mardi, mai 21, 2013

La radio de Patrick Beauduin

Dans La Presse du 19 mai, Nathalie Collard commençait son article par ce paragraphe : "Quand la nomination de Patrick Beauduin a été annoncée à l'automne 2010, les commentaires n'ont pas tardé à fuser dans la grande tour du boulevard René-Lévesque: qu'est-ce qu'un publicitaire (il avait été vice-président à la création chez Cossette) connaissait à la radio publique?"

Je crois que la question se pose toujours. Quand je compare le cheminement d'un technocrate carriériste comme Beauduin à celui d'un homme comme Pierre Juneau qui avait fait son cours classique, qui avait été à la tête de l'ONF, d'un festival du film à Montréal, du CRTC et de Radio-Canada et qui était surtout amoureux de la culture au sens large, je me dis que les temps ont changé, et pas pour le mieux. Tout ce qui est culturel maintenant tend à être géré par des gestionnaires professionnels, diplômés, maîtres des règles, des politiques, des rouages et de la nomenclature de l''industrie" culturelle avec ses niches et ses courbes scientifiques. Et pas seulement les gestionnaires, même une cinéaste comme Chloé Robichaud a étudié à l'INIS "Pour me retrouver dans la vraie vie et avoir à négocier des budgets et des salaires avec des syndicats. Ça a l'air un peu bête, mais le cinéma est une grosse machine et il faut en connaître les rouages." On peut bien mettre les cours de littérature en option en arts. Étudions la gestion et la technique pour devenir de bons artistes.

Le pire, c'est que maintenant tout est sous le chapeau de plus en plus grand de la communication où règne le discours utilitariste, laudatif, univoque, crédule, naïf, aseptisé, etc., mais en subtilisant tout le discours de rébellion, d'originalité et de liberté. J'ai toujours cette image du jeune "rebelle" de la banlieue qui, pour bien marquer qu'il est hors du système, s'habille comme un ex-prisonnier des bas-fonds new-yorkais avec 1500$ de fringues de grandes marques sur le dos.

En réaction à cet article de La Presse, j'ai lu un commentaire très intelligent sur la situation à la radio de Radio-Canada et je tiens à le publier ici en gardant son anonymat pour le protéger.

"[...] il est important de mentionner le fait qu'à mon humble avis, la direction sans direction d'Espace musique est responsable de la démise de cette chaîne qui avait le potentiel de devenir la radio la plus allumée, amicale, excitante et branchée du réseau hertzien francophone pan-canadien. 

Malheureusement, le désir de "plaire à tout prix à une majorité de gens" et la peur de confronter les "valeurs établies et du ronron des tendances à la mode" tout comme son refus d'être à l'écoute de ses artisans et de ses auditeurs ont contribué à lui faire commettre un tas d'erreurs grossières tant au niveau de la programmation que de l'animation et la promotion résultant dans le fait qu'Espace musique est un constat d'échec sur toute la ligne au point que Patrick Beauduin considérait mettre fin à la chaîne telle que nous la connaissons. 

Contrairement aux dires et aux écrits de certains, faire de la "bonne radio" ne coûte pas cher: Il suffit d'engager des personnes de terrain au lieu de gestionnaires insipides et déconnectés et de leur faire confiance une fois que leurs mandats respectifs ont été clairement identifiés et ratifiés un point c'est tout! Nul besoin d'une équipe de 4 ou 5 personnes pour créer une émission que les auditeurs attendent avec impatience et plaisir. Un réalisateur/animateur impliqué et allumé qui fait sa propre recherche et qui signe de façon créeative et responsable le contenu des émissions qu'il programme lui-même fait non-seulement très bien l'affaire, mais coûte aussi 4 ou 5 fois moins cher qu'une équipe produisant une émission style-genre "recette de cuisine" peu originale, redondante et ennuyante allant dans le sens contraire du mandat de la radio publique sans tenir compte des goûts d'un auditoire toujours curieux de découvrir des sons, des contextes et des idées nouvelles.

Mettre fin à Espace musique n'est certainement pas la bonne solution. Par contre, retourner à la table à dessin et donner la chance à une radio publique humaine, amicale, intéressante, cultivée, artistique tout en étant amusante, éducative et accessible est un défi tout à fait possible en autant que les "gros fromages" de la SRC fassent preuve de sagesse et d'humilité en reconnaissant les erreurs qu'ils ont commis et qu'ils soient suffisamment ouverts pour donner la possibilité à Espace musique de devenir la chaîne qu'elle aurait pu et dû être depuis plusieurs années au risque de rappeler certains de ses animateurs/trices congédiés pour des raisons plus ou moins vaseuses et dont je fais malheureusement partie... Il me semble qu'une telle proposition serait beaucoup plus simple, logique et positive ainsi que dans l'intérêt de tous les fidèles de la RADIO PUBLIQUE car il y en a encore énormément. 

Saborder Espace musique à cause d'erreurs commises par une Direction déconnectée de ses artisans et de son auditoire serait cruel et malheureux alors qu'avec du savoir-faire et une attitude ouverte, tout est absolument possible!"

mardi, mai 14, 2013

Critique, dissidence, désertion



Un des meilleurs entretiens qu'il m'ait été donné de lire dans les dernières années. Inclusion, servitude volontaire, intellectuel justificateur, rebelle de service, animateur culturel, plasticiens, gavage, désensibilisation, triomphe de l'insignifiance, inculture... Quand Annie Lebrun parle de la culture aujourd'hui, j'ai tellement de flashs de journalistes, d'animateurs, de fonctionnaires, de critiques, d'intellectuels, de films, de cinéastes et autres artistes du Québec. Je laisse le texte vous évoquer vos propres références.

Voici mes extraits préférés, j'ai mis le lien vers l'entretien complet au format pdf à la fin.


« En affirmant « Nous n'avons pas de talent », eux [les surréalistes] qui en avaient plus que quiconque, voulaient prendre la plus grande distance avec la non-pensée artistique qui avait servi à couvrir une société s'étant révélée indéfendable. Le problème est que ce genre de proposition est aujourd'hui retournée pour justifier l'inculture et l'incapacité de gens qui, sous prétexte de « créativité », ne cherchent qu'à occuper le terrain. Dans le même temps, cette exaltation de l'ignorance fait prospérer une nouvelle génération cynique de publicitaires ou de « plasticiens » qui ont bien compris quel parti ils peuvent en tirer pour vivre confortablement. Faute de créer quoi que ce soit, cette nomenklatura impose une expression essentiellement pléonastique. »

« Le spectacle de la folie nous serait exhibé, dissuadant de toute dissidence ?
-Oui et de façon très habile. On pourrait ici parler d'inclusion par exclusion. D'autant que les choses se compliquent quand on est vivant et qu'on ne veut pas devenir fou. Car si l'asile était la meilleure arme des régimes totalitaires après les camps, nos sociétés ont tôt fait de vous enfermer dans une sorte de paranoïa pour peu que vous les considériez d'un oeil critique. En ce sens, Benjamin Péret avait prévu le piège de cette nouvelle escroquerie au poète maudit en déclarant que c'est désormais au poète de maudire le monde. Position, on l'imagine, des plus difficiles à tenir dans des sociétés où la servitude volontaire est devenue la chose la mieux partagée du monde, incitant chacun à jouer son rôle, fût-ce celui du rebelle de service. »

« Car le fait est qu'on ne vous paye jamais pour être libre. Ainsi me parait-il difficile d'avoir un rapport critique à ce monde, tout en étant rétribué pour y exercer un certain pouvoir. C'est aujourd'hui malheureusement autant le cas des intellectuels majoritairement universitaires que celui des artistes cherchant de plus en plus à être subventionnés. Du coup, il ne faut pas s'étonner que les intellectuels, à quelques exceptions près, aient de moins en moins de scrupules à se faire les justificateurs de ce qui est, quand les artistes se laissent réduire au rôle d'animateurs culturels. Il n'y a pas d'un côté la vie et de l'autre la pensée ou l'art. Telle est pour moi l'inconséquence majeure à l'origine de l'actuel triomphe de l'insignifiance. D'autant que, même s'il est difficile d'échapper à l'actuel quadrillage du monde intellectuel et sensible, rien ne peut s'inventer dans les enclos du pouvoir. »

« Comme si, à un moment, le refus d'obligation d'être devait se transformer en une nouvelle identité qui devient une autre obligation d'être. Là est le danger de toute revendication identitaire toujours en proie d'être relayée par un désir d'insertion sinon de pouvoir. »

« Un des principes du monde qui nous est imposé est l'inclusion, ce qui n'existait pas auparavant. Cette nouvelle forme de servitude volontaire est ce que j'appelle la « différence intégrée ». Vous êtes différent, parfait. On vous reconnaît comme tel. Mais cette reconnaissance équivaut à la mise en place d'un cordon de sécurité, puisqu'elle suppose la suspension de toute critique. Sans doute, au cours du siècle passé, trop d'intellectuels en sont-ils venus à accepter l'idéologie qu'ils prétendaient combattre. Même si ce fut, trop souvent, pour des raisons peu reluisantes, fatigue, désir d'être reconnu, crainte d'une situation précaire - et dans bien des cas, cela reste une énigme -, les uns et les autres ont cédé à une société qui leur était hostile, alors que le propre de la nôtre est au contraire de faire l'économie de tout affrontement, instaurant une véritable banalisation de la servitude. »

« Quel rapport tissez-vous entre l'individu et le groupe ?
Cette question est certainement l'une des plus révolutionnaires aujourd'hui. C'est là que le nombre rattrape l'unique et fait un noeud encore plus difficile à dénouer depuis que la question de l'identité ne cesse d'altérer la relation à l'autre sur le modèle du même. »

« Oui, nous sommes face à une désensibilisation par gavage, avec l'anéantissement de tout esprit critique qui va de pair. Le voilà ce libertinage culturel qui est désormais l'apanage de l'esprit fort d'aujourd'hui, de l'homme connexionniste, dont la qualité essentielle est de pouvoir passer d'une chose à l'autre sans jamais s'investir véritablement. À cette mobilisation par désensibilisation systématique, ne serait-il pas temps d'opposer une désertion visant à re-passionner la vie ? »

Entretien avec Annie Lebrun
Attention ! L'ingestion de l'entretien qui suit peut provoquer des lésions mentales irréversibles. Annie Lebrun, écrivain et philosophe, auteur de plusieurs essais remarquables et de pamphlets sur l'embrigadement féministe, a répondu à nos questions. Sa conception intransigeante de la liberté et le sens de la révolte qui l'anime en font l'un des rares esprits qui oxygènent une époque asphyxiante. Discussion avec une insoumise qui trempe sa plume dans une encre noire comme un ciel d'orage.