dimanche, janvier 11, 2009

Herzog en vedette

Avis aux amateurs de Herzog. En France, les deux grands magazines ciné se sont passés le mot en décembre de telle sorte que Herzog se retrouve sur leur page couverture respective. Comme on les reçoit pas mal en retard ici au Québec, il est probablement encore temps de mettre la main dessus. Positif lui consacre même un dossier, rien de moins.

mardi, janvier 06, 2009

Auto-Promo

Le blogue cinéma auquel je participais sur Canoë est mort. Il est un peu comme un vieux rafiot à l'abandon sur l'océan. On attend qu'il coule pour ne plus en parler. En fait, c'est tout le volet Divertissement qui n'a jamais vraiment fonctionné pour toutes sortes de raisons. (On a tout de même connu la belle époque Mickey qu'on a tant aimé détester.)

Je participe donc depuis le mois de décembre au site DVD en français en y tenant le blog cinéma.

mercredi, décembre 17, 2008

Janmi donne vie

Un petit mot pour dire à ceux qui apprécient les billets de Janmi qu'en octobre dernier il a publié Tarkovski, un cinéma "intellectuel"? et Maiden voyage.

http://janmi.blogspot.com/

Buttinskies running around

Je ferai comme un certain chroniqueur populaire du JdeM qui pour renforcer son propos et éclairer la clientèle cible du tabloïd n’hésite pas à recourir aux nombreux classiques du cinéma, tel Scarlett Empress pour parler de la couleur de la margarine ou Pather Panchali afin de traiter du port du kirpan dans les écoles.

J’ai commencé cette semaine la comédie His Girl Friday de Howard Hawks. Voyez l’ironie de l’avant-propos.


It all happened in the « Dark ages» of the newspaper game – when to a reporter «getting that story» justified anything short of murder. Incidentally you will see in this picture no resemblance to the men and women of the press of today. Ready? Well, once upon a time…

À un certain moment, Hildy Johnson (Rosalind Russell) explique à son ex (Cary Grant) pourquoi elle veut sortir du monde du journalisme (tiré des sous-titres) :

A journalist?


What does that mean?


Peeking through keyholes, chasing fire engines, waking people up in the middle of the night to ask questions, stealing pictures off old ladies? I know all about reporters. Buttinskies running around with no money, and for what?


So a million people will know what’s going on. Why, I…


(Voyez la citation exacte à la première minute de l’extrait sur youtube)


Heureusement, aujourd’hui ça n’existe plus.


mardi, décembre 16, 2008

mardi, décembre 02, 2008

Illico/Canoe/Videotron/Quebecor cinéphiles verticaux


Mon dernier billet remonte au 23 octobre?! Alors bon. Oui. Reprenons nos sens. Tenez, prenez Éléphant par exemple. C'est de Quebecor, alors forcément ça doit être nul, ou alors pas très loin de cet état. Un éléphant blanc, sûrement. C'est ce que je me disais sachant au départ qu'on y affectait la moitié du plus petit dénominateur commun possible en ressource(s) humaine(s).

Mais il y a un «mais». Oui, le site sert à «plugger» convergemment tel service et tel autre, par exemple et surtout Illico. À tout hasard, j'ai lancé un nom au moteur de recherche pour vérifier scientifiquement -il va sans dire- la qualité de cette base de données du cinéma québécois, cette mémoire d'éléphant aux défenses de branding: Jutra. En référence à Claude Jutra dont il est si difficile de trouver quelconque film en DVD. Mais (le fameux «mais» susmentionné), mais! Je tombe sur la fiche de Les Mains nettes. Film 16mm en noir et blanc de Claude Jutra, ONF, scénario de Fernand Dansereau, images de Michel Brault, interprétation de... (est-ce que je les connais?) et Gilles Groulx au montage! Et vous savez quoi? Sur Illico! Encore une comme ça et je m'abonne.

Une belle initiative, en espérant que Quebecor arrêtera de faire le grippe-sou.
Lancez donc quelques défis à Éléphant, trouvez-vous quelques bijoux?

http://elephant.canoe.ca/

jeudi, octobre 23, 2008

Entretien avec Michelangelo Antonioni



Dans la revue Positif juillet-août 2008, no 569-570, consacrée à Michelangelo Antonioni, on retrouve la traduction française d'un entretien réalisé en 1969 avec le cinéaste. Je remarque que j'ai tendance à lire les entretiens de A à Z. Ça m'est arrivé il n'y a pas si longtemps avec l'Entretien avec Carlos Ferrand dans Hors Champ. Il y a quelque chose de vivant, de direct, de vrai dans une interview. On sort de la théorie et de l'encensement pour découvrir un peu plus la personnalité du réalisateur, déjà perceptible dans ses films.


À défaut de vous donner la version française de cet entretien, j'ai trouvé la version anglaise (et donc originale) sur Internet, pour ceux qui le lisent.


Sur Cinépars: Interview with Michelangelo Antonioni in Rome, July 29, 1969


En effectuant cette recherche, je suis tombé sur un site assez fantastique qui regroupe des entrevues réalisées avec plus d'une soixantaine de grands réalisateurs européens: Bresson, Fassbinder, Fellini, Godard, Kusturica, Pasolini, Visconti, etc. Vraiment une belle référence.


Euroscreenwriters

mardi, septembre 16, 2008

Bureau de pigiste

Par la tag conférée par Simon Dor, dans un élan de webréalité, sans mise en scène (ou presque), voici mon habitat de travail et de loisirs dans son état naturel. Je n’ai attendu qu’une lumière plus joyeuse que ce qu’offrait la queue de Ike. On voit des grands plants de piments habanero et des mini séquoias géants.







Je transmets cette tag à :

Philémon








mercredi, août 27, 2008

Les films d'auteur poches

Les trois ingrédients essentiels pour tourner un film d’auteur : un enfant, un pylône et le silence. Selon David Cox.



Le journaliste du Guardian est revenu vraiment frustré du festival de Locarno. Il en a marre des films d’art et d’essai qui excusent tout, même le sans-intérêt et l’absence de maîtrise du langage cinématographique. Son billet, Why most arthouse films are so unspeakably awful, me rappelle la sortie du même genre qu’avait faite André Habib dans Hors Champ en 2007 dans Revoir Stalker (avec un détour sur The Road to Nod). Dans ce détour, où le réalisateur était attendu avec tonne de briques et fanal, Habib affirmait notamment «The Road to Nod, pour couper court, fait partie de ces exemples, s'autoglorifiant par mise à distance successive et enfilades de refus, d'une défense d'une certaine idée relativement désuète et convenue du film d'art européen, alors que le film ne recèle pas une once, ni du savoir-faire, ni de la finesse, de tous ceux de qui il se réclame et dont il se voudrait l'héritier. Y aurait-il de l'ironie, que nous aurions compris et accepté. Il n'y a que de la pose et, au bout du compte, du très mauvais cinéma».

On retrouve ce ton chez Cox qui commence ainsi «I'm just back from Locarno and I'm horrified: the idiots have taken over the asylum. So how come everyone else is showering them in cash?»

Plus loin…

«However, it wasn't such forlorn masterpieces that imprinted themselves on my consciousness. Rather, it was the more numerous specimens of Euro-arthouse endeavour that were grotesquely, unbelievably bad. No, actually a good bit worse than that. In some of these proud festival entries, not the faintest prospect of entertainment, stimulation or enlightenment was to be discerned.How could these abominations ever have got past their creator's first two seconds of deliberation, let alone won funding from a regional film board, a festival invitation and respectful applause from an audience of supposed cinephiles?»


De son côté, toujours du Guardian, Nick Bradshaw donnait son opinion sur le film de Côté : «Denis Côté's more ponderously titled Elle veut le chaos (translated as All That She Wants) - a laconic gangster western, perhaps, set in the Quebec countryside and shot in beautiful, imperturbable black and white - was tantalising to watch, but sank under the weight of its inchoate aspirations. (The jury gave Côté the Best Director prize, which may or may not rebuff my judgment.)»

dimanche, août 24, 2008

Être ou ne pas être... absurde

Je viens de terminer la lecture du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus et non, je ne suis pas un homme absurde. En proie à mes vérités, je vis d’illusion. En tout cas, croyant ou absurde, je n’ai pas envie de me suicider pour l’instant. Certainement, je me reconnais plus chez Kierkegaard – pour le peu que j’ai lu – que chez Camus.

N’empêche, le chapitre «La comédie» a retenu mon attention. Pour illustrer la vie de l’homme absurde, Camus prend l’acteur de théâtre en exemple, dans sa carrière comme dans son métier. En lisant ce passage, on peut établir beaucoup de rapprochements entre l’acteur du théâtre et celui du cinéma. À certains moments, comment ne pas penser à la vie et au destin de Heath Ledger, ne serait-ce que dans cet extrait : «L’acteur savait alors quelle punition lui était promise. Mais quel sens pouvaient avoir de si vagues menaces [de l’Église] au prix du châtiment dernier que lui réservait la vie même? C’était celui-là qu’il éprouvait par avance et acceptait dans son entier. Pour l’acteur comme pour l’homme absurde, une mort prématurée est irréparable.» Voilà bien un danger qui guette l’acteur.

En même temps, on se rend compte en tenant cette comparaison que le cinéma, comme la télévision, en immortalisant le jeu des acteurs, a radicalement changé le rapport à la durée. Par exemple, Camus écrivait «L’acteur nous laissera au mieux une photographie et rien de ce qui était lui, ses gestes et ses silences, son souffle court ou sa respiration d’amour, ne viendra jusqu’à nous.» Aujourd’hui, les archives de la télévision et du cinéma constituent autant de fragments de mémoire, d’images plus exactes que n’importe quel souvenir individuel. Ainsi, même acteur de théâtre, d’aucun ne laissera plus «au mieux» qu’une photographie.

J’ai mis quelques commentaires entre crochets.


«Le spectacle, dit Hamlet, voilà le piège où j’attraperai la conscience du roi.» Attraper est bien dit. Car la conscience va vite ou se replie. Il faut la saisir au vol, à ce moment inappréciable où elle jette sur elle-même un regard fugitif. L’homme quotidien n’aime guère à s’attarder. Tout le presse au contraire. Mais en même temps, rien plus que lui-même ne l’intéresse, surtout dans ce qu’il pourrait être. De là son goût pour le théâtre, pour le spectacle [et nous pourrions ajouter aujourd’hui le cinéma, la webxhibition, la téléréalité, les téléséries, les innombrables magazines à potins, etc.], où tant de destins lui sont proposés dont il reçoit la poésie sans en souffrir l’amertume. Là du moins, on reconnaît l’homme inconscient et il continue à se presser vers on ne sait quel espoir. L’homme absurde commence où celui-ci finit, où, cessant d’admirer le jeu, l’esprit veut y entrer. Pénétrer dans toutes ces vies, les éprouver dans leur diversité, c’est proprement les jouer. Je ne dis pas que les acteurs en général obéissent à cet appel, qu’ils sont des hommes absurdes, mais que leur destin est un destin absurde qui pourrait séduire et attirer un cœur clairvoyant. Ceci est nécessaire à poser pour entendre sans contresens ce qui va suivre.

L’acteur règne dans le périssable. De toutes les gloires, on le sait, la sienne est la plus éphémère. [C’est beaucoup moins vrai avec le cinéma. Si on a oublié tous les acteurs de théâtre ou presque des années 20, Charlie Chaplin et Buster Keaton, par exemple, demeurent des légendes grâce au miracle de la pellicule argentique] Cela se dit du moins dans la conversation. Mais toutes les gloires sont éphémères. Du point de vue de Sirius, les œuvres de Goethe dans dix mille ans seront en poussière et son nom oublié. Quelques archéologues peut-être chercheront des «témoignages» de notre époque. Cette idée a toujours été enseignante. Bien méditée, elle réduit nos agitations à la noblesse profonde qu’on trouve dans l’indifférence. Elle dirige surtout nos préoccupations vers le plus sûr, c’est-à-dire vers l’immédiat. De toutes les gloires, la moins trompeuse est celle qui se vit.

L’acteur a donc choisi la gloire innombrable, celle qui se consacre et qui s’éprouve. De ce que tout doive un jour mourir, c’est lui qui tire la meilleure conclusion. Un acteur réussit ou ne réussit pas. Un écrivain garde un espoir même s’il est méconnu. Il suppose que ses œuvres témoigneront de ce qu’il fut. L’acteur nous laissera au mieux une photographie et rien de ce qui était lui, ses gestes et ses silences, son souffle court ou sa respiration d’amour, ne viendra jusqu’à nous. [De là toute la différence avec l’acteur du cinéma] Ne pas être connu de lui, c’est ne pas jouer et ne pas jouer, c’est mourir cent fois avec tous les êtres qu’il aurait animés ou ressuscités.

Quoi d’étonnant à trouver une gloire périssable bâtie sur les plus éphémères des créations? L’acteur a trois heures pour être Iago ou Alceste, Phèdre ou Glocester. Dans ce court passage, il les fait naître et mourir sur cinquante mètres carrés de planches. Jamais l’absurde n’a été si bien ni si longtemps illustré. Ces vies merveilleuses, ces destins uniques et complets qui croissent et s’achèvent entre les murs et pour quelques heures, quel raccourci souhaiter qui soit plus révélateur? Passé le plateau, Sigismond n’est plus rien. Deux heures après, on le voit qui dîne en ville. C’est alors peut-être que la vie est un songe. Mais après Sigismond vient un autre. Le héros qui souffre d’incertitude remplace l’homme qui rugit après sa vengeance. À parcourir ainsi les siècles et les esprits, à mimer l’homme tel qu’il peut être et tel qu’il est, l’acteur rejoint cet autre personnage absurde qui est le voyageur. Comme lui, il épuise quelque chose et parcourt sans arrêt. Il est le voyageur du temps et, pour les meilleurs, le voyageur traqué des âmes. Si jamais la morale de la quantité pouvait trouver un aliment, c’est bien sur cette scène singulière. Dans quelle mesure l’acteur bénéficie de ces personnages, il est difficile de le dire. Mais l’important n’est pas là. Il s’agit de savoir, seulement, à quel point il s’identifie à ces vies irremplaçables. Il arrive en effet qu’il les transporte avec lui, qu’ils débordent légèrement le temps et l’espace où ils sont nés. Ils accompagnent l’acteur qui ne se sépare plus très aisément de ce qu’il a été. Il arrive que pour prendre son verre, il retrouve le geste d’Hamlet soulevant sa coupe. Non, la distance n’est pas si grande qui le sépare des êtres qu’il fait vivre. Il illustre alors abondamment tous les mois ou tous les jours, cette vérité si féconde qu’il n’y a pas de frontière entre ce qu’un homme veut être et ce qu’il est. À quel point le paraître fait l’être, c’est ce qu’il démontre, toujours occupé de mieux figurer. Car c’est son art, cela, de feindre absolument, d’entrer le plus avant possible dans des vies qui ne sont pas les siennes. Au terme de son effort, sa vocation s’éclaire : s’appliquer de tout son cœur à n’être rien ou à être plusieurs. Plus étroite est la limite qui lui est donnée pour créer son personnage et plus nécessaire est son talent. Il va mourir dans trois heures sous le visage qui est le sien aujourd’hui. Il faut qu’en trois heures il éprouve et exprime tout un destin exceptionnel. Cela s’appelle se perdre pour se retrouver. Dans ces trois heures, il va jusqu’au bout du chemin sans issue que l’homme du parterre met toute sa vie à parcourir.

Mime du périssable, l’acteur ne s’exerce et ne se perfectionne que dans l’apparence. La convention du théâtre, c’est que le cœur ne s’exprime et ne se fait comprendre que par les gestes et dans le corps – ou par la voix qui est autant de l’âme que du corps. La loi de cet art veut que tout soit grossi et se traduise en chair. S’il fallait sur la scène aimer comme l’on aime, user de cette irremplaçable voix du cœur, regarder comme on contemple, notre langage resterait chiffré. Les silences ici doivent se faire entendre. L’amour hausse le ton et l’immobilité même devient spectaculaire. Le corps est roi. N’est pas «théâtral» qui veut et ce mot, déconsidéré à tort, recouvre toute une esthétique et toute une morale. La moitié d’une vie d’homme se passe à sous-entendre, à détourner la tête et à se taire. L’acteur est ici l’intrus. Il lève le sortilège de cette âme enchaînée et les passions se ruent enfin sur leur scène. Elles parlent dans tous les gestes, elle ne vivent que par cris. Ainsi l’acteur compose ses personnages pour la montre. Il les dessine ou les sculpte, il se coule dans leur forme imaginaire et donne à leurs fantômes son sang. Je parle du grand théâtre, cela va sans dire, celui qui donne à l’acteur l’occasion de remplir son destin tout physique. Voyez Shakespeare. Dans ce théâtre du premier mouvement ce sont les fureurs du corps qui mènent la danse. Elles expliquent tout. Sans elles, tout s’écroulerait. Jamais le roi Lear n’irait au rendez-vous que le lui donne la folie sans le geste brutal qui exile Cordelia et condamne Edgar. Il est juste que cette tragédie se déroule alors sous le signe de la démence. Les âmes sont livrées aux démons et à leur sarabande. Pas moins de quatre fous, l’un par métier, l’autre par volonté, les deux derniers par tourment : quatre corps désordonnés, quatre visages indicibles d’une même condition.

L’échelle même du corps humain est insuffisante. Le masque et les cothurnes, le maquillage qui réduit et accuse le visage dans ses éléments essentiels, le costume qui exagère et simplifie cet univers sacrifie tout à l’apparence, et n’est fait que pour l’œil. Par un miracle absurde, c’est le corps qui apporte encore la connaissance. Je ne comprendrais jamais bien Iago que si je le jouais. J’ai beau l’entendre, je ne le saisis qu’au moment où je le vois. Du personnage absurde, l’acteur a par suite la monotonie, cette silhouette unique, entêtante, à la fois étrange et familière qu’il promène à travers tous ses héros. Là encore la grande œuvre théâtrale sert cette unité de ton. C’est là que l’acteur se contredit : le même et pourtant si divers, tant d’âmes résumées par un seul corps. Mais c’est la contradiction absurde elle-même, cet individu qui veut tout atteindre et tout vivre, cette vaine tentative, cet entêtement sans portée. Ce qui se contredit toujours s’unit pourtant en lui. Il est à cet endroit où le corps et l’esprit se rejoignent et se serrent, où le second lassé de ses échecs se retourne vers son plus fidèle allié. «Et bénis soient ceux dit Hamlet, dont le sang et le jugement sont si curieusement mêlés qu’ils ne sont pas flûte où le doigt de la fortune fait chanter le trou qui lui plaît.»

Comment l’Église n’eût-elle pas condamné dans l’acteur pareil exercice?

[Deux paragraphes sur l’Église]

Les comédiens de l’époque se savaient excommuniés. Entrer dans la profession, c’était choisir l’Enfer. Et l’Église discernait en eux ses pires ennemis. Quelques littérateurs s’indignent :«Eh quoi, refuser à Molière les derniers secours!» Mais cela était juste et surtout pour celui-là qui mourut en scène et acheva sous le fard une vie tout entière vouée à la dispersion. On invoque à son propos le génie qui excuse tout. Mais le génie n’excuse rien, justement parce qu’il s’y refuse.

L’acteur savait alors quelle punition lui était promise. Mais quel sens pouvaient avoir de si vagues menaces au prix du châtiment dernier que lui réservait la vie même? C’était celui-là qu’il éprouvait par avance et acceptait dans son entier. Pour l’acteur comme pour l’homme absurde, une mort prématurée est irréparable. Rien ne peut compenser la somme des visages et des siècles qu’il eût, sans cela, parcourus. Mais de toutes façons, il s’agit de mourir. Car l’acteur est sans doute partout, mais le temps l’entraîne aussi et fait avec lui son effet.

Il suffit d’un peu d’imagination pour sentir alors ce que signifie un destin d’acteur. C’est dans le temps qu’il compose et énumère ses personnages. C’est dans le temps aussi qu’il apprend à les dominer. Plus il a vécu de vies différentes et mieux il se sépare d’elles. Le temps vient où il faut mourir à la scène et au monde. Ce qu’il a vécu est en face de lui. Il voit clair. Il sent ce que cette aventure a de déchirant et d’irremplaçable. Il sait et peut maintenant mourir. Il y a des maisons de retraite pour vieux comédiens.