Dans La Presse du 19 mai, Nathalie Collard commençait son article par ce paragraphe : "Quand la nomination de Patrick Beauduin a été annoncée à l'automne 2010,
les commentaires n'ont pas tardé à fuser dans la grande tour du
boulevard René-Lévesque: qu'est-ce qu'un publicitaire (il avait été
vice-président à la création chez Cossette) connaissait à la radio
publique?"
Je crois que la question se pose toujours. Quand je compare le cheminement d'un technocrate carriériste comme Beauduin à celui d'un homme comme Pierre Juneau qui avait fait son cours classique, qui avait été à la tête de l'ONF, d'un festival du film à Montréal, du CRTC et de Radio-Canada et qui était surtout amoureux de la culture au sens large, je me dis que les temps ont changé, et pas pour le mieux. Tout ce qui est culturel maintenant tend à être géré par des gestionnaires professionnels, diplômés, maîtres des règles, des politiques, des rouages et de la nomenclature de l''industrie" culturelle avec ses niches et ses courbes scientifiques. Et pas seulement les gestionnaires, même une cinéaste comme Chloé Robichaud a étudié à l'INIS "Pour me retrouver dans la vraie vie et avoir à négocier des budgets et
des salaires avec des syndicats. Ça a l'air un peu bête, mais le cinéma
est une grosse machine et il faut en connaître les rouages." On peut bien mettre les cours de littérature en option en arts. Étudions la gestion et la technique pour devenir de bons artistes.
Le pire, c'est que maintenant tout est sous le chapeau de plus en plus grand de la communication où règne le discours utilitariste, laudatif, univoque, crédule, naïf, aseptisé, etc., mais en subtilisant tout le discours de rébellion, d'originalité et de liberté. J'ai toujours cette image du jeune "rebelle" de la banlieue qui, pour bien marquer qu'il est hors du système, s'habille comme un ex-prisonnier des bas-fonds new-yorkais avec 1500$ de fringues de grandes marques sur le dos.
En réaction à cet article de La Presse, j'ai lu un commentaire très intelligent sur la situation à la radio de Radio-Canada et je tiens à le publier ici en gardant son anonymat pour le protéger.
"[...] il
est important de mentionner le fait qu'à mon humble avis, la direction
sans direction d'Espace musique est responsable de la démise de cette
chaîne qui avait le potentiel de devenir la radio la plus allumée,
amicale, excitante et branchée du réseau hertzien francophone
pan-canadien.
Malheureusement, le désir de "plaire à tout prix à une
majorité de gens" et la peur de confronter les "valeurs établies et du
ronron des tendances à la mode" tout comme son refus d'être à l'écoute
de ses artisans et de ses auditeurs ont contribué à lui faire commettre
un tas d'erreurs grossières tant au niveau de la programmation que de
l'animation et la promotion résultant dans le fait qu'Espace musique est
un constat d'échec sur toute la ligne au point que Patrick Beauduin
considérait mettre fin à la chaîne telle que nous la connaissons.
Contrairement aux dires et aux écrits de certains, faire de la "bonne
radio" ne coûte pas cher: Il suffit d'engager des personnes de terrain
au lieu de gestionnaires insipides et déconnectés et de leur faire
confiance une fois que leurs mandats respectifs ont été clairement
identifiés et ratifiés un point c'est tout! Nul besoin d'une équipe de 4
ou 5 personnes pour créer une émission que les auditeurs attendent avec
impatience et plaisir. Un réalisateur/animateur impliqué et allumé qui
fait sa propre recherche et qui signe de façon créeative et responsable
le contenu des émissions qu'il programme lui-même fait non-seulement
très bien l'affaire, mais coûte aussi 4 ou 5 fois moins cher qu'une
équipe produisant une émission style-genre "recette de cuisine" peu
originale, redondante et ennuyante allant dans le sens contraire du
mandat de la radio publique sans tenir compte des goûts d'un auditoire
toujours curieux de découvrir des sons, des contextes et des idées
nouvelles.
Mettre fin à Espace musique n'est certainement pas la bonne
solution. Par contre, retourner à la table à dessin et donner la chance à
une radio publique humaine, amicale, intéressante, cultivée, artistique
tout en étant amusante, éducative et accessible est un défi tout à fait
possible en autant que les "gros fromages" de la SRC fassent preuve de
sagesse et d'humilité en reconnaissant les erreurs qu'ils ont commis et
qu'ils soient suffisamment ouverts pour donner la possibilité à Espace
musique de devenir la chaîne qu'elle aurait pu et dû être depuis
plusieurs années au risque de rappeler certains de ses animateurs/trices
congédiés pour des raisons plus ou moins vaseuses et dont je fais
malheureusement partie... Il me semble qu'une telle proposition serait
beaucoup plus simple, logique et positive ainsi que dans l'intérêt de
tous les fidèles de la RADIO PUBLIQUE car il y en a encore énormément.
Saborder Espace musique à cause d'erreurs commises par une Direction
déconnectée de ses artisans et de son auditoire serait cruel et
malheureux alors qu'avec du savoir-faire et une attitude ouverte, tout
est absolument possible!"
mardi, mai 21, 2013
mardi, mai 14, 2013
Critique, dissidence, désertion
Un des meilleurs entretiens qu'il m'ait été donné de lire dans les dernières années. Inclusion, servitude volontaire, intellectuel justificateur, rebelle de service, animateur culturel, plasticiens, gavage, désensibilisation, triomphe de l'insignifiance, inculture... Quand Annie Lebrun parle de la culture aujourd'hui, j'ai tellement de flashs de journalistes, d'animateurs, de fonctionnaires, de critiques, d'intellectuels, de films, de cinéastes et autres artistes du Québec. Je laisse le texte vous évoquer vos propres références.
Voici mes extraits préférés, j'ai mis le lien vers l'entretien complet au format pdf à la fin.
« En affirmant « Nous n'avons pas de talent », eux [les
surréalistes] qui en avaient plus que quiconque, voulaient prendre la plus
grande distance avec la non-pensée artistique qui avait servi à couvrir une
société s'étant révélée indéfendable. Le problème est que ce genre de
proposition est aujourd'hui retournée pour justifier l'inculture et
l'incapacité de gens qui, sous prétexte de « créativité », ne cherchent qu'à
occuper le terrain. Dans le même temps, cette exaltation de l'ignorance fait
prospérer une nouvelle génération cynique de publicitaires ou de « plasticiens
» qui ont bien compris quel parti ils peuvent en tirer pour vivre
confortablement. Faute de créer quoi que ce soit, cette nomenklatura impose une
expression essentiellement pléonastique. »
« Le spectacle de la folie nous serait exhibé, dissuadant
de toute dissidence ?
-Oui et de façon très habile. On pourrait ici parler
d'inclusion par exclusion. D'autant que les choses se compliquent quand on est
vivant et qu'on ne veut pas devenir fou. Car si l'asile était la meilleure arme
des régimes totalitaires après les camps, nos sociétés ont tôt fait de vous enfermer dans une sorte de paranoïa
pour peu que vous les considériez d'un oeil
critique. En ce sens, Benjamin Péret avait prévu le piège de cette nouvelle
escroquerie au poète maudit en déclarant que c'est désormais au poète de
maudire le monde. Position, on l'imagine, des plus difficiles à tenir dans des
sociétés où la servitude volontaire est devenue la chose la mieux partagée du
monde, incitant chacun à jouer son rôle, fût-ce celui du rebelle de service. »
« Car le fait est qu'on ne vous paye jamais pour être libre. Ainsi me parait-il
difficile d'avoir un rapport critique à ce monde, tout en étant rétribué pour y
exercer un certain pouvoir. C'est aujourd'hui malheureusement autant le cas des
intellectuels majoritairement universitaires que celui des artistes cherchant
de plus en plus à être subventionnés. Du coup, il ne faut pas s'étonner que les
intellectuels, à quelques exceptions
près, aient de moins en moins de scrupules à se faire les justificateurs de ce qui est, quand les artistes se laissent réduire au rôle d'animateurs culturels. Il n'y a pas d'un côté la vie et de l'autre
la pensée ou l'art. Telle est pour moi l'inconséquence majeure à l'origine de
l'actuel triomphe de l'insignifiance.
D'autant que, même s'il est difficile d'échapper à l'actuel quadrillage du
monde intellectuel et sensible, rien ne peut s'inventer dans les enclos du
pouvoir. »
« Comme si, à un moment, le refus d'obligation d'être
devait se transformer en une nouvelle identité qui devient une autre obligation
d'être. Là est le danger de toute revendication identitaire toujours en proie
d'être relayée par un désir d'insertion sinon de pouvoir. »
« Un des principes du monde qui nous est imposé est l'inclusion, ce qui n'existait pas
auparavant. Cette nouvelle forme de servitude
volontaire est ce que j'appelle la « différence intégrée ». Vous êtes
différent, parfait. On vous reconnaît comme tel. Mais cette reconnaissance
équivaut à la mise en place d'un cordon de sécurité, puisqu'elle suppose la suspension de toute critique. Sans
doute, au cours du siècle passé, trop d'intellectuels en sont-ils venus à
accepter l'idéologie qu'ils prétendaient combattre. Même si ce fut, trop
souvent, pour des raisons peu reluisantes, fatigue, désir d'être reconnu,
crainte d'une situation précaire - et dans bien des cas, cela reste une énigme
-, les uns et les autres ont cédé à une société qui leur était hostile, alors
que le propre de la nôtre est au
contraire de faire l'économie de tout affrontement, instaurant une véritable
banalisation de la servitude. »
« Quel rapport tissez-vous entre l'individu et le
groupe ?
Cette question est certainement l'une des plus
révolutionnaires aujourd'hui. C'est là que le nombre rattrape l'unique et fait
un noeud encore plus difficile à dénouer depuis que la question de l'identité
ne cesse d'altérer la relation à l'autre sur le modèle du même. »
« Oui, nous sommes face à une désensibilisation par
gavage, avec l'anéantissement de tout esprit critique qui va de pair. Le voilà
ce libertinage culturel qui est désormais l'apanage de l'esprit fort
d'aujourd'hui, de l'homme connexionniste, dont la qualité essentielle est de
pouvoir passer d'une chose à l'autre sans jamais s'investir véritablement. À
cette mobilisation par désensibilisation systématique, ne serait-il pas temps
d'opposer une désertion visant à re-passionner la vie ? »
Entretien avec Annie Lebrun
Attention ! L'ingestion de l'entretien qui suit peut provoquer des lésions mentales irréversibles. Annie Lebrun, écrivain et philosophe, auteur de plusieurs essais remarquables et de pamphlets sur l'embrigadement féministe, a répondu à nos questions. Sa conception intransigeante de la liberté et le sens de la révolte qui l'anime en font l'un des rares esprits qui oxygènent une époque asphyxiante. Discussion avec une insoumise qui trempe sa plume dans une encre noire comme un ciel d'orage.
Attention ! L'ingestion de l'entretien qui suit peut provoquer des lésions mentales irréversibles. Annie Lebrun, écrivain et philosophe, auteur de plusieurs essais remarquables et de pamphlets sur l'embrigadement féministe, a répondu à nos questions. Sa conception intransigeante de la liberté et le sens de la révolte qui l'anime en font l'un des rares esprits qui oxygènent une époque asphyxiante. Discussion avec une insoumise qui trempe sa plume dans une encre noire comme un ciel d'orage.
lundi, avril 29, 2013
Top 10 des cinéastes
Je suis tombé sur ces Top 10 de films préférés de cinéastes en cherchant complètement autre chose sur Internet. Je suis un peu quoique agréablement surpris de voir à quel point, de Denys Arcand à Tarkovski en passant par Roger Corman et Tim Robbins, les références aux mêmes grands cinéastes sont très nombreuses. Comme quoi une culture commune forte et signifiante a quelque chose à voir avec le talent et la capacité de créer soi-même quelque chose de qualité. On n'y échappe pas.
Top 10 Films, as picked by filmmakers
jeudi, avril 18, 2013
La neutralité n'existe pas
Dans un article publié dans Hors Champ, j'écrivais : "Un exemple de système clos et biaisé consiste à jouer le jeu de ne pas imposer de valeurs. Comme tel cinéaste qui ne veut pas imposer d’émotion et tel commentateur d’applaudir « parce que l’auteur n’impose pas de valeurs ou de point de vue ». Le spectateur devrait-il être content de tant de respect mutuel ? D’une part c’est faux, toute œuvre et toute critique est orientée et porteuse de valeurs (au moins esthétiques, par des choix ou des non-choix), d’autre part quel idéal y a-t-il à ne rien recevoir, à rester confortable dans ses positions, à « voir le réel » sans recul, sans intervention ? Ne venons-nous pas d’anéantir l’art et la critique dans leur fonction ?"
Du peu que je lis de nos commentateurs prolifiques, je constate qu'ils s'extasient invariablement devant des "propositions" poétiques de films IKEA (je reprends l'expression de Simon) parce qu'ils peuvent y accoler leurs propres émotions et leur propre vécu nombriliste. Ils ont l'impression jouissive qu'on ne leur impose rien. C'est toujours la même rengaine quoi.
Pour faire changement de ce babillage toujours gazouillé sur le même air, et en attendant de me décider à faire des choses plus utiles et plus saines comme d'habiter dans le Grand Nord pour pêcher la truite arctique le reste de ma vie, je lis Temps et récit de Paul Ricoeur pour m'oxygéner l'esprit et me changer les idées. Or je tombe sur ce passage fort intéressant qui rejoint les préoccupations formulées dans l'extrait précédent.
"La Poétique ne suppose pas seulement des "agissants", mais des caractères dotés de qualités éthiques qui les font nobles ou vils. Si la tragédie peut les représenter "meilleurs" et la comédie "pires" que les hommes actuels, c'est que la compréhension pratique que les auteurs partagent avec leur auditoire comporte nécessairement une évaluation des caractères et de leur action en termes de bien et de mal. Il n'est pas d'action qui ne suscite, si peu que ce soit, approbation ou réprobation, en fonction d'une hiérarchie de valeurs dont la bonté et la méchanceté sont les pôles. Nous discuterons, le moment venu, la question de savoir si une modalité de lecture est possible qui suspende entièrement toute évaluation de caractère éthique. Que resterait-il en particulier de la pitié qu'Aristote nous a enseigné à relier au malheur immérité, si le plaisir esthétique venait à se dissocier de toute sympathie et de toute antipathie pour la qualité éthique des caractères? Il faut savoir en tout cas que cette éventuelle neutralité éthique serait à conquérir de haute lutte à l'encontre d'un trait originairement inhérent à l'action: à savoir précisément de ne pouvoir jamais être éthiquement neutre. Une raison de penser que cette neutralité n'est ni possible ni souhaitable est que l'ordre effectif de l'action n'offre pas seulement à l'artiste des conventions et des convictions à dissoudre, mais des ambiguïtés, des perplexités à résoudre sur le mode hypothétique. Maints critiques contemporains, réfléchissant sur le rapport entre l'art et la culture, ont souligné le caractère conflictuel des normes que la culture offre à l'activité mimétique des poètes. Ils ont été précédés sur ce point par Hegel dans sa fameuse méditation sur l'Antigone de Sophocle. Du même coup, la neutralité éthique de l'artiste ne supprimerait-elle pas une des fonctions les plus anciennes de l'art, celle de constituer un laboratoire où l'artiste poursuit sur le mode de la fiction une expérimentation avec les valeurs? Quoi qu'il en soit de la réponse à ces questions, la poétique ne cesse d'emprunter à l'éthique, lors même qu'elle prône la suspension de tout jugement moral ou son inversion ironique. Le projet même de neutralité présuppose la qualité originairement éthique de l'action à l'amont de la fiction. Cette qualité éthique n'est elle-même qu'un corollaire du caractère majeur de l'action, d'être dès toujours symboliquement médiatisée."
Temps et récit 1. L'intrigue et le récit historique, Éditions du Seuil, p. 116-117
jeudi, avril 11, 2013
Claude Jutra sur la naissance du cinéma et À tout prendre
En 1963, le Festival international du film de Montréal (FIFM) créait le Festival du cinéma canadien (FCC), un événement compétitif. Lors de cette première édition, Claude Jutra présentait son premier long métrage, À tout prendre, le 10 août et il remportait le grand prix du jury. Le film avait cependant été présenté avec Pour la suite du monde en privé avant cette date. Dans une lettre de l'Association professionnelle des cinéastes (APC) datée du 27 janvier 1964, on peut lire "Deux films canadiens de long métrage – « Pour la Suite du Monde » et « A Tout Prendre » - furent projetés en avant-première pour les membres de l’association. De plus, les membres furent invités à rencontrer les cinéastes tchèques lors de leur passage à Montréal, ainsi que les cinéastes étrangers invités au Festival du film (J.L. Godard, Roman Polanski, Lindsay Anderson, Vittorio Baldi, André Martin, etc…)" À tout prendre était à l'affiche l'année suivante le 15 mai 1964.
En 1963, un peu avant l'annonce de la création du FCC, les cinéastes venaient de se regrouper en fondant l'Association professionnelle des cinéastes dont le premier président n'était nul autre que Claude Jutra. Il le sera jusqu'au 24 mars 1964, date à laquelle le secrétaire Guy L. Coté en devient le président. En 1964, l'association était très active et elle avait envoyé plusieurs mémoires au gouvernement. Par exemple en début d'année, en 1964, les cinéastes avaient envoyé au Secrétaire d'État du Canada le mémoire "Vingt-deux raisons pour lesquelles le gouvernement du Canada doit favoriser la création d'une industrie de cinéma de long métrage au Canada et s'inquiéter des conséquences économiques et culturelles de l'état actuel de la distribution et de l'exploitation des films". Ce mémoire fut répercuté par la presse qui le désignait bientôt comme « les 22 raisons des 104 ».
Le premier long métrage de Jutra était donc passé au FIFM en 1963 et il était à l'affiche en mai 1964. Jutra avait aussi eu le temps d'être président de l'APC et de participer de près aux réflexions sur l'état du cinéma. Probablement suite à sa rencontre avec les cinéastes tchèques lors du FIFM de 1963, il se retrouve en juillet 64 au festival de Karlovy Vary (Lindsay Anderson s'y retrouve aussi). C'est à Karlovy Vary que Claude Jutra va sentir le besoin de mettre sur papier certaines idées dans le but d'en faire un manifeste qui n'a probablement jamais été publié par la suite. Je suis tombé par hasard sur une partie de cette documentation dans un dossier déposé à la Médiathèque. Je découvre toutefois sur le site de Nouvelles vues un texte qui me semble la suite logique du document que j'ai découvert, mais qui doit se trouver dans une autre chemise. Comme le texte n'est pas daté, on doit déduire sa datation à partir des éléments internes. Pour ma part cela est relativement facile. Claude Jutra affirme dans le texte qu'il se trouve à Karlovy Vary. À cette époque, dans l'empire socialiste, le festival doit alterner entre Karlovy Vary et Moscou. Le texte est donc produit très précisément entre le 4 et le 19 juillet 1964. Cette année-là, Le Journal d'une femme de chambre de Luis Bunuel remporte un prix, Le Silence de Bergman et America, America de Kazan sont présentés hors compétition, mais ce ne sont pas ces films qui attirent l'attention de Jutra.
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Dans un premier temps, Claude Jutra parle de l'urgence "d'arracher notre cinéma au néant" puis il raconte l'enthousiasme que lui suscitent les films tchèques.
Dans un deuxième temps, Jutra défend son film À tout prendre. Cette partie pourrait bien être un brouillon ou alors l'introduction au texte qu'on trouve sur Nouvelles vues.
« Ces mémoires, abondamment documentés, démontrent que l’exploitation cinématographique au Canada est dominée par les grandes firmes américaines qui maintiennent un véritable état du monopole, drainant vers l’étranger toutes les contributions de notre public. Pis encore, ce monopole ne tient aucun compte de nos exigences culturelles et considère tout bonnement le Canada comme une extension du marché américain. Les mémoires de l’APC signalent que de toute évidence, nous sommes encore en pleine préhistoire. Cependant l’heure est à l’optimisme. Nous espérons pouvoir bientôt arracher notre cinéma au néant. Tout est possible puisqu’on part, pour ainsi dire, à zéro. Mais nous voulons démarrer sec. Il faut d’emblée s’engager dans la bonne direction. Le moment est crucial. Les canadiens français semblent vouloir ouvrir la voie. Ils ont beau jeu. Ce langage et cette culture qui les distinguent des autres nord-américains furent longtemps un facteur d’aliénation. Aujourd’hui, c’est un atout extraordinaire dont il faudra jouer. Les échanges et les rapprochements avec des pays qui ont les mêmes affinités seront d’une importance capitale. Or, ce n’est pas par hasard que je publie cet article dans une revue tchèque. Mon séjour ici, à l’occasion du festival de Karlovy-Vary, m’a permis de faire la sidérante découverte du nouveau cinéma tchèque. Quelque chose d’autre, Le Premier cri, Diamants dans la nuit et Joseph Killian, ces quatre films très divers, très personnels, qui ne se ressemblent que par leur extraordinaire qualité, tous produits par le même pays dans le cours d’une seule année, marquent à mes yeux un renouvellement spectaculaire pas seulement du cinéma tchèque, mais du cinéma. C’est pour nous un exemple à ne pas perdre des yeux, d’autant plus que ces films dénotent de la part de leurs auteurs plusieurs préoccupations commune aux nôtres, tant sur le fond que sur la forme. C’est pourquoi il importe que les échanges amorcés entre Prague et Montréal se transforment sur le champ en bonnes habitudes.
Claude Jutra
Lorsqu’au printemps de 1961 Michel Brault, Claude Fournier et moi-même nous réunissions pour entreprendre ensemble un long métrage, le vertige du « cinéma-vérité » était à son comble. Nous étions tous trois fort affectés puisque Fournier avait travaillé avec Leacock tandis que Brault et moi avions travaillé avec Rouch. Après de longues discussions à la recherche d’un sujet, Claude Fournier proposa d’organiser une rencontre entre moi-même et Johanne, que j’avais quittée quelques années auparavant. Ce serait peut-être dans le genre « Chronique d’un été ». Du coup, j’abdiquais toute responsabilité d’auteur et je devenais une victime volontaire et passive de ce supplice à la mode. Mais, sitôt le film entrepris, mes deux compères s’excusent et partent travailler à l’étranger. Pas de chance!
En étais-je sûr? Je n’allais pas laisser aller un long métrage pour une fois que j’en tenais un. C’est ainsi que par la force des choses je suis devenu l’auteur d’un film auto-portrait. Pourquoi pas? D’abord, je n’avais aucune modestie à sacrifier… On tenta de me dissuader. On m’indiquait le piège. Je ne craignais rien. Je m’installai dans ce piège et m’y trouvai très bien. J’y transportai mon ménage, mes phrases, mes gags, ma maviola et j’y vécus trois ans. Johanne était avec moi. C’était parfait. Je me serais senti encore mieux [début de phrase barré avec des xxx donc lecture incertaine], sans doute, si j’avais eu à l’époque ce certificat de garantie signé François Truffaut.
Maintenant que le film est fait, mes amis ont oublié l’histoire du piège. Ils acceptent le film. Ils applaudissent même. Mais de nouveau ils me mettent en garde : « Il faudra t’en sortir. Fais autre chose! Raconte une histoire! Regarde ailleurs! Invente! » Le film-piège est devenu un film-mur érigé autour de moi pour m’y enfermer. »
Tiré du dossier 2005.0055.38.AR à la Médiathèque Guy L. Coté
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Voici la partie que Nouvelles vues a publiée et qui commence étrangement avec la fin de la partie précédente
MANIFESTE [sur À tout prendre, inédit]
« Mais il faudra t’en sortir. Que ce film ne soit pas une impasse! Qu’il ne t’emprisonne pas! Fais autre chose! Raconte une histoire! Regarde ailleurs! Invente! »
Ainsi me parlent mes amis, qui, tout en aimant mon film, le dessinent comme une cloison autour de moi. Comment ne pas voir, pourtant, que cette entreprise en était une de libération? J’organisais un spectacle, et ils croyaient m’épier. En me voyant devant mon miroir, ils ont cru surprendre Narcisse en proie à la passion. Ils me privaient du droit au jeu, ils m’imposaient cette morale primaire qui condamne tout libertin à la vérole, et désigne toute femme désirable comme un squelette en puissance.
Mon miroir sert de cadre aux déguisements nombreux que j’aime revêtir. Au cours d’une métamorphose, je brise le miroir avec une arme d’assassin. Il se reconstitue aussitôt, mais à l’instant précis où je le quitte, où je lui dérobe mon image véritable pour m’acheminer vers mon destin, c’est-à-dire la fête où je rencontrai Johanne, où je succomberai à l’amour.
Le miroir-mur je l’ai percé pour en faire une porte, faute de le rendre aussi fluide que celui où plonge le poète, dans les films de Cocteau. J’ai franchi la porte. Je l’oublie. Je lui tourne le dos.
Ce film n’est pas un testament, c’est un concours d’entrée, un rite de passage, une initiation. Une cérémonie sur la place pour conjurer mes démons personnels. Cela se doit d’être public comme une coulpe, comme un sacrifice mystique, comme une prise de possession, où le rythme et la danse permettent la transe.
C’est aussi une histoire d’amour (prière de ne pas l’oublier). Dans ce contexte autobiographique, il m’était difficile d’impliquer contre leur gré, ou hors de leur contrôle, des personnes concernées, trop facilement reconnaissables. La confidence, presque toujours, implique un tiers absent et l’accable. C’est normal puisque la confidence s’accomplit en lieu clos. Mais un film est une fête foraine, où ne doivent prendre place parmi les horreurs et bizarreries qu’on y exhibe ni la délation, ni la mise en accusation. Même à l’égard des personnages qui se prêtent au jeu.
Puisque l’histoire de mon idylle avec Johanne était abortive, puisque le film « finissait mal » (comme on disait jadis à propos des films français) il fallait bien, dramatiquement parlant, que la responsabilité incombât à l’un des personnages. Le public exige que le « bon » soit en blanc et le « méchant » en noir pour être immédiatement reconnaissables. Blanc de peau mais noir de cœur j’ai chargé sur mes épaules tout l’odieux des amours malheureuses. Plusieurs n’ont rien demandé de mieux que d’y croire. Le chœur des haros s’est élevé, magnifiquement orchestré. J’anticipais ce beau tintamarre.
Comment pourtant, a-t-on pu se laisser prendre à de pareilles clowneries? N’a-t-on pas vu que dans ce faux procès je me distribuais plusieurs rôles, courant de la sellette, à la tribune du juge puis au parquet; imitant l’indignation de l’avocat de la poursuite, le larmoiement contrôlé de l’avocat de la défense, les faux-fuyants des témoins, l’humiliation de l’accusé. J’ai voulu que ce procès soit comme tous les procès, ponctué de coups de théâtre, et de développements inattendus; qu’il soit grave parfois, souvent grotesque; qu’il fasse rire, d’un rire joyeux ou bien d’un rire nerveux, comme aux funérailles ou aux cérémonies solennelles. Je ne veux rien prouver. Je veux seulement attendrir, étonner, provoquer, sans que jamais le rire ne soit absent. Car le rire justifie tout. C’est une raison de vivre. L’important, dans la vie, c’est de rigoler. Le reste, c’est de la blague.
Dossier de presse d'À tout prendre, Cinémathèque québécoise. Ce manifeste, qui ne fut jamais publié à notre connaissance, doit dater de 1963 ou 1964. Il s'agit probablement d'un texte écrit après la première au Festival international du film de Montréal en 1963 (au volet Festival des films canadiens) pour accompagner la sortie publique en mai 1964. Nous avons corrigé quelques coquilles. [commentaire de Nouvelles vues]
En 1963, un peu avant l'annonce de la création du FCC, les cinéastes venaient de se regrouper en fondant l'Association professionnelle des cinéastes dont le premier président n'était nul autre que Claude Jutra. Il le sera jusqu'au 24 mars 1964, date à laquelle le secrétaire Guy L. Coté en devient le président. En 1964, l'association était très active et elle avait envoyé plusieurs mémoires au gouvernement. Par exemple en début d'année, en 1964, les cinéastes avaient envoyé au Secrétaire d'État du Canada le mémoire "Vingt-deux raisons pour lesquelles le gouvernement du Canada doit favoriser la création d'une industrie de cinéma de long métrage au Canada et s'inquiéter des conséquences économiques et culturelles de l'état actuel de la distribution et de l'exploitation des films". Ce mémoire fut répercuté par la presse qui le désignait bientôt comme « les 22 raisons des 104 ».
Le premier long métrage de Jutra était donc passé au FIFM en 1963 et il était à l'affiche en mai 1964. Jutra avait aussi eu le temps d'être président de l'APC et de participer de près aux réflexions sur l'état du cinéma. Probablement suite à sa rencontre avec les cinéastes tchèques lors du FIFM de 1963, il se retrouve en juillet 64 au festival de Karlovy Vary (Lindsay Anderson s'y retrouve aussi). C'est à Karlovy Vary que Claude Jutra va sentir le besoin de mettre sur papier certaines idées dans le but d'en faire un manifeste qui n'a probablement jamais été publié par la suite. Je suis tombé par hasard sur une partie de cette documentation dans un dossier déposé à la Médiathèque. Je découvre toutefois sur le site de Nouvelles vues un texte qui me semble la suite logique du document que j'ai découvert, mais qui doit se trouver dans une autre chemise. Comme le texte n'est pas daté, on doit déduire sa datation à partir des éléments internes. Pour ma part cela est relativement facile. Claude Jutra affirme dans le texte qu'il se trouve à Karlovy Vary. À cette époque, dans l'empire socialiste, le festival doit alterner entre Karlovy Vary et Moscou. Le texte est donc produit très précisément entre le 4 et le 19 juillet 1964. Cette année-là, Le Journal d'une femme de chambre de Luis Bunuel remporte un prix, Le Silence de Bergman et America, America de Kazan sont présentés hors compétition, mais ce ne sont pas ces films qui attirent l'attention de Jutra.
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Dans un premier temps, Claude Jutra parle de l'urgence "d'arracher notre cinéma au néant" puis il raconte l'enthousiasme que lui suscitent les films tchèques.
Dans un deuxième temps, Jutra défend son film À tout prendre. Cette partie pourrait bien être un brouillon ou alors l'introduction au texte qu'on trouve sur Nouvelles vues.
« Ces mémoires, abondamment documentés, démontrent que l’exploitation cinématographique au Canada est dominée par les grandes firmes américaines qui maintiennent un véritable état du monopole, drainant vers l’étranger toutes les contributions de notre public. Pis encore, ce monopole ne tient aucun compte de nos exigences culturelles et considère tout bonnement le Canada comme une extension du marché américain. Les mémoires de l’APC signalent que de toute évidence, nous sommes encore en pleine préhistoire. Cependant l’heure est à l’optimisme. Nous espérons pouvoir bientôt arracher notre cinéma au néant. Tout est possible puisqu’on part, pour ainsi dire, à zéro. Mais nous voulons démarrer sec. Il faut d’emblée s’engager dans la bonne direction. Le moment est crucial. Les canadiens français semblent vouloir ouvrir la voie. Ils ont beau jeu. Ce langage et cette culture qui les distinguent des autres nord-américains furent longtemps un facteur d’aliénation. Aujourd’hui, c’est un atout extraordinaire dont il faudra jouer. Les échanges et les rapprochements avec des pays qui ont les mêmes affinités seront d’une importance capitale. Or, ce n’est pas par hasard que je publie cet article dans une revue tchèque. Mon séjour ici, à l’occasion du festival de Karlovy-Vary, m’a permis de faire la sidérante découverte du nouveau cinéma tchèque. Quelque chose d’autre, Le Premier cri, Diamants dans la nuit et Joseph Killian, ces quatre films très divers, très personnels, qui ne se ressemblent que par leur extraordinaire qualité, tous produits par le même pays dans le cours d’une seule année, marquent à mes yeux un renouvellement spectaculaire pas seulement du cinéma tchèque, mais du cinéma. C’est pour nous un exemple à ne pas perdre des yeux, d’autant plus que ces films dénotent de la part de leurs auteurs plusieurs préoccupations commune aux nôtres, tant sur le fond que sur la forme. C’est pourquoi il importe que les échanges amorcés entre Prague et Montréal se transforment sur le champ en bonnes habitudes.
Claude Jutra
Lorsqu’au printemps de 1961 Michel Brault, Claude Fournier et moi-même nous réunissions pour entreprendre ensemble un long métrage, le vertige du « cinéma-vérité » était à son comble. Nous étions tous trois fort affectés puisque Fournier avait travaillé avec Leacock tandis que Brault et moi avions travaillé avec Rouch. Après de longues discussions à la recherche d’un sujet, Claude Fournier proposa d’organiser une rencontre entre moi-même et Johanne, que j’avais quittée quelques années auparavant. Ce serait peut-être dans le genre « Chronique d’un été ». Du coup, j’abdiquais toute responsabilité d’auteur et je devenais une victime volontaire et passive de ce supplice à la mode. Mais, sitôt le film entrepris, mes deux compères s’excusent et partent travailler à l’étranger. Pas de chance!
En étais-je sûr? Je n’allais pas laisser aller un long métrage pour une fois que j’en tenais un. C’est ainsi que par la force des choses je suis devenu l’auteur d’un film auto-portrait. Pourquoi pas? D’abord, je n’avais aucune modestie à sacrifier… On tenta de me dissuader. On m’indiquait le piège. Je ne craignais rien. Je m’installai dans ce piège et m’y trouvai très bien. J’y transportai mon ménage, mes phrases, mes gags, ma maviola et j’y vécus trois ans. Johanne était avec moi. C’était parfait. Je me serais senti encore mieux [début de phrase barré avec des xxx donc lecture incertaine], sans doute, si j’avais eu à l’époque ce certificat de garantie signé François Truffaut.
Maintenant que le film est fait, mes amis ont oublié l’histoire du piège. Ils acceptent le film. Ils applaudissent même. Mais de nouveau ils me mettent en garde : « Il faudra t’en sortir. Fais autre chose! Raconte une histoire! Regarde ailleurs! Invente! » Le film-piège est devenu un film-mur érigé autour de moi pour m’y enfermer. »
Tiré du dossier 2005.0055.38.AR à la Médiathèque Guy L. Coté
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Voici la partie que Nouvelles vues a publiée et qui commence étrangement avec la fin de la partie précédente
MANIFESTE [sur À tout prendre, inédit]
« Mais il faudra t’en sortir. Que ce film ne soit pas une impasse! Qu’il ne t’emprisonne pas! Fais autre chose! Raconte une histoire! Regarde ailleurs! Invente! »
Ainsi me parlent mes amis, qui, tout en aimant mon film, le dessinent comme une cloison autour de moi. Comment ne pas voir, pourtant, que cette entreprise en était une de libération? J’organisais un spectacle, et ils croyaient m’épier. En me voyant devant mon miroir, ils ont cru surprendre Narcisse en proie à la passion. Ils me privaient du droit au jeu, ils m’imposaient cette morale primaire qui condamne tout libertin à la vérole, et désigne toute femme désirable comme un squelette en puissance.
Mon miroir sert de cadre aux déguisements nombreux que j’aime revêtir. Au cours d’une métamorphose, je brise le miroir avec une arme d’assassin. Il se reconstitue aussitôt, mais à l’instant précis où je le quitte, où je lui dérobe mon image véritable pour m’acheminer vers mon destin, c’est-à-dire la fête où je rencontrai Johanne, où je succomberai à l’amour.
Le miroir-mur je l’ai percé pour en faire une porte, faute de le rendre aussi fluide que celui où plonge le poète, dans les films de Cocteau. J’ai franchi la porte. Je l’oublie. Je lui tourne le dos.
Ce film n’est pas un testament, c’est un concours d’entrée, un rite de passage, une initiation. Une cérémonie sur la place pour conjurer mes démons personnels. Cela se doit d’être public comme une coulpe, comme un sacrifice mystique, comme une prise de possession, où le rythme et la danse permettent la transe.
C’est aussi une histoire d’amour (prière de ne pas l’oublier). Dans ce contexte autobiographique, il m’était difficile d’impliquer contre leur gré, ou hors de leur contrôle, des personnes concernées, trop facilement reconnaissables. La confidence, presque toujours, implique un tiers absent et l’accable. C’est normal puisque la confidence s’accomplit en lieu clos. Mais un film est une fête foraine, où ne doivent prendre place parmi les horreurs et bizarreries qu’on y exhibe ni la délation, ni la mise en accusation. Même à l’égard des personnages qui se prêtent au jeu.
Puisque l’histoire de mon idylle avec Johanne était abortive, puisque le film « finissait mal » (comme on disait jadis à propos des films français) il fallait bien, dramatiquement parlant, que la responsabilité incombât à l’un des personnages. Le public exige que le « bon » soit en blanc et le « méchant » en noir pour être immédiatement reconnaissables. Blanc de peau mais noir de cœur j’ai chargé sur mes épaules tout l’odieux des amours malheureuses. Plusieurs n’ont rien demandé de mieux que d’y croire. Le chœur des haros s’est élevé, magnifiquement orchestré. J’anticipais ce beau tintamarre.
Comment pourtant, a-t-on pu se laisser prendre à de pareilles clowneries? N’a-t-on pas vu que dans ce faux procès je me distribuais plusieurs rôles, courant de la sellette, à la tribune du juge puis au parquet; imitant l’indignation de l’avocat de la poursuite, le larmoiement contrôlé de l’avocat de la défense, les faux-fuyants des témoins, l’humiliation de l’accusé. J’ai voulu que ce procès soit comme tous les procès, ponctué de coups de théâtre, et de développements inattendus; qu’il soit grave parfois, souvent grotesque; qu’il fasse rire, d’un rire joyeux ou bien d’un rire nerveux, comme aux funérailles ou aux cérémonies solennelles. Je ne veux rien prouver. Je veux seulement attendrir, étonner, provoquer, sans que jamais le rire ne soit absent. Car le rire justifie tout. C’est une raison de vivre. L’important, dans la vie, c’est de rigoler. Le reste, c’est de la blague.
Dossier de presse d'À tout prendre, Cinémathèque québécoise. Ce manifeste, qui ne fut jamais publié à notre connaissance, doit dater de 1963 ou 1964. Il s'agit probablement d'un texte écrit après la première au Festival international du film de Montréal en 1963 (au volet Festival des films canadiens) pour accompagner la sortie publique en mai 1964. Nous avons corrigé quelques coquilles. [commentaire de Nouvelles vues]
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