dimanche, juin 28, 2009

Les effets pervers de la robotomie

Faire de la critique systématique pour un journal comme La Presse a quelque chose de fastidieux. Qu'est-ce qu'on peut bien faire comme «critique» d'un méga-giga-blockbuster comme Transformers? On sait exactement à quoi s'attendre de ce genre de film, alors à quoi bon lire ou écrire là-dessus en 4 paragraphes?

C'est probablement ce que se disait Aleksi K. Lepage en écrivant son papier; autant tenter de faire chier les fans des Transformers que d'essayer d'impressionner l'intelligentzia, de toute manière Michael Bay en a marre de la critique et il ne lit pas en français. Ce qui est étonnant avec les fanatiques de Transformers, c'est que si généralement ce genre de public ne se formalise pas de ce que peut dire la critique, il en va tout autrement de ce film. Mon collègue Martin, dont la critique du premier Transformers demeurait pourtant très sobre, s'était fait «ramasser» par quelques mouchonautes vexés. Cette fois, à ce que je peux en déduire, les fans ont tellement réagi (ou alors est-ce l'attaque au capitalisme et au patriotisme?) que La Presse a censuré Lepage. Voyez par vous-mêmes, j'ai récupéré la critique originale sur le cache de Google.

Et le public de La Presse de donner une cote de 3.9/5...


ORIGINAL

Le réalisateur et producteur Michael Bay est un phénomène intéressant. On est parfaitement en droit de le considérer comme un faiseur plus ou moins doué et bénéficiant de contacts avantageux (Spielberg lui-même, dans ce cas-ci) et de budgets faramineux.

On peut aussi le voir comme un artisan honnête, mais vendu au système de production hollywoodien, aux idéologies capitalistes livrant sans honte ni recul la propagande patriote américaine par le cinéma populaire (l'armée étant dans Transformers glorifiée de façon embarrassante.)

Dans le pire des cas, Michael Bay n'est qu'un autre sbire de ce monde d'abrutissement. Au meilleur - considérations politiques gardées - il est un auteur capable de donner à la foule son pain et ses jeux, et capable aussi de ce minimum d'autodérision qui fait de ses films des comédies (Bad Boys, Armageddon, The Island) qui ne sont supportables qu'en les envisageant au troisième degré.

Ce nouveau Transformers est une farce, inutile de s'attarder sur le scénario d'une niaiserie inouïe. Une farce qui a coûté cher, trop cher. Spielberg aurait dû recourir aux services de son ancien camarade, Joe Dante, qui aurait ajouté à ce film de robots, idiot jusqu'à l'orgasme, un soupçon d'humour noir et de sous-entendu social.

Joe Dante, élevé à l'école du producteur Roger Corman, aurait pu mieux faire de ce film absurde, cette série B de luxe, avec un budget moins obscène. On dirait une version de Pearl Harbor destinée à la génération Ritalin. Quoique tout le cinéma de Michael Bay relève de l'hyperactivité et du déficit d'attention...

Michael Bay s'en sort et s'amuse tout de même, et on sent dans sa «mise en scène» un réel désir de plaire aux consommateurs et, à coups de clins d'oeils, aux amateurs de gros films bourrins et aux fans de la série télévisée originale inspirée de la célèbre gamme de jouets Hasbro.

Mais Transformers: Revenge of the Fallen relève encore de l'indécent gaspillage d'argent et de talents (l'extraordinaire John Turturro s'y donne à fond dans un film qui ne mérite pas, sur le plan du jeu, autant d'effort.) Et soyons francs: vous aimez vraiment ce jeune Shia LaBeouf qui, en plus d'avoir un nom ridicule, est aussi charismatique que Keanu Reeves (en moins mignon)?

On en vient à s'ennuyer de l'époque tristement révolue de la série B authentique, c'est-à-dire modique. Le budget de cette joyeuse cochonnerie est évalué à 200 millions de dollars. Ça donne un peu la nausée en ces temps de crise économique...

Transformers...
Film d'action de Michael Bay.
Avec Shia LaBeouf, Megan Fox, John Turturro. 1h44
Combat sans merci sur Terre entre les Autobots, les Decepticons et l'armée américaine et quelques quidams perdus dans une guerre absurde.
Amusant, titanesque et traumatisant de niaiserie.

TRÈS REMANIÉ

Dans le pire des cas, Michael Bay n'est qu'un autre sbire de ce monde d'abrutissement. Il est un auteur capable de donner à la foule son pain et ses jeux, et capable aussi de ce minimum d'autodérision qui fait de ses films des comédies (Bad Boys, Armageddon, The Island).

Ce nouveau Transformers est une farce qui a coûté cher, trop cher. Spielberg aurait dû recourir aux services de son ancien camarade, Joe Dante aurait dû ajouter à ce film de robots un soupçon d'humour noir et de sous-entendu social.

Joe Dante, élevé à l'école du producteur Roger Corman, aurait pu mieux faire de ce film absurde, cette série B de luxe, avec un budget moins obscène.

Michael Bay s'en sort et s'amuse tout de même, et on sent dans sa «mise en scène» un réel désir de plaire aux consommateurs et, à coups de clins d'oeils aux fans de la série télévisée originale inspirée de la célèbre gamme de jouets Hasbro.Mais Transformers: Revenge of the Fallen relève de l'indécent gaspillage d'argent et de talents (l'extraordinaire John Turturro s'y donne à fond dans un film qui ne mérite pas, sur le plan du jeu, autant d'efforts).

Le budget est évalué à 200 millions de dollars. Ça donne un peu la nausée en ces temps de crise économique...

Transformers...Film d'action de Michael Bay
Avec Shia LaBeouf, Megan Fox, John Turturro.
Combat sans merci sur Terre entre les Autobots, les Decepticons et l'armée américaine et quelques quidams perdus dans une guerre absurde.
Amusant, titanesque et traumatisant de niaiserie.

vendredi, juin 26, 2009

Hollywood-Toronto



Pour tourner Rear Window en 1954, Hitchcock avait dû demander à Paramount de défoncer le plancher du studio pour construire le décor de la cour intérieure. Et bien le Mega-Stage #4 de Toronto l’aurait fait saliver (cliquez sur la photo pour distinguer les petits bons hommes au fond).





Je lisais hier dans un article du Variety que la compagnie anglaise Pinewood Studios vient d’acquérir, avec un groupe, une série d’installations sur le méga-site de Toronto, le Filmport Studio. J’avais entendu parler de ce projet il y a quelques années, mais je n’avais encore jamais réalisé l’ampleur de l’entreprise. Pinewood Studios devient ainsi propriétaire majoritaire d’un mega-stage de 46 000 pieds carrés, le plus grand en Amérique du Nord (vraiment, je suis impressionné). En Europe, la compagnie possède également le plus grand stage, le 007 Stage, qui fait 59 000 pieds carrés.

Même le TIFF profitera de certaines installations sur le site. Imaginez à quel point Montréal prend du retard. Sommes-nous même encore dans la course?





Les maquettes réalisées en 2007 par l'architecte Will Alsop de ce qui devrait être le poste d'accueil du site.

jeudi, juin 11, 2009

La volée de Falardeau


J'ai beaucoup de respect pour les gens qui n'ont pas la langue dans leur poche, comme Denis Côté. Mais là voyez-vous, un loup plus vieux que Côté sort de l'orée du bois pour mordre à belles dents dans Carcasses. Il n'a pas la langue dans sa poche lui non plus, et puis ça fait changement des lapements d'un Marc-André Lussier, par exemple. Et bien oui, dans l'article Vengeance, Pierre Falardeau continue à ouvrir sa grande gueule que plusieurs auraient voulu voir muselée depuis longtemps. C'est un règlement de compte. Portes grinçantes, rues désertes, chaleur intense, silouhette à l'horizon. Attention, ça dégaine.


Vengeance

Il y a quelques années, quand on me laissait encore faire des films, Denis Côté se prenait pour un critique de cinéma au journal Ici. Aujourd’hui, Denis Côté se prend pour un cinéaste et moi je travaille au Ici. C’est à mon tour d’être du côté du manche. Pour une fois, j’ai le gros bout du bâton et je compte bien en profiter. Ceci n’est pas une critique de film mais bien un règlement de compte. Ça m’amuse beaucoup.


Comme mon idée était déjà faite, comme mon article était déjà à moitié écrit dans ma tête, je ne voyais pas l’intérêt de visionner le film de Côté. « Carcasses » que ça s’intitule son petit bricolage audio-visuel. J’étais sûr que c’était un très mauvais film. Je pouvais écrire sans crainte de me tromper et de passer au batte en toute connaissance de cause. Mais comme je ramollis en vieillissant, je suis allé voir son film par souci d’honnêteté intellectuelle. Pour un critique, vous me direz que c’est la moindre des choses. Vous avez tort. Quand je faisais des films, je pouvais écrire à l’avance la critique d’un tel ou d’un autre tel.


Dans la salle, dimanche soir au Parallèle, il y avait une dizaine de cinéphiles à tête de cinéphilitiques en phase terminale. Deux égarés venus voir sans doute une vue de monstres cherchaient la machine à pop-corn. La vendeuse de billets faisait des bulles dans son bocal à poissons hi-tech. Et moi je me faisait chier comme un rat mort. J’aurais dû suivre ma première idée et rester chez nous à écouter le bowling à TQS ou les preachers sudistes ou Josélito Michaud à Radio-Cadenas. Comme disait Madame Leriche: « Si c’est ennuyant. » Je pensais voir un très mauvais film, or je me suis trompé royalement. « Carcasses » n’est pas du tout un mauvais film. En fait « Carcasses » c’est rien, absolument rien! Le vide absolu, le néant sans fond, le rien intégral. Mais comment faire une critique quand il n’y a rien?


Denis Côté a trouvé un décor formidable, une cour à scrap et il filme ce décor en long, en large et en travers. C’est tourné en plans fixes et c’est interminable. Des tas de tôle pourrie par en avant, par en arrière, en haut, en bas, sur le côté, partout tout le temps. Un décor et rien d’autre. Les personnages? Inexistants. Il y a bien un espèce de demeuré qui fait de la figuration dans le décor. Et ce demeuré, il travaille comme une bête d’une étoile à l’autre. Il empile des cochonneries en petit tas depuis 40 ans. Pittoresque et pitoyable. Et je ne méprise personne. Il y a aussi deux photographes assez insignifiantes, sans doute étudiantes à « Concordia University » qui paradent pour la galerie. C’est tout. J’oubliais, les quatre trisomiques qui débarquent dans le coin, comme des martiens en voyage de noces. Côté, en metteur en scène pogné dans le ciment, les place dans le cadre comme des objets inanimés. Interdiction de bouger. Interdiction d’ouvrir la bouche. D’ailleurs y a rien à dire. Des carcasses humaines perdues dans une forêt de carcasses. C’est ça le film, un mongol qui met en scène d’autres mongols. Vous pensez sans doute que j’exagère. Je n’exagère jamais.


Au journal Ici, Côté écrivait comme un pied. Il n’a pas changé. Aujourd’hui il tourne comme un pied. Comme deux pieds même. Deux pieds dans la même bottine. Un cinéaste a parfaitement le droit de tourner une succession de plans fixes, ce que réussissait à merveille Ozu dans le Japon des années cinquante. Mais tout le monde n’est pas Ozu. Et « Carcasses » n’est pas sans rappeler les diaporamas que les bons pères nous faisaient visionner au collège dans les années soixante. Côté se réclame du formalisme pour justifier son incompétence. C’est de bonne guerre. Tout se justifie. Même une suite de diapositives qui se mord la queue à l’infini. Des petits bizounages audio-visuels comme ça j’en ai vu des centaines dans les galeries d’art avant-gardissssses de Toronto, dans les années soixante-dix. Du filmage de nombril postmodernes, j’en ai vu des kilomètres et des kilomètres dans tous les musées « Canadians » d’Ottawa, de Moose Jaw ou de Medecine Hat. Ça m’endormait il y a quarante ans et ça m’endort plus que jamais.


Mais la critique « smatte » elle, elle aime ça. Ça l’émoustille. Elle se pâme. Elle se répand. Elle en mouille de plaisir. Ça l’excite. Pensez donc, le critique des cahiers de cinéma a beaucoup aimé. Un Français c’est pas rien. Un Parisien en plus. Ça doit être un film génial. Il y a là comme du terrorisme intellectuel qui fait qu’il faut aimer ce film absolument si on ne veut pas passer pour un crétin fini. Personne va voir les films de Côté et pourtant il est célèbre. Il fait le tour du monde, invité dans tous les festivals. Une espèce de mafia des zarts zartistiques qui règne en maître sur le cinéma d’auteur a décrété du haut de sa chaise que Denis Côté était un cinéaste incontournable. Le procédé est simple : on prend un navet qui parle de n’importe quoi , tourné par n’importe qui, n’importe comment et on lui accole l’étiquette de film d’auteur. À partir de là tout devient possible. Plus c’est platte, plus le cinéaste est un grand auteur. Plus on s’ennuie, plus l’auteur est un auteur de génie. Plus on s’endort plus l’auteur est un auteur sur qui il faut désormais compter. Moins y a de monde qui comprend plus le film est un chef-d’œuvre. Et tous ces gens là s’extasient dans les cocktails en tétant leurs crevettes congelées et leurs biscuits soda équitables en compagnie de leurs petits protégés. Et ce joyeux ramassis d’heureux élus s’entre-invitent de festival en festival. Voilà comment on impose une certaine vision de l’art.


Je ne comprends rien à la mode, ni à la branchitude, ni au post-modernisme, ni au modernisme tout seul , ni à la transculture, ni à tout ce qui est pédant, prétentieux et pincé. La bourgeoisie aime bien se donner de petits frissons avant-gardistes dans ses musées vides et ennuyants. Ça dérange rien. C’est parfaitement inoffensif.


En passant la compagnie de production de Denis Côté s’appelle quelque chose comme « Nihilist Productions ». De nihil en latin qui veut dire « rien ». Ya rien là en effet.



Pierre Falardeau


mardi, juin 09, 2009

Téléfilm: à défaut de bon goût, la prudence

Ou «Le président bafouille (air connu)»

Michel Roy, homme prudent.

Comme le souligne le Gournal ce matin, Téléfilm se retrouvait dans une drôle de position à Cannes en dépensant 500 000$ pour promouvoir les films canadiens... qu'elle n'avait pas supportés. La prudence? C'est par exemple Funkytown, un film scénarisé par Steve Gallucio (Mambo Italiano, ya right) et mettant en vedette Patrick Huard. L'action se déroule durant les années disco... 7.5 millions. Ben c'est ça le cinéma prudent.

Téléfilm Canada fait du charme

lundi, juin 08, 2009

Cannes anti-establishment



J'aime beaucoup la revue Positif et Michel Ciment. N'est-ce pas le rêve d'être toujours actif à 70 ans et d'écrire avec autant de clairvoyance?

En attendant le prochain numéro qui fera le tour des films du dernier festival de Cannes, Michel Ciment y va d'un éditorial (numéro 580) où il s’interroge «sur cette recherche frénétique du nouveau (qui n’est souvent pas si nouveau que cela) et de la marge qui caractérise notre époque». Éditorial d'autant plus pertinent pour nous, Québécois, qui avons eu droit à une couverture frénétique de la présence québécoise à la Quinzaine, le tout généreusement nappé de Dolan-mania (je dois l'expression à Denis Côté, voir vidéo ci-dessous).





ÉDITORIAL


De l’inconvénient d’être reconnu


Les premiers commentaires de la presse institutionnelle sur la compétition officielle du festival de Cannes n’ont pas manqué, plus encore qu’à l’ordinaire, de regretter la présence de noms connus au détriment des découvertes. « Pour la véritable avventura, il faudra donc se ruer sur la sélection bis » (Libération), « le club des abonnés du festival » (Le Monde), « la fulgurante impression de déjà vu que suscite la révélation de cette supposée dream team annuelle du cinéma d’auteur mondial […], la liste B fait plutôt davantage envie que la liste A » (Les Inrockuptibles). Cet éditorial étant rédigé avant même que ne commence la manifestation cannoise, il faudra, bien sûr, comme nous le faisons chaque année, juger dans notre prochain numéro de la pertinence de tel ou tel choix, après avoir vu les films. Mais on peut d’ores et déjà, sous bénéfice d’inventaire, s’interroger sur cette recherche frénétique du nouveau (qui n’est souvent pas si nouveau que cela) et de la marge qui caractérise notre époque.


Cette offensive anti-establishment, outre qu’elle tend à vouloir rehausser, comme par le passé, la Quinzaine des réalisateurs, spécule par ailleurs sur une majorité écrasante de films qui n’ont pas été vus. Est-il bien certain que substituer La Terre de la folie de Luc Moullet aux Herbes folles d’Alain Resnais (absent de Cannes depuis vingt-neuf ans), Ne change rien de Pedro Costa à Étreintes brisées de Pedro Almodóvar, Le Roi de l’évasion d’Alain Guiraudie à Vincere de Marco Bellocchio ou Here de Ho Tzu-Nyen à Bright Star de Jane Campion (de retour quinze ans après sa Palme d’or) donnerait à la compétition plus d’éclat ? Ne se rapprocherait-elle pas alors du festival de Locarno qu’Olivier Père (actuel délégué général de la Quinzaine des réalisateurs) s’apprête à diriger l’an prochain ? Quel paradoxe aussi que de féliciter ce dernier d’accueillir en ouverture de sa manifestation Tetro, le nouveau film de Francis Ford Coppola, un habitué s’il en est de la Croisette, à qui on a refusé l’accès à la compétition officielle, tout comme à Jim Jarmusch, Jacques Rivette et Bruno Dumont, autres noms familiers des annales cannoises ! Décisions courageuses, vu la célébrité des intéressés, même si elles devaient au final s’avérer non fondées.


Un sondage récent révélait que, pour la majorité des Français, l’égalité était plus importante que la liberté (le résultat eût été certainement inversé aux États-Unis). « Pourquoi pas nous ? » deviendrait un cri de ralliement auquel une certaine critique française ferait écho, pour rejeter toute idée de hiérarchie par un « Pourquoi pas lui ? ». Si tant de grands noms qui ont fait leurs preuves se retrouvent dans un festival majeur, c’est aussi parce qu’on attend avec impatience leur nouvelle production. Or le culte voué aux auteurs soi-disant maudits peut conduire à une injuste remise en cause des quelques rares artistes qui incarnent encore l’ambition dans le cinéma contemporain.


Un article récent de Jacques Mandelbaum dans Le Monde (15 avril 2009), journal de référence, sur la rétrospective consacrée à Luc Moullet par le Centre Pompidou, se présente ainsi comme un condensé du prêt-à-penser. Partant d’une amusante formule de Jean-Luc Godard (« Moullet, c’est Courteline revu et corrigé par Brecht »), l’auteur, qui ne saurait sans doute admettre que l’on soit reconnu très tôt si l’on est un véritable créateur, ajoute : « À ceci près que Courteline et Brecht ont quand même fini par se faire connaître d’un large public. » En vérité, ils ont été reconnus dès leurs débuts, Courteline comme un roi du Boulevard avec Le commissaire est bon enfant et Messieurs les Ronds-de-cuir, à la fin du XIXe siècle, et Brecht comme un des phares de la scène berlinoise dès l’âge de 23-24 ans, avec Tambours dans la nuit et Dans la jungle des villes, avant d’atteindre une gloire mondiale à 30 ans avec L’Opéra de quat’sous. « Ce n’est pas le cas de Luc Moullet, poursuit Mandelbaum, qui fait son cinéma depuis cinquante ans et dont rien n’indique qu’il aspire à adapter son esprit frondeur et son style décapant à la conquête de la notoriété. » Ainsi Moullet et Straub (version grave du précédent), avec le même public depuis des décennies, sont restés purs et durs, sans souci de la notoriété, à la différence de Courteline et de Brecht. De l’inconvénient d’être reconnu.

Michel Ciment



On tourne le dos au présent ou on regarde vers le passé?

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En supplément, on en apprend beaucoup sur Stanley Kubrick, Michel Ciment et Positif, en trois questions, sur Filmmaker.


POSITIF'S MICHEL CIMENT

By Jamie Stuart


In connection with the Film Society of Lincoln Center's new series "Mavericks and Outsiders: Positif Celebrates American Cinema," Jamie Stuart spoke recently with Positif's editor, the noted French film critic and author Michel Ciment.


FILMMAKER: I probably know you best from your Kubrick book. What was that like, having the ability to interview him over the years?


CIMENT: Well, it came very naturally. I don't know why. I think he had a piece of mine translated from 1968 - a long essay I did on the work of Kubrick. It was probably the first essay in France to try to show the strands of Kubrick's work and the connections between all the films. People were always skeptical about the unity of his work; he was changing all the time, his style and form and so on. I was on the list of people he would approve to do interviews with on A Clockwork Orange. He liked what I did. He liked the interview. He liked the conversation. He would call me regularly for information on various things he wanted to know: Distribution in France, exhibition, technical things, people who could help him and so on. And then, I met him regularly - I was not a friend of his, I don't think anybody was really friends with Kubrick - but he was not at all aloof, he was extremely charming. I found him one of the best people to interview, though of course it was a little intimidating because you'd have such a short time. But he was very professional. We'd talk quite a lot on the phone, that's true. And then, I wrote this book in 1980. My wife said Kubrick called, he'd got the book. He called me back at 9 in the evening and said, "I received your book. It is the most beautiful book I have seen on a film director. I would like to order 400 copies, if you could get me a price." There's not much else to say, except of my fascination with Kubrick's work. But it went on quite easily. I think he knew my book on Kazan; he was a great admirer of Kazan. I did a book with Joseph Losey; he knew Losey too, and Losey was a great fan of Kubrick. I think the fact that I was a professor -- I was teaching at the university -- I think he appreciated that. I think he was a little suspicious of the press in general. He'd had bad experiences: Interviews that had been published without his approval, or they'd say things that he didn't really say. So I think the fact that I was a scholar, for him, it made him more respectful.


FILMMAKER: What makes Positif different from other film magazines?


CIMENT: Well, I think, first of all, it's part of history now. It started in '52, like Cahiers du Cinéma, in '51 -- two magazines with more than half a century of life. I think it's also a magazine which has established a very strong relationship with directors, because I think they felt that we were not conditioned by ideology or by clannishness, and so on. It's a magazine that is fueled by a love of cinema. We are not poseurs trying to be Maoist or structuralist. We really react with a passion for film. After that, of course, we exercise our intellectual curiosities to analyze the films. But before that, our first reaction is not to wonder how we'll look if we like a certain film: Can we like American films while the Vietnam war is going on? Can we like this film which is telling a story when it is the end of the story in films? As Godard said, "We can't tell stories anymore." We have never been into this thing which makes magazines very popular among intellectual circles, because it's always flattering to say, I am intolerant, or, I believe in this. We have never been -- even if we are accused of eclecticism -- we don't care. What fuels us, again, is this love of cinema, curiosity, openness toward foreign cultures. The magazine was known in the '50s for looking for new directors from Czechoslovakia, Poland, and later, in Brazil. The next issue is about new Belgian cinema. It is open to new forms and styles, and at the same time to study the past -- to make connections between the past and present, commercial cinema and sometimes very peculiar types of cinema. As you can see in these selections ("Mavericks and Outsiders: Positif Celebrates American Cinema"), we have David Holzman's Diary. We're difficult to pigeonhole -- it's the freedom of the magazine that makes it difficult to pigeonhole. But I think on the whole, when you look back on 55 years of issues and articles, I think it has an image -- an image due to the fact that several generations of critics live together at Positif; we don't have one generation which kicks out the previous one. Young people come to Positif when they have read the magazine for 5 or 10 years, and they decide they want to write for this particular magazine because it has this kind of spirit, this kind of freedom. So, therefore, there is a sort of unity, due to...in spite of the 70 year-old critics and the 25 year-old critics -- they belong to the same culture, though they are different, of course. The young people have their own ideas, a new vision of things, as do the older ones. It creates a rather unique experience.


FILMMAKER: It's impartial.


CIMENT: I don't know. We are pretty partial. We are partial on our own criteria. We are partial to our own individualism. We are not partial because of the trends. It's true that we are, perhaps, unfair with some films while praising other films. But the case of Kubrick is a very interesting case. Truffaut was established immediately as a great director. But, I think he is not as great a director as Kubrick. However, Kubrick was despised and neglected by a lot of critics even in America -- remember Sarris and Pauline Kael, how they reacted to 2001. So Positif was always a fan of Kubrick, as soon as Paths of Glory -- which was dismissed by Godard. So Kubrick or John Boorman -- I also wrote a book on Boorman -- they are very much what we try to be as critics: They have not decided to be this type of filmmaker, a filmmaker with a signature that you can immediately recognize. It was much more difficult for Kubrick to be accepted as an artist than for Truffaut or Jacques Demy. Everybody loved Demy immediately -- The Umbrellas of Cherbourg was immediately hailed. But The Shining or Full Metal Jacket or even till the end of his life -- Eyes Wide Shut was dismissed. So that's what we liked. We liked the freedom that he had. We try to, in our modest way, to behave the same, as critics.