lundi, mai 25, 2009

dimanche, mai 24, 2009

Ubu Web Film



Ubu Web Film regroupe un certain nombre de courts, moyens et longs métrages à visionner en ligne ou a télécharger gratuitement (avi ou mp4), au choix. Beaucoup de noms me sont inconnus, mais j’y reconnais notamment Anton Corbijn, Jean Epstein, John Cage, Godard et Miéville, Agnès Varda, Chris Marker, Samuel Beckett, Orson Welles, Philippe Garrel et quelques autres. Si le cinéphile en vous aperçoit parmi cette liste une perle rare – film ou réalisateur - à découvrir, qu’il en fasse part dans les commentaires. Ne vous attendez pas à des grands classiques, il s’agit surtout de films plus marginaux.

Une petite sélection :

Les Hautes solitudes de Philippe Garrel, 1974, 80 min



Sonata for Hitler d'Aleksandr Sokurov, 1979-1989, 10 min



La glace à trois faces de Jean Epstein, 1927, 40 min 53



Film, réalisé par Alan Schneider et écrit par Samuel Beckett, 1965, 24 min



Pour ceux que ça intéresse, Film, réalisé par Alan Schneider et écrit par Samuel Beckett, faisait l’objet d’une assez longue analyse de Deleuze dans un de ses cours pour passer de l’image-mouvement à l’image-temps. Il reprenait le film comme exemple dans le livre Image-Mouvement, pages 97-100, mais en beaucoup plus succinct.


samedi, mai 23, 2009

Ciné-Guide perpétuel: la belle époque de la censure


Hier, je suis tombé sur un vieux livre en librairie, une source première assez fascinante selon moi, le «Ciné-Guide perpétuel : une compilation de plus de 10 000 films, par ordre alphabétique, avec indication de leur valeur morale», de l’Abbé Eustache Brault. Ce guide a été imprimé en 1942, en pleine guerre, et contient les appendices jusqu’en 1948. Imprimé aux éditions Fides sur la rue Saint-Denis, à Montréal, il est bel et bien québécois. S’en étonnera-t-on. Avec le recul, il est quand même incroyable de penser qu’une œuvre était souvent jugée d’abord et avant tout par sa cote morale.

Pour une petite mise en perspective de la censure au Québec, on en revient presque toujours à Yves Lever qui traite de ce sujet depuis belle lurette. (Tiré de http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Cinema_quebecois)

«En décembre 1912, il [le gouvernement] se donne un bureau de censure auquel tout film devra être soumis, à compter du 1er mai 1913, et qui a tout loisir d'interdire ou de «charcuter» toute pellicule jugée dangereuse.Malgré ce «règne des ciseaux», le cinéma n'en suscite pas moins une lutte virulente de la part de l'Église catholique du début du siècle jusqu'à la Seconde Guerre. Deux grands motifs commandent cette opposition: 1) le cinéma est «corrupteur» parce, «école du soir tenue par le diable», il pervertit la jeunesse en lui donnant des leçons d'immoralité et un «panthéon d'idoles frelatées», il lui enlève le goût de l'école, il lui fournit, avec l'obscurité des salles, bien des «occasions de péchés», etc. 2) comme les salles ne diffusent que du cinéma américain, il devient aussi «dénationalisateur» parce qu'avec lui «notre race» s'acculture aux modes de vie et de pensée d'outre-frontière. Officiellement, l'Eglise défend la foi et la langue, lesquelles sont à l'époque intimement liées, mais dans un second regard, il faut y voir surtout une opposition à un objet culturel puissant et largement diffusé, en train de menacer son autorité sur l'imaginaire collectif et sur les consciences.»

C’est donc dans ce contexte, et j’ajouterais même ce climat, qu’on publie le Ciné-guide. Le guide n’est qu’une longue liste de films agrémentée de quelques commentaires en anglais sur certains films vraiment inacceptables. C’est l’introduction qui nous en apprend le plus sur la censure, la voici en version intégrale.

INTRODUCTION AU CINÉ-GUIDE PERPÉTUEL


Ce catalogue est divisé en deux parties : une partie anglaise et une partie française.

La partie anglaise comprend TOUS les films qui ont été censurés par la Légion catholique de Décence de New-York depuis ses tout premiers débuts à Chicago en 1934 jusqu’aujourd’hui.

La partie française contient TOUS les films français de long métrage, américains et un certain nombre de productions étrangères qui ont été censurés par la Centrale catholique du film de Paris à partir de ses débuts en 1936 jusqu’à la chûte de la France, en juin 1940.

Nous donnons d’abord le titre du film. Si le même film a été annoncé sous différents titres, nous les donnons en les faisant précéder des deux lettres : cf. Ensuite, chaque fois que ce fut possible, nous avons ajouté le genre de film. Exemple : com. Pour comédie, dr. mus. pour drame musical, pol., pour policier ; avent. pour aventure, etc. Ch. indique la référence à Choisir, revue française et catholique de la radio et du Cinéma.

Ensuite vient le nom de la compagnie qui a produit le film, puis l’année où le film a été censuré, enfin le chiffre qui en indique la valeur morale : I, II, III, IV.

La cote I :
Veut dire un film qui, en général, peut être vu sans danger par tous. Cependant, la cote I ne veut pas dire que le film serait toujours convenable pour une salle paroissiale. En fait, bon nombre de I ne conviennent pas du tout pour nos salles paroissiales. Il faut y aller avec une extrême prudence, car la Légion de Décence a surtout donné les cotes en vue du Cinéma ouvert au grand public.

La cote II :
Veut dire un film qui ne convient qu’aux adultes sérieusement formés. Elle veut aussi dire que le film n’offre de l’intérêt que pour une personne adulte à cause de son caractère plus sérieux.

La cote III :
Veut dire un film condamné en partie. Même un adulte devrait l’éviter. Il n’est pas sans danger parce qu’il contient des épisodes ou une thèse générale que la saine morale ne peut accepter.

Exemple :
La justification du divorce ou de l’amour libre.
De longues scènes de débauche.
La justification du crime, on le laisse impuni.
Des dialogues et des scènes suggestives, des descriptions trop réalistes du vice ou du crime.

La cote IV :
Veut dire un film totalement condamné.
Parce qu’il contient un drame crapuleux et passionné ; ou bien une tentative pour justifier le suicide, le meurtre, le divorce ou le crime.
Ou encore :
Parce qu’il contient des situations scabreuses et immorales.
Parce qu’il cherche à ridiculiser la religion ou ses ministres.
Parce qu’il se passe dans une atmosphère de bassesse.
Parce qu’il approuve la liberté des mœurs.
Parce qu’il est malsain dans son ensemble ou dangereux à cause de la fausseté de sa thèse.
Parce qu’il est anti-religieux ou parce qu’il enseigne le vice.

QU’EST-CE QUE LA LÉGION DE DÉCENCE DE NEW-YORK ?

C’est une organisation fondée en avril 1934 par l’Épiscopat des Etats-Unis. Elle a été mise sur pied à la suggestion de Délégué apostolique des Etats-Unis, Mgr Am. G. Cicognani.

Elle est placée sous la surveillance immédiate de Son Excellence l’Archevêque de New-York. Le secrétaire général de la Légion est un prêtre uniquement nommé pour cela. Le bureau de censure est composé d’une centaine de censeurs laïques, tant à Hollywood qu’à New-York.

Que est son but ? D’abord influencer les Compagnies productrices afin qu’elles prennent conscience de leurs responsabilités, puis classifier les films selon leur valeur morale ; grouper toutes les personnes de bonne volonté, catholiques, protestants et autres qui, se rendant compte de la redoutable puissance du film pour le bien comme pour le mal, veulent collaborer à son épuration.

Enfin, guider les cinéphiles dans le choix des films.


Si John Ford s’en sort haut la main, il n’en est pas de même de Jean Renoir et même de Hitchcock qui semble abonné à la cote II.

Human beast (La bête humaine, Renoir) – Paris Film – Hakim – Juno Film – 1939 – IV.
Morbid and base theme of determinism; plot contains as elements – murders, sadism seduction, suicide solution, immoral relationships.

Underground (Les bas-fonds, Renoir, 1936) – Warner – III.
Tendency to present the suicide as justifiable; excessive brutality and gruesomeness.

Grande illusion – II – CH. 20-6-37

Règle du jeu. – N.E.F. – III- Ch. 23-7-39

Hitchcock:

The Man Who Knew Too Much III,

Sabotage I,

Young and Innocent II,

Lady Vanishes II,

Rebecca II,

Notorious II,

Spellbound – Selznick International – United Artists – II – 11-45.
Observation. –The story accepts a Freudian theory of psychoanalysis which is utilized as an important element in plot development and treatment.

Une évidence: The Outlaw de Howard Hughes, IV, Objection: The film presents glorification of crime and immoral action. The film throughout very considerable portion of its length is indecent in costuming.

Moins connu: Thunder Rock de Roy Boulting – Charter Film Product. – English Films – III – 10-44.
Obj. – The sympathetic delineation of one of the characters and her identification as an apostle of social progress lend authority and acceptability to her indictment of a large family.
Observation.- A minister of religion is depicted as opposed to scientific progress. In the film’s presentation of its message of courage and optimism there are traces of deism and naturalism whereby the impressions are gathered that God is a being far from this struggling world and that man by himself can make the better world of the future.

Une découverte? Un film canadien d’un réalisateur qui a travaillé sur le fameux film Un homme et son péché (1949) de Paul Gury. Sins of the Fathers de Richard J. Jarvis est complètement condamné par la Légion.
Obj. – This film deals with a subject most objectionable for presentation in entertainment motion picture theaters. Moreover, the treatment of the subject as presented in the film is most objectionable for entertainment motion picture audiences. It ignores essential and supernatural values associated with problems of this nature. Suggestive scenes and dialogue.

Et puis Bergman commençait à peine comme scénariste mais il avait déjà l’Église à dos avec Torment (distribué 4 ans plus tard en 1948)
IV. Obj. – This film treats a subject unfit for general entertainment motion picture audiences. Moreover, it contains suggestive sequences, condones and justifies immoral actions.


jeudi, mai 21, 2009

Denis C. à Cannes: entre superficiel et nécessaire

Et puis tenez, le JdeQ a rencontré Denis Côté à Cannes. Il nous parle de son film pointu, de son excitation et de son prochain film. Moi je dis qu'on sent une jalousie contenue par rapport aux deux autres films québécois. Il essaie d'assumer ses choix.

Une proposition pointue

«J'ai tué ma mère» a été acheté par une vingtaine de pays

Xavier Dolan vit un véritable rêve. Il me semble qu'on assiste à quelque chose d'historique dans le cinéma québécois. Quel aussi jeune cinéaste a suscité autant d'engouement pour un premier film?

«PC- Au moins 20 pays ont acheté les droits de diffusion du film J'ai tué ma mère du Québécois Xavier Dolan, qui a reçu un accueil chaleureux à la Quinzaine des réalisateurs en marge du Festival de Cannes il y a quelques jours, rapporte Le Journal de Montréal, jeudi.

Ce chiffre, ajoute le journal, est appelé à grimper puisque les contacts se multiplient sur la Croisette. Quelques autres pays, dont les États-Unis, seraient en négociation avec Rézo, le distributeur français du film.

La France a déjà acquis les droits et le film doit y prendre l'affiche le 15 juillet. La Suisse fait également partie des pays ayant déjà acheté les droits de diffusion.

J'ai tué ma mère sortira à Montréal le 5 juin et à Québec le 12 juin.

Xavier Dolan demeurera à Cannes jusqu'à la fin du festival, ce weekend, compte tenu que son film est éligible pour la Caméra d'or qui sera remise au meilleur premier film d'un réalisateur.»

mardi, mai 19, 2009

Cinéma turc à l'honneur


Roland Smith ne lâche pas et nous propose dès le 22 mai la 1ère semaine du film turc de Montréal. 7 jours, 7 films, un film par jour et tous en 35mm, svp. Et ces films ont vraiment l’air bien. Évidemment, Nuages de mai et Distant de Nuri Bilge Ceylan (son Three Monkeys y sera également à l’affiche dès le 22 mai, en numérique), mais aussi d’autres films qui ont remporté des prix à Ankara, Istanbul, Antalya et ailleurs. Pour le premier film à l’affiche, Les Voitures révolutionnaires, ils ont même réussi à convaincre le réalisateur Tolga Örnek de venir à la représentation.

Parlant de Roland Smith, Marcel Jean a fait un portrait du cinéphile dans le dernier numéro de 24 Images (très bien d’ailleurs, ils soulignent leur 30e).

Roland Smith :


Combien de générations de cinéphiles doivent à Roland Smith une partie de leur éducation cinématographique ? Plusieurs, à n’en pas douter. C’est que depuis la décennie 1960, l’homme a géré, à un moment ou à un autre, un nombre impressionnant de salles de répertoire. D’abord le Verdi, boulevard Saint-Laurent, puis l’Outremont, le Cartier (à Québec), le 2001, le Festival, le Lumière, l’Autre Cinéma, le Laurier et, maintenant, le Cinéma du Parc. Passionné, infatigable, boulimique, nerveux, Roland Smith a connu une véritable période de grâce avec l’Outremont, de 1971 à 1987, alors qu’il a fait connaître L’homme de marbre et Le chef d’orchestre de Wajda, qu’il a défendu un Arthur Penn presque en disgrâce (à l’époque de Four Friends), qu’il a ressorti en grande pompe La règle du jeu de Renoir et Queen Kelly de Stroheim. Au milieu des années 1980, avant même que La boîte noire apparaisse, il tenait un club vidéo dans un espace adjacent à l’Outremont. C’est là qu’on se précipitait pour louer Berlin Alexanderplatz, majestueuse série de Fassbinder. Alors que la masse des amoureux du cinéma restait sur ses gardes, lui accueillait déjà la vidéo avec curiosité. C’est ainsi qu’il a par la suite œuvré dans ce domaine, gérant notamment le SuperClub Vidéotron de l’avenue du Mont-Royal en bonifiant l’inventaire du commerce de sa collection personnelle de vidéocassettes (quelques milliers de titres). Aussi distributeur (Rois et reines de Desplechin) et éditeur DVD (il a sorti Les états nordiques de Denis Côté), Roland Smith est un activiste du cinéma.


lundi, mai 18, 2009

Impressions sur la Quinzaine

Alexis Martin et Pierre Perrault lors du tournage du Règne du jour

Pas grand chose à redire sur le festival sinon que la sélection de films correspond à mes goûts avec sa liste d’habitués. J’ai même hâte au Johnnie To avec l’autre Jheunny, n’en déplaise à Cassivi.

Bien content que les jeunes cinéastes québécois soient présents à la Quinzaine des réalisateurs, ça ne peut que les aider et ça indique en même temps que notre cinéma est toujours bien vivant. Pour l’instant, ce sont surtout (et même probablement exclusivement) nos médias qui se sont excités au sujet des trois films sélectionnés, les Polytechnique de Denis Villeneuve, J’ai tué ma mère de Xavier Dolan et Carcasses de Denis Côté. J’attends toujours de voir les entrevues et les critiques dans les revues et les journaux français. Si vous en voyez, faites-moi signe.

Christian Verbert, commissaire européen de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC), fait partie de ces enthousiastes, comme on pouvait s’en rendre compte vendredi dernier dans un article du JdeQ - qui couvre le festival, aussi incroyable que cela puisse paraître.

Le commissaire disait notamment ceci : «La popularité du cinéma québécois en France va sans cesse en grandissant. Et la cerise sur le gâteau, c'est quand on voit que sur les vingt-cinq films sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs, il y en a trois du Québec. Quand on sait qu'il se produit entre quinze et vingt-cinq longs métrages par année au Québec, c'est extraordinaire.»

Il est vrai qu’un représentant du domaine culturel, public comme privé, se doit d’être positif en tout temps - tel un économiste qui jure que tout va pour le mieux à la veille d’une récession majeure - mais rien ne nous oblige à les écouter passivement.

S’il est vrai que ce soit un fait assez rare dans l’histoire de la Quinzaine, que dire de la popularité du cinéma québécois qui va sans cesse en grandissant en France? Vraiment?

Il s’enfonce dans l’infondé en rajoutant :


«Il y a une époque où on avait les Gilles Carle, Carole Laure, Lewis Furey et Jean-Claude Lauzon qui venaient. Les Français les admiraient, mais avec un côté péjoratif, folklorique. C'étaient les petits cousins. Aujourd'hui, ils aiment les Québécois parce qu'ils proposent un cinéma mélangeant les côtés américain et européen. Ça, ils ne sont pas capables de le faire.»

C’est quand même amusant cette opposition. Dans les années soixante, les Français ont RÉELLEMENT louangé le cinéma de Pierre Perrault, oui c’était folklorique, mais pas du tout péjoratif. Et ce côté folklorique attire toujours le public français, Verbert en donne lui-même la preuve : «L'an dernier, sur les Champs-Élysées, le film d'ouverture était Ce qu'il faut pour vivre, de Bernard Pilon (sic! J’espère que l’erreur vient du journaliste, sinon ça prouve à quel point tout ce hype est bidon). Il y avait tellement de gens qu'il a fallu ouvrir une deuxième salle. Encore là, on a dû en refuser une soixantaine.» Ce qu’il faut pour vivre n’a rien de folklorique? Dans les années cinquante, un Inuit déraciné qui se retrouve chez les Blancs… «L’Indien en Amérique qui perd ses repères», c’est le cliché par excellence toujours véhiculé en France.


En ce qui a trait au «côté péjoratif» de l’admiration, vraiment, peut-on croire qu’il n’y a pas autant de Français qui nous prennent pour les petits cousins que dans les années 70 ou 80… Farfelu cette idée de progrès fulgurant, presque de cassure. Et sur cette idée que nos cinéastes mélangent à merveille côté américain et européen, à quels films fait-il référence? (Le Piège américain, Grande Ourse, De père en flic?)


Ce que je déplore le plus, ce sont tous les efforts que nous effectuons à l’étranger pour faire connaître notre cinéma. On peut se péter les bretelles parce que le film Carcasses de Denis Côté est à la Quinzaine, mais comme il le souligne lui-même, son film n’est que dans deux salles au Québec.

Observez un peu la méthode.

«Et puis, enchaîne-t-il [Verbert], quand la ministre de la Culture vient ici et rencontre des ministres de la Culture de l'Allemagne, de l'Angleterre, ça donne un levier essentiel pour vendre notre cinéma par la suite. Personnellement, ça m'ouvre des portes. Quand le gouvernement du Québec annonce une augmentation des crédits d'impôts pour la culture, je fais toujours un communiqué que j'expédie aux médias français. En une semaine, il y a toujours quatre ou cinq producteurs européens qui m'appellent pour manifester leur intérêt à coproduire un projet.»

Tout cela sans compter l'organisation depuis 12 ans, sur les Champs-Élysées, du festival Cinéma du Québec, où sont projetés des dizaines de films québécois. Le festival, qui se tient habituellement à la fin de novembre, a aussi lieu à Liège, à Lyon et, depuis 2008, à Cannes. (JdeQ)


«C'est certainement l'une des raisons qui expliquent que nous ayons autant de films à Cannes cette année. Des programmateurs de films internationaux viennent nous voir et il s'y fait un immense travail de réseautage», note Isabelle Melançon, directrice des communications à la SODEC.


Ouf, si c’est comme ça qu’on voit la «vie» culturelle, en invitant des ministres et des gens de l’«industrie» à des petites projections, on s’applaudit, on envoie un chèque…

J’ai dressé pour vous la liste des longs métrages canadiens qui sont passés par la Quinzaine de 1969 à 1989. On se retrouve après la liste.


Quinzaine

1969 (68 longs)

Christopher’s Movie Matinee
Quinzaine 1969
RANSEN Mort

De mère en fille
Quinzaine 1969
POIRIER Anne-Claire

Entre La Mer Et L’eau Douce
Quinzaine 1969
BRAULT Michel

Jusqu’au Cœur
Quinzaine 1969
LEFEBVRE Jean-Pierre

Kid Sentiment
Quinzaine 1969
GODBOUT Jacques

Le Viol D’une Jeune Fille Douce
Quinzaine 1969
CARLE Gilles

1970 (54 longs)

A Married Couple
Quinzaine 1970 - 97' (1970)
KING Allan

Entre Tu Et Vous
Quinzaine 1970 - 65'
BRAULT Michel
GROULX Gilles

La Chambre Blanche
Quinzaine 1970 - 90' (1969)
LEFEBVRE Jean-Pierre

Mon Amie Pierrette
Quinzaine 1970 - 70' (1968)
LEFEBVRE Jean-Pierre

Q-Bec My Love
Quinzaine 1970 - 80' (1969)
LEFEBVRE Jean-Pierre

Reason Over Passion
(La raison avant la passion)
Quinzaine 1970 - 70' (1968)
WIELAND Joyce

1971 (54 longs)

Faut Aller Parmi Le Monde Pour L’savoir
Quinzaine 1971 - 88'
DANSEREAU Fernand

Goin' Down The Road
Quinzaine 1971 - 89' (1969)
SHEBIB Donald

L'acadie, L'acadie
Quinzaine 1971 - 117' (1971)
PERRAULT Pierre

Les Maudits Sauvages
Quinzaine 1971 - 116'
LEFEBVRE Jean-Pierre

1972 (35 longs)

Smattes
Quinzaine 1972 - 92' (1971)
LABRECQUE Jean-Claude

1973 (26 longs)

Réjeanne Padovani
Quinzaine 1973 - 90' (1972)
ARCAND Denys

Wedding In White
Quinzaine 1973 - 103'
FRUET Bill

1974 (28 longs)

Les Dernières Fiançailles
Quinzaine 1974
LEFEBVRE Jean-Pierre

Sweet Movie
Quinzaine 1974, Canada-France
MAKAVEJEV Dusan

1975 (22 longs)

Les Vautours
Quinzaine 1975
LABRECQUE Jean-Claude

1976 (21 longs)

L'eau Chaude, L’eau Frette
Quinzaine 1976
FORCIER André

La Tete De Normande Saint-Onge
Quinzaine 1976
CARLE Gilles

1977 (21 longs)

Why Shoot The Teacher?
(Pitié Pour Le Prof)
Quinzaine 1977
NARIZZANO Silvio

1978 (21 longs)

rien

1979 (16 longs)

Avoir 16 Ans
Quinzaine 1979
LEFEBVRE Jean-Pierre

1980 (15 longs)

L'homme A Tout Faire
Quinzaine 1980
LANCTOT Micheline

1981 (36 longs)

Alligator Shoes
Quinzaine 1981
BORRIS Clay

Les Plouffe
Quinzaine 1981
CARLE Gilles

1982 (20 longs)

Les Fleurs Sauvages
Quinzaine 1982
LEFEBVRE Jean-Pierre

1983 (19 longs)

Rien Qu’un Jeu
Quinzaine 1983
SAURIOL Brigitte

1984 (19 longs)

Les Années De Rêves
Quinzaine 1984
LABRECQUE Jean-Claude

1985 (18 longs)

Gazl El Banat
(Une Vie Supendue)
Quinzaine 1985
Liban, France, - 1h40 (1985)
SAAB Jocelyne

1986 (18 longs)

Dancing in the Dark
(Danse à contre-jour)
Quinzaine 1986 - 1h38 (1986)
MARR Leon

1987 (20 longs)

I’ve Heard The Mermaids Singing
(Le Chant des sirènes)
Quinzaine 1987 - 1h24 (1987)
ROZEMA Patricia

Un Zoo, la nuit
Quinzaine 1987 - 1h56 (1987)
LAUZON Jean-Claude

1988 (18 longs)

La Ligne de Chaleur
Quinzaine 1988 - 1h30 (1987)
ROSE Hubert-Yves

1989 (15 longs)

Speaking Parts
(Les Figurants)
Quinzaine 1989 - 1h32 (1989)
EGOYAN Atom

En regardant cette liste, on se rend tout de suite compte que le cinéma québécois était très présent DÈS LE DÉBUT. Comptez-vous bien comme moi 6 films québécois (oui Mort Ransen est québécois) ? Pour un peu plus, Christian Verbert parlerait d’une nouvelle ère parce que 3 films sur 15 ou 25 longs métrages sont à la Quinzaine, or combien de longs métrages s’était-il tourné en 1968 au Québec ? C’était tout aussi extraordinaire.

À quoi ou à qui était dû ce succès ? À des petites séances organisées en France pour des ministres ? Pourquoi pas. Mais peut-être aussi parce que dès 1960 on s’est intéressé au cinéma ICI (à Montréal) au point de tenir un festival qui ouvrirait un volet compétitif canadien dès 1963. De 1963 à 1967, on fera des pieds et des mains pour inviter des gens du milieu (y compris des critiques) de partout dans le monde qui pourraient découvrir, entre autres, le cinéma canadien. Parmi les noms qui reviennent on retrouve Pierre Perreault, Gilles Groulx, Arthur Lamothe, Michel Brault, Norman McLaren, Jacques Godbout, Jean Pierre Lefebvre, Claude Jutra et Gilles Carle. En 1965, Perreault a droit à un entretien dans les Cahiers, Lefebvre en 1967 et cinq cinéastes sont interviewés en 1966, comme par hasard il s’agit de Brault, Groulx, Jutra, Lamothe et Lefebvre.

En 1967, Premier Plan consacre un numéro au «Jeune cinéma canadien» qui donne la part belle à Michel Brault, Gilles Carle, Gilles Groulx, Claude Jutra, Wolf Koenig, Arthur Lamothe, Jean-Pierre Lefebvre et Norman McLaren. Le petit lexique des 30 réalisateurs canadiens comprend Denys Arcand, Fernand Dansereau, Jacques Godbout, Larry Kent, Allan King, Jean-Claude Labrecque et Pierre Perrault.

Il m’apparaît évident que le «réseautage» s’était fait en grande partie autour de ce festival et qu’en moins d’une décennie, le jeune cinéma canadien s’était fait connaître en France, suffisamment pour que Brault, Lefebvre, Perrault, Godbout, Carle, Groulx, Dansereau, Arcand et Labrecque se retrouvent tous à Cannes dans les années qui suivirent.

La leçon n’est pas compliquée à tirer : la vraie vie culturelle, elle est ici, au Québec, et pour l’instant ce n’est pas rose. Nous avons mille événements autour du cinéma, mais aucun qui puisse attirer les regards d’ici et d’ailleurs, en même temps, avec force et crédibilité. Nos cinéastes québécois préfèrent même une première à Toronto plutôt qu’au FFM. C’est tout dire. Il serait peut-être temps d’arrêter d’essayer de vendre à tout prix nos films à l’étranger et de commencer par créer l’engouement à partir d’ici.

Les films québécois en sélection officielle



  • 1963: Pour la suite du monde (Michel Brault et Pierre Perreault)

  • 1972: La vraie nature de Bernadette (Gilles Carle)

  • 1973: La mort du bûcheron (Gilles Carle)

  • 1974: Il était une fois dans l'Est (André Brassard)

  • 1975: Les ordres (Michel Brault)

  • 1977: Le vieux pays où Rimbaud est mort (Jean-Pierre Lefebvre)

  • 1977: J.A. Martin photographe (Jean Beaudin)

  • 1980: Fantastica (Gilles Carle)

  • 1985: Joshua Then And Now (Ted Kotcheff)

  • 1989: Jésus de Montréal (Denys Arcand)

  • 1992: Léolo (Jean-Claude Lauzon)

  • 1993: L'homme sur les quais (Raoul Peck, Coproduction avec la France)

  • 2001: La répétition (Catherine Corsini, Coproduction avec la France)

  • 2003: Les invasions barbares (Denys Arcand)

  • 2003: La petite Lili (Claude Miller, Coproduction avec la France)



  • Films québécois primés




  • 1955: Blinkity Blank, de Norman McLaren (palme d’or du court métrage)

  • 1957: Capitale de l’or, de Wolf Koenig et Colin Low (prix du meilleur documentaire, court métrage)

  • 1960: Notre univers, de Roman Kroitor et Colin Low (prix du meilleur documentaire, court métrage)

  • 1972: Zikkaron, de Laurent Coderre (grand prix de la Commission supérieure technique, court métrage)

  • 1973: Balablok, de Bretislav Pojar (palme d’or du court métrage)

  • 1974: La faim, de Peter Foldès (prix du jury, court métrage)

  • 1975: Les ordres, de Michel Brault (prix de la mise en scène)

  • 1977: J.A. Martin photographe, de Jean Beaudin (prix d’interprétation féminine pour Monique Mercure, prix du jury oecumnique)

  • 1980: L’artiste, de Norma Bailey (prix du jury, court métrage)

  • 1981: Zea, de André et Jean-Jacques Leduc (prix du jury, court métrage)

  • 1982: Les fleurs sauvages, de Jean-Pierre Lefebvre (prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique pour un film hors compétition)

  • 1986: Le déclin de l’empire américain, de Denys Arcand (prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique pour un film hors compétition)

  • 1989: 50 ans, de Gilles Carle (palme d’or du court métrage)

  • 1989: Jésus de Montréal, de Denys Arcand (prix du jury, prix du jury oecuménique)

  • 1999: When The Day Breaks, de Amanda Forbis et Wendy Tilby (palme d’or du court métrage)

  • 2001: Atanarjuat: la légende de l’homme rapide, de Zacharias Kunuk (caméra d’or)

  • 2003: Les invasions barbares, de Denys Arcand (prix d’interprétation féminine pour Marie-Josée Croze, prix du scénario)

  • 2004: L’homme sans ombre, de Georges Schwizgebel (prix regards jeunes, court métrage, semaine de la critique)

  • 2004: CQ2, de Carole Laure (Grand rail d’or du long métrage, semaine de la critique)

  • 2006: Conte de quartier, de Florence Miailhe (mention du jury, court métrage)

  • 2007: Madame Tutli-Putli, de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski (Grand prix du meilleur cours métrage et petit rail d’or, semaine de la critique)

  • jeudi, avril 09, 2009

    lundi, avril 06, 2009

    Médias doxiques



    Je n'ai pas fini de le citer Deleuze... Cet appel à donner son opinion comme si c'était la chance de votre vie me rappelle ce passage savoureux sur la doxa.


    «Il est vrai que parler à beaucoup de sens, mais pour moi, parler ne peut avoir qu’un sens. Parler ça peut vouloir dire que chacun s’exprime. C’est le contraire de la philosophie. Il y a un très beau texte de Platon, dans un dialogue avec Socrate où Socrate dit : c’est curieux ce qui se passe, il y a des sujets sur lesquels personne n’ose parler, à moins d’être compétent. Par exemple sur la fabrication des chaussures, ou sur la métallurgie. Et puis il y a une masse de sujets où tout le monde se croit capable d’avoir un avis. C’est un bon thème socratique, ça. Et, hélas, cette masse de sujets sur quoi tout le monde croit pouvoir avoir un avis et qui, dès lors sont agité particulièrement avant ou après dîner, ou pendant le dîner : qu’est-ce que tu penses de ça, quel est ton avis, ça couvre précisément ce qu’on appelle philosophie. Si bien que la philosophie, c’est la matière où tout le monde a une opinion.

    Savoir si Dieu existe ? Ça on peut toujours en parler au moment du fromage. Savoir si Dieu existe. Chacun à un avis sur une question comme ça, chacun à son truc à dire. En revanche sur la fabrication des chaussures ?...Là on est beaucoup plus prudent parce que on a peur de dire des bêtises. Mais voilà que sur Dieu on a aucune peur de dire des bêtises ; c’est quand même curieux. Là, Socrate a saisi, à l’aurore de la philosophie, il a saisi quelque chose qui était parfait. Pourquoi ? Si on comprenait ça on comprendrait tout. La philosophie qu’est-ce que c’est ? La philosophie c’est quelque chose qui vous dit d’abord : tu ne t’exprimeras pas. Tu ne t’exprimeras pas. L’année dernière je parlais de ces appels qui étaient le seul vilain coté de 1968 : exprime toi, exprime toi, prends la parole. Alors que on ne se rend pas compte, encore un fois, que les forces les plus démoniaques, les forces sociales les plus diaboliques, sont les forces qui sollicitent, qui nous sollicitent de nous exprimer. C’est ça les forces dangereuses.

    Considérez la télé [ou la radio ou le web], elle ne nous dit pas : tais-toi, elle nous dit tout le temps : quel est ton avis ? quel est votre avis ? quel est votre avis la-dessus, quel est votre avis sur l’immortalité de l’âme ? sur le génie de Pivot, sur la popularité de Maurois, etc.. Et puis il faut vous exprimer. On va aménager votre quartier, il va y avoir un cahier des charges, il y a tout ça. Je dis que c’est un danger, un danger immense.

    Il faut arriver à résister à ces forces qui nous forcent à parler quand on a rien à dire. C’est fondamental. Aussi toute parole qui consiste à dire son avis sur quelque chose est l’anti-philosophie même, puisque les grecs avaient un mot très bon pour ça, c’est ce qu’ils appelaient la doxa et qu’ils opposaient au savoir, avant même de savoir si le savoir c’était quelque chose d’existant : est-ce qu’il y a du savoir ? En tout cas on sait que la philosophie n’est pas l’affrontement des opinions. Donc parler ce n’est pas moi disant par exemple : moi, voilà ce que je pense, et vous me disant : ha bien non je ne pense pas comme ça. Dans la mesure où vous êtes philosophe, vous refusez de participer à toute conversation de ce type, à moins qu’elle ne porte sur l’insignifiant. Alors là sur l’insignifiant c’est tellement gai de dire : ha tu as bonne mine aujourd’hui ! Non je n’ai pas bonne mine je ne me sens pas bien. Ça c’est la doxa, c’est le règne de l’opinion, et c’est aussi l’amitié. L’amitié se forme au niveau de la doxa.»

    dimanche, avril 05, 2009

    Autour de Elle veut le chaos


    La dernière fois où j’ai réagi par un aussi long billet, ce fut après avoir vu Funny Games de Haneke. C’est un film non sans quelques similitudes – dans son désir de provocation - qui me ramène au flot des mots, j’ai nommé Elle veut le Chaos de Denis Côté. Ce billet est devenu une espèce de monstre indomptable, un long tunnel où j’ai pensé rebrousser chemin plusieurs fois. Finalement, j’ai décidé de scinder l’aventure (ou le monstre) en deux, me disant qu’en publiant la première partie sur le discours, je me sentirais obligé de publier la deuxième partie sur l’objet filmique.

    À la belle époque du ICI, je lisais avec plaisir les critiques de Denis Côté, puis on a appris qu’il laissait l’écriture pour se consacrer au cinéma, en amont cette fois, derrière la caméra. Depuis son premier long métrage, j’admire beaucoup sa démarche du «filmer à tout prix», probablement plus que ses films eux-mêmes d’ailleurs. J’avais pris son premier long métrage pour ce qu’il était, un docu-fiction comportant quelques maladresses (cette impression plutôt neutre tient du présent plutôt que du passé, j’étais enthousiaste suite au visionnement). Puis c’était le tour de Nos vies privées avec cette première moitié insupportable suivie d’une sorte de moment de moment de rédemption, pour les personnages comme pour les spectateurs. Et voilà maintenant qu’arrive Elle veut le chaos. C’est ce film qui me sort du mutisme, lui comme la critique et le discours qui l’entourent.

    Par où commencer ? Je commencerai par ce point de départ : Elle veut le chaos m’a ennuyé et agressé. À partir de là, je peux me mentir ou essayer d’analyser ce qui s’est passé. Au cinéma, l’expérience doit primer sur tout. Pourquoi se mentir ? Parce que quand on a un parti pris, celui d’aimer le cinéma d’auteur et de vouloir le défendre, on peut se dire qu’après tout c’est extraordinaire et n’y chercher que ce qui nous plaît. Mais la réalité, c’est-à-dire l’expérience en salle minute par minute, elle, est toujours vraie. On ne peut que s’en rapprocher ou s’en éloigner dans le discours.

    Ce qui me fait grandement réagir, ce sont les textes que je lis sur Denis Côté et plus particulièrement sur Elle veut le chaos. J’ai cette forte intuition qu’on cherche à le protéger. Non, je me trompe, car il y aurait dans ce but quelque chose d’encore assez noble. Pire que cela, j’en soupçonne certains de vouloir s’approprier l’image que Côté a su se créer. Vous savez, tel un jeune qui porte un t-shirt à l’effigie du Che, on a l’impression que certains portent la casquette révolutionnaire «Cinéma indépendant» (avec ici le visage de Côté) sans savoir vraiment ce qu’ils défendent. Il ne faut pas se le cacher, n’y aurait-il pas un certain prestige à dire «vous savez, c’est un cinéma peu accessible, mais moi j’ai compris, je fais partie de cette élite qui sait apprécier l’Art». Ainsi j’ai lu des textes élogieux sur des blogues, des sites de cinéma, aussi un texte assez peu nuancé dans le Cinébulles, un autre de Charles-Stéphane Roy (bien écrit comme d’habitude mais qui ne me convainc pas) et le comble est certainement la critique de Marc-André Lussier. Allez savoir s’il attribue lui-même la cote ou si cette tâche revient à un pupitreur, mais sur une note de 3.5 sur 5, je ne vois strictement pas où est passée la nuance de 1.5 sur 5. Il termine ainsi sa critique «Ce film très singulier ajoute une pierre de plus dans la construction de l’une des œuvres les plus originales du jeune cinéma québécois. C’est à prendre ou à laisser. Nous, on prend.» Nous, on prend? On ne sait pas vraiment quoi. L’originalité? Le mot difficile? L’idée du cinéma différent? Ou alors le statut de «celui qui a compris», le statut d’initié mystique?

    Quand on voit comment Lussier peut démolir sans aucune nuance des films grand public comme À vos marques… party! ou Le Bonheur de Pierre, on sent que ce n’est pas tant le désir de communiquer une réflexion honnête sur le cinéma qui compte que celui de s’arroger un certain rang. En fait, on pourrait clairement parler de snobisme.

    La définition du Petit Robert me suffit amplement; est snob une «personne qui cherche à être assimilée aux gens distingués de la haute société, en faisant étalage des manières, des goûts, des modes qu’elle lui emprunte sans discernement et sans besoin profond, ainsi que des relations qu’elle y peut avoir». Et cette adorable citation : «Le vrai ‘snob’ est celui qui craint d’avouer qu’il s’ennuie quand il s’ennuie; et qu’il s’amuse quand il s’amuse» (VALÉRY). Prenons une pause pour méditer. Cette citation dit tout, explique tout, illustre tout. C’est ce qui guette tout critique de cinéma, du critique-moulin en carton-pâte fait maison au critique-statuette plaqué or sur piédouche.

    Attention, il ne faudrait pas croire que je m’attaque à Lussier en particulier, lui étant le criminel et les autres d’innocents et brillants critiques. Chaque critique est susceptible de craquer à chaque film et de voiler sa véritable expérience en salle pour plaire à la Critique. Quand on méprise ou qu’on encense une œuvre à outrance «sans discernement et sans besoin profond», quel est le but sinon de montrer à quel «camp» on appartient? (J’insiste ici sur l’équation – ou inadéquation - mépris ou encensement + sans profondeur = malhonnête ou injuste.)

    Lorsque Gérard Grugeau critique Nos vies privées dans un article intitulé «Nuages dans un ciel rosé du cinéma» (24 Images, no 134), on aurait beau avoir détesté le film au plus haut point, on ne peut pas remettre en cause l’honnêteté de Grugeau tellement son texte constitue une sorte d’extension à son expérience en salle. Mais il y met l’effort, le temps qu’il faut pour trouver les mots justes afin de la rendre vivante et vraie aux yeux du lecteur. Cette critique sur Nos vies privées confirme d’ailleurs ce qu’il affirmait en 2000 lors d’une table ronde (exercice fort louable qui a fait l’objet d’un article, «Critique et cinéastes : responsabilité commune», 24 Images, no 101, que tous ceux qui s’intéressent à la critique devraient lire)


    «J’ai l’impression que le cinéma et la critique ont toujours été intimement liés. André Bazin disait que faire de la critique, c’est prolonger le plus loin possible le choc de l’œuvre. Moi, je trouve beaucoup de plaisir à essayer de faire en sorte de trouver un style, des images qui peuvent traduire le film, qui sont dans son prolongement. Essayer, à travers l’écriture, de prolonger le choc esthétique que j’ai reçu, que le texte soit le reflet de l’émotion que j’ai ressentie à la vision du film.»


    Voyez, même Bazin l’a dit.

    Sur ce besoin de transmettre le «reflet de l’émotion», Grugeau lui-même nuance un peu plus loin dans l’entretien au profit de l’intellect :

    «Je crois que c’est là toute la difficulté de l’exercice. On part toujours d’émotions, d’intuitions, mais c’est d’arriver à dépasser ce stade-là et, d’une certaine façon, de faire prévaloir l’intellect sur l’affect, qui est important. Parce qu’on apprend aussi avec le temps qu’il faut se méfier des émotions. Certains films peuvent être extrêmement perturbants, venir nous chercher au moment où on les voit, mais avec le recul, et la possibilité que l’on a dans une revue d’aller les revoir (car je vois toujours un film deux fois avant d’en faire la critique), mon point de vue peut changer. Et pour moi, cela demeure toujours une difficulté et un défi de faire la jonction entre ces deux aspects, de trouver le juste milieu entre l’émotion et la réflexion, qui me permet de comprendre ce qui est en jeu dans le film.»


    Et puis tenez, je vois que Marie-Claude Loiselle renchérit justement au propos de Grugeau : «C’est d’arriver en fait à dépasser le niveau de l’impulsion, qui gouverne toute ladite «critique», ou plutôt le commentaire, sur le cinéma aujourd’hui : le feeling, comme on l’appelle, qui est purement et simplement de l’ordre du réflexe. Le jugement est aujourd’hui impulsif». À partir de la critique de Grugeau sur Nos vies privées, on peut même se demander si l’affect n’aurait pas prévalu sur l’intellect, comme quoi aucun critique ne serait à l’abri des ravages de ses propres impulsions.

    Le plus intransigeant à ce sujet est certainement André Roy :

    «Moi, je dirais que la critique est antitotalitaire, c’est-à-dire qu’elle va contre les consensus, le sens commun, le sentimentalisme. Le sens du mot critique, c’est «remettre en question». Donc, on remet en question le film, mais on se remet aussi soi-même en question – ce que le film nous amène à faire. Je me méfie toujours des films qui vont droit à l’estomac, et je me souviens d’avoir dit à deux, trois personnes, qui ont trouvé épouvantable que je dise une telle chose : que le public a toujours tort. Toute l’histoire de l’art et de la littérature est là pour en témoigner – et j’inclus aussi l’élite là-dedans. On constate qu’au XVIIIe siècle, on a préféré Salieri à Mozart, qu’à la fin du XIXe siècle, on estimait les peintres pompiers plutôt que les impressionnistes, et cela a toujours été ainsi. Et c’est pourquoi il faut toujours essayer d’aller voir derrière l’image, contre le sens commun. C’est précisément le rôle de la critique de constamment interroger, afin que le lecteur soit un peu ébranlé dans ses positions en la lisant.»


    Il se trouve qu’André Roy a critiqué Elle veut le chaos, se cantonnant du côté de l’intellect sans trop dévoiler l’affect :

    «S’il y a un film qui ne demande aucune complicité ni aucune soumission au spectateur, c’est bien Elle veut le chaos, de Denis Côté, qui en est déjà à son troisième opus en trois ans. Son film, en noir et blanc, est lugubre; on est dans la damnation, la dévastation, dans un désert où les sentiments n’ont pas droit de cité – sauf peut-être chez «Elle», Carolie. Le paysage se confond avec l’univers psychologique et moral des ruraux qui s’y trouvent, dont un groupe de criminels à la mine patibulaire. Ces derniers sont comme les oubliés du cinéma québécois, la face honteuse d’une société, qu’on aurait déterrés à l’occasion (après tant de films sur les petits-bourgeois du Plateau et les habitants de lofts montréalais); ils sortent du limon, de la fange, de la boue; ils en sont la métaphore. Ils sont à la limite de l’idiotie, pesants, violents. Des sortes de bouffons de l’aphasie morale, de la schizophrénie sociale. On n’est pas loin avec eux du théâtre de l’apocalypse, de la comédie de l’eschatologie. Pour nous y plonger, Denis Côté use en abondance de l’ellipse et de la suture. Farce tragique, son récit est lacunaire, tablant sur un certain primitivisme dans la représentation, ce qui le rend aride; il est composé comme un puzzle, dont la cohérence ne devra apparaître qu’à la fin. Son atmosphère est étouffante, écrasante, claustrophobique. On perçoit bien dans cette entreprise une volonté d’afficher des partis pris formels, d’y être sans concession, ce que l’on prendra peut-être comme agression ou de la fausse audace. Le cinéaste dépose effectivement ses marques et montre ses références, dont Andreï Tarkovski, Béla Tarr, Aki Kaurismäki, mais sans adopter d’eux la quête spirituelle ou mystique, ou la rédemption. Guère de salut donc; rien que des ruines, la mort, le viol mental, l’exploration du mal. C’est à la limite du névrotique. Dur, dur. Et plutôt assez unique dans le cinéma québécois. Le film a remporté à juste titre le Prix de la mise en scène au festival de Locarno, en Suisse, en août dernier.» (24 Images no 141)


    Voilà qui est beaucoup plus nuancé et équilibré qu’un Lussier, par exemple. On sent que Roy éprouve des sentiments contradictoires, mais qu’il y reconnaît du talent, au moins aux plans de la mise en scène et de la forme. Habile, il écrit «ce que l’on prendra peut-être comme agression ou de la fausse audace» sans qu’on sache ce que lui en pense. Pour ma part, je n’irais pas jusqu’à parler de fausse audace, mais je me suis déjà approprié l’«agression».

    Denis Côté fait partie de ceux qui veulent faire du cinéma qui provoque. Serait-ce l’échec pour Côté? En annonçant d’avance que son cinéma est difficile, quel amateur de cinéma hollywoodien ira au Parallèle ou au ciné-club le lundi soir pour voir son film? Et la critique? Il provoque la critique? À part quelques réserves, je ne vois que des gens le flatter et lui taper dans le dos depuis Les États nordiques. Pourtant, je le trouve provocant à souhait son film, ce qui me fait douter des réactions des flagorneurs.

    Des bonnes idées et des beaux plans, le film de Côté en est rempli. Mais ça ne suffit pas. Une œuvre d’art doit être stimulante, faire éprouver quelque chose sur-le-champ. Elle doit faire oublier au spectateur qu’il est dans la salle devant un écran, donc le transporter dans un ailleurs, peu importe par quel artifice séducteur, lui faire éprouver un quelconque «plaisir». Côté ne se permettant aucun artifice, le spectateur a l’impression de se trouver devant de l’anti-cinéma, devant une sorte de gros négatif en blanc et noir du cinéma hollywoodien. Toutes pistes brouillées, on finit par se demander si ce n’est pas le vide pur. Il reste les images bien sûr, mais est-ce bien suffisant?

    C’est ce que nous verrons dans le deuxième tronçon de ce tunnel.