dimanche, juillet 05, 2009

Frodon quitte les Cahiers

Je viens d'apprendre par Balloonatic que, pour le meilleur ou pour le pire, Jean-Michel Frodon quitte les Cahiers du cinéma:

Trop chaud [tant mieux pour eux, nous c'est trop froid]

«Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, j'apprends aujourd'hui, outre l'annonce que les "misérables" de Gavroche Productions avaient perdu leur procès, que Pierre Etaix allait recouvrir ses droits et qu'on pourrait donc enfin revoir ses films, que - ça y est c'est officiel (yessss...) - Frodon quittait la direction des Cahiers du cinéma. Après le départ, sur la pointe des pieds, du trop "subtil" Burdeau il y a trois mois, c'est au tour de "Monsieur-un-chef-d'œuvre-par-semaine" de se faire la malle, lui aussi par la petite porte (quelques mots insignifiants à la fin de son édito dans le dernier numéro des Cahiers). Si Burdeau c'était beaucoup de vent (jusqu'à se perdre dans les labyrinthes d'un "champ de trèfle" youtubisé, je poétise parce que je ne veux pas être méchant), Frodon, c'était surtout beaucoup de fric, encore du trèfle me direz-vous, s'invitant à la moindre occasion au quatre coins du monde (et avec lui toujours quelques relations prestigieuses, histoire d'étoffer son carnet d'adresses), tout ça aux frais de la princesse (la revue), bref une vie de ministre "gordonbrownien" que Phaidon le nouveau propriétaire english ne pouvait voir que d'un sale œil. C'est sûrement pour cela d'ailleurs qu'on lui a laissé tirer son baroud d'honneur avec le numéro d'avant-Cannes (celui avec Johnny en couverture). Reste qu'on ne sait toujours pas qui va remplacer nos deux fossoyeurs...

Pour "saluer" la fin de l'ère Frodon-Burdeau, je ne peux résister au plaisir de citer les trois dogmes du critique selon Moullet (c'est sur la quatrième de couverture de son recueil Piges choisies, paru dans la nouvelle collection que dirige... Burdeau!):

"Mon dogme n°1, c'est de toujours faire rire le lecteur.
Dogme n°2: chaque film intéressant engendre une approche critique spécifique au film en question: pas de grille.
Dogme 3: le critique doit toujours partir d'un exemple précis, avant de généraliser, et non du Général (et encore moins s'y cantonner).
Pour moi, l'Austérité, la Grille et le Général sont les trois Cancers de la critique."

A part ça, il fait vraiment trop chaud... »

Voici la fin de l'éditorial en question:

«Se transformer pour continuer, pour exister au présent, pour fabriquer l’avenir, c’est aussi, toute proportion gardée, ce qui est en train de se produire pour les Cahiers du cinéma, et pour moi qui écris ces lignes puisque je quitte la direction de la rédaction de la revue. Que les Cahiers soient en ce moment dans une phase de changement est à mes yeux une excellente nouvelle. Mais avec leur rachat par Phaidon Press, les Cahiers - la revue mais aussi tout ce qui vit sous l’appellation « Cahiers du cinéma » : livres, DVD, site, innombrables partenariats... - disposent aujourd’hui de perspectives nouvelles, nombreuses, prometteuses, qu’il s’agisse de leur existence sur papier et sur d’autres supports, en France et à l’étranger. Les Cahiers ont 58 ans, ils ont changé dix fois, il est heureux et vital qu’ils changent encore. Qu’ils changent pour rester les Cahiers.

L’idée critique forgée dans ces pages depuis près de soixante ans, cette idée où l’esthétique est la pierre de touche éthique et politique de tout jugement de goût, jugement sur lequel se fonde une aventure de la pensée, reste selon moi plus nécessaire et plus pertinente que jamais. Il importe que de nouveaux critiques poursuivent, différemment, la même tâche. De nouveaux « écrivains de cinéma », comme nous appelle Desplechin, et ce n’est pas un mince honneur ni une mince exigence. Il est nécessaire et désirable qu’ils réinventent ce que tant de rédactions successives de la revue ont fait, ce que nous avons fait collectivement durant les six ans où j’ai dirigé cette rédaction, avec Emmanuel Burdeau comme rédacteur en chef et avec ceux et celles qui ont constitué la rédaction de la revue. C’est, en signant ce soixante-sixième et dernier éditorial, mon espoir, pour les Cahiers, pour le cinéma, pour ici et maintenant.»