cocteau vient d’une époque artistique en ébullition où les très grands esprits se rencontrent et s’influencent. Absolument fascinant de l’entendre parler, mais force est de constater au passage à quel point nous vivons à une époque beaucoup plus impersonnelle et insignifiante, celle de la mass culture.

Cocteau parle tout bonnement de ses amis et connaissances : Igor Stravinsky et Pablo Picasso, Erik Satie qui connaissait Debussy, Diaghilev, Mme Chanel mêlée dans l’ombre au ballet russe de Diaghilev, Nijinski, Jean Renoir, Chaplin, Raymond Radiguet, Modigliani et bien d’autres. Un tel brassage de génies, j’en suis bouche-bée.

J’ai pris le temps de mettre quelques extraits de ce documentaire par écrit. Une de mes citations préférées? Un poète se doit d’être un homme très grave et par politesse d’avoir un air léger, souvent, hélas, le poète est un homme léger qui prend l’air grave. Peu après l'avoir entendu, La Vie est un miracle d'Emir Kusturica me confirmait pleinement cette citation en traitant brillamment un sujet très grave avec un air léger.

Extraits

Quand un film n’a pas d’intrigue, quand on ne sait pas qu’au début il y a monsieur, madame et qu’à la fin monsieur tuera madame ou madame tuera monsieur, et bien il faut que chaque image soit très importante.

Ce film (Jean Cocteau : autoportrait d’un inconnu) sera une espèce d’ombre chinoise de ma vie. La mienne, hélas, ne pourrait se raconter ni prendre sous aucune forme allure anecdotique. C’est une longue lutte contre les habitudes, contre les autres, contre moi-même, un épouvantable mélange de conscience et d’inconscience, de désordre et de rigueur, une silhouette pareille à celle qu’on découpait au 18e siècle dans le papier noir.

Nous vivons nous-mêmes dans une énigme. Nous sommes les ouvriers d’une ténèbres qui nous est propre mais qui nous échappe. Cet homme profond nous le connaissons très mal, c’est notre vrai moi. Il est caché dans les ténèbres, il nous donne des ordres. J’ai décidé de m’enfoncer en moi-même dans ce trou terrible, dans cette mine inconnue au risque de rencontrer le grisou. Il y a un état de somnolence qui n’est pas le sommeil et une sorte de vérité qui sort de nous, et qui n’est pas le rêve ni la rêverie.

Ce qui est propre à Paris, c’est que des musiciens et des peintres, mettons espagnols et russes, peuvent être considérés comme des Français, par exemple quand je dis «Picasso, Stravinsky», je pense toujours que Picasso est français, que Stravinsky est français, c’est absurde mais c’est un fait. Et ensuite après Picasso, Matisse, Braque, Auric, Poulenc ont travaillé pour le ballet russe qui n’était plus russe que par ses danseurs.

Le Sacre du printemps me bouleversa de fond en comble, le premier Stravinsky m’enseigna cette insulte aux habitudes sans quoi l’art stagne, et meurt. Chez Picasso, l’insulte aux habitudes a quelque chose de religieux, elle ressemble aux invectives amoureuses que les Espagnols adressent à la madone si elle n’est pas celle de leur paroisse.

Un poète se doit d’être un homme très grave et par politesse d’avoir un air léger, souvent hélas le poète est un homme léger qui prend l’air grave.

Je ne suis qu’un intermédiaire, qu’un médium et qu’une main d’œuvre. Et tous les poètes sont des médiums et des main d’œuvre de cette force mystérieuse qui les habite, je ne me vante pas, je ne parle pas d’inspiration, l’inspiration ne nous arrive pas d’un quelque ciel, l’inspiration devrait s’appeler l’expiration, c’est quelque chose qui sort de nos profondeurs, de notre nuit et en somme un poète essaie de mettre sa nuit sur la table.

Il arrive qu’on se laisse envoûter par une atmosphère énigmatique, celle des rêves entre autres, et j’estime qu’une œuvre peut intriguer sans être comprise, attachée sans qu’on en fasse la preuve par neuf et trouver son équilibre sans être soumise aux disciplines de la règle d’or.

Je n’aime pas ce qui est poétique, j’aime la poésie, c’est-à-dire la poésie qui se fait toute seule, dont on ne s’occupe jamais.

Une œuvre d’art n’a d’excuse d’être que si elle est une solitude partagée par un grand nombre grâce au seul moyen qui puisse la rendre accessible aux autres.

Le film autorise ce phénomène extraordinaire qui consiste à vivre une oeuvre au lieu de la raconter et en outre à faire voir l’invisible, à rendre objectives les abstractions les plus subjectives. C’est pour ça que j’ai tellement aimé le cinématographe.

Mon œuvre résulte de graves calculs consistant à métamorphoser les chiffres en nombres et me range parmi ces donneurs de sang qui sont les seuls artistes que je respecte et dont la longue traînée rouge qu’ils laissent derrière eux, me fascine.

Le poète n’est autre que la main d’œuvre du schizophrène, dans le temps on aurait dit du fou, que chacun de nous porte en soi et dont il est le seul à ne pas avoir honte. Comme l’enfant, il n’a droit qu’au génie, le talent ne lui apporte qu’une base artisanale, ne lui sert qu’à sculpter l’ectoplasme qui coule de sa main, à mettre de la nuit en plein jour, à couper le cordon ombilical des monstres délicieux qui l’aident à venir au monde. Ne vous y trompez pas, ce schizophrène habite et hante même les artistes célèbres pour leur équilibre et leur robuste santé morale, disons les «ogres». Si j’osais me citer moi-même «Victor Hugo était un fou qui se prenait pour Victor Hugo».

jeudi, août 16, 2007

L'esthétique de la violence


J'attire votre attention sur une analyse publiée dimanche dans le New York Times, la thèse: depuis le film Bonnie and Clyde, qui marque une rupture, et d'autres comme The Godfather, The Wild Bunch et Reservoir Dogs, «The filmmakers seemed less interested in the moral weight of violence than in its aesthetic impact». Extraits vidéos à l'appui, article très intéressant.

Dites-moi, s'agit-il vraiment d'un extrait du film The Godfather dans la vidéo? Si oui, je suis dû pour le revoir car je n'ai aucun souvenir de ces images pourtant percutantes.

Murderous Movies