Pas grand chose à redire sur le festival sinon que la sélection de films correspond à mes goûts avec sa liste d’habitués. J’ai même hâte au Johnnie To avec l’autre Jheunny, n’en déplaise à Cassivi.
Bien content que les jeunes cinéastes québécois soient présents à la Quinzaine des réalisateurs, ça ne peut que les aider et ça indique en même temps que notre cinéma est toujours bien vivant. Pour l’instant, ce sont surtout (et même probablement exclusivement) nos médias qui se sont excités au sujet des trois films sélectionnés, les
Polytechnique de Denis Villeneuve,
J’ai tué ma mère de Xavier Dolan et
Carcasses de Denis Côté. J’attends toujours de voir les entrevues et les critiques dans les revues et les journaux français. Si vous en voyez, faites-moi signe.
Christian Verbert, commissaire européen de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC), fait partie de ces enthousiastes, comme on pouvait s’en rendre compte vendredi dernier dans un
article du JdeQ - qui couvre le festival, aussi incroyable que cela puisse paraître.
Le commissaire disait notamment ceci : «La popularité du cinéma québécois en France va sans cesse en grandissant. Et la cerise sur le gâteau, c'est quand on voit que sur les vingt-cinq films sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs, il y en a trois du Québec. Quand on sait qu'il se produit entre quinze et vingt-cinq longs métrages par année au Québec, c'est extraordinaire.»
Il est vrai qu’un représentant du domaine culturel, public comme privé, se doit d’être positif en tout temps - tel un économiste qui jure que tout va pour le mieux à la veille d’une récession majeure - mais rien ne nous oblige à les écouter passivement.
S’il est vrai que ce soit un fait assez rare dans l’histoire de la Quinzaine, que dire de la popularité du cinéma québécois qui va sans cesse en grandissant en France? Vraiment?
Il s’enfonce dans l’infondé en rajoutant :
«Il y a une époque où on avait les Gilles Carle, Carole Laure, Lewis Furey et Jean-Claude Lauzon qui venaient. Les Français les admiraient, mais avec un côté péjoratif, folklorique. C'étaient les petits cousins. Aujourd'hui, ils aiment les Québécois parce qu'ils proposent un cinéma mélangeant les côtés américain et européen. Ça, ils ne sont pas capables de le faire.»
C’est quand même amusant cette opposition. Dans les années soixante, les Français ont RÉELLEMENT louangé le cinéma de Pierre Perrault, oui c’était folklorique, mais pas du tout péjoratif. Et ce côté folklorique attire toujours le public français, Verbert en donne lui-même la preuve : «L'an dernier, sur les Champs-Élysées, le film d'ouverture était
Ce qu'il faut pour vivre, de Bernard Pilon (sic! J’espère que l’erreur vient du journaliste, sinon ça prouve à quel point tout ce
hype est bidon). Il y avait tellement de gens qu'il a fallu ouvrir une deuxième salle. Encore là, on a dû en refuser une soixantaine.»
Ce qu’il faut pour vivre n’a rien de folklorique? Dans les années cinquante, un Inuit déraciné qui se retrouve chez les Blancs… «L’Indien en Amérique qui perd ses repères», c’est le cliché par excellence toujours véhiculé en France.
En ce qui a trait au «côté péjoratif» de l’admiration, vraiment, peut-on croire qu’il n’y a pas autant de Français qui nous prennent pour les petits cousins que dans les années 70 ou 80… Farfelu cette idée de progrès fulgurant, presque de cassure. Et sur cette idée que nos cinéastes mélangent à merveille côté américain et européen, à quels films fait-il référence? (
Le Piège américain, Grande Ourse, De père en flic?)
Ce que je déplore le plus, ce sont tous les efforts que nous effectuons à l’étranger pour faire connaître notre cinéma. On peut se péter les bretelles parce que le film
Carcasses de Denis Côté est à la Quinzaine, mais comme il le souligne lui-même, son film n’est que dans deux salles au Québec.
Observez un peu la méthode.
«Et puis, enchaîne-t-il [Verbert], quand la ministre de la Culture vient ici et rencontre des ministres de la Culture de l'Allemagne, de l'Angleterre, ça donne un levier essentiel pour vendre notre cinéma par la suite. Personnellement, ça m'ouvre des portes. Quand le gouvernement du Québec annonce une augmentation des crédits d'impôts pour la culture, je fais toujours un communiqué que j'expédie aux médias français. En une semaine, il y a toujours quatre ou cinq producteurs européens qui m'appellent pour manifester leur intérêt à coproduire un projet.»
Tout cela sans compter l'organisation depuis 12 ans, sur les Champs-Élysées, du festival Cinéma du Québec, où sont projetés des dizaines de films québécois. Le festival, qui se tient habituellement à la fin de novembre, a aussi lieu à Liège, à Lyon et, depuis 2008, à Cannes. (JdeQ)
«C'est certainement l'une des raisons qui expliquent que nous ayons autant de films à Cannes cette année. Des programmateurs de films internationaux viennent nous voir et il s'y fait un immense travail de réseautage», note Isabelle Melançon, directrice des communications à la SODEC.
Ouf, si c’est comme ça qu’on voit la «vie» culturelle, en invitant des ministres et des gens de l’«industrie» à des petites projections, on s’applaudit, on envoie un chèque…
J’ai dressé pour vous la liste des longs métrages canadiens qui sont passés par la Quinzaine de 1969 à 1989. On se retrouve après la liste.
Quinzaine
1969 (68 longs)
Christopher’s Movie Matinee
Quinzaine 1969
RANSEN Mort
De mère en fille
Quinzaine 1969
POIRIER Anne-Claire
Entre La Mer Et L’eau Douce
Quinzaine 1969
BRAULT Michel
Jusqu’au Cœur
Quinzaine 1969
LEFEBVRE Jean-Pierre
Kid Sentiment
Quinzaine 1969
GODBOUT Jacques
Le Viol D’une Jeune Fille Douce
Quinzaine 1969
CARLE Gilles
1970 (54 longs)
A Married Couple
Quinzaine 1970 - 97' (1970)
KING Allan
Entre Tu Et Vous
Quinzaine 1970 - 65'
BRAULT Michel
GROULX Gilles
La Chambre Blanche
Quinzaine 1970 - 90' (1969)
LEFEBVRE Jean-Pierre
Mon Amie Pierrette
Quinzaine 1970 - 70' (1968)
LEFEBVRE Jean-Pierre
Q-Bec My Love
Quinzaine 1970 - 80' (1969)
LEFEBVRE Jean-Pierre
Reason Over Passion
(La raison avant la passion)
Quinzaine 1970 - 70' (1968)
WIELAND Joyce
1971 (54 longs)
Faut Aller Parmi Le Monde Pour L’savoir
Quinzaine 1971 - 88'
DANSEREAU Fernand
Goin' Down The Road
Quinzaine 1971 - 89' (1969)
SHEBIB Donald
L'acadie, L'acadie
Quinzaine 1971 - 117' (1971)
PERRAULT Pierre
Les Maudits Sauvages
Quinzaine 1971 - 116'
LEFEBVRE Jean-Pierre
1972 (35 longs)
Smattes
Quinzaine 1972 - 92' (1971)
LABRECQUE Jean-Claude
1973 (26 longs)
Réjeanne Padovani
Quinzaine 1973 - 90' (1972)
ARCAND Denys
Wedding In White
Quinzaine 1973 - 103'
FRUET Bill
1974 (28 longs)
Les Dernières Fiançailles
Quinzaine 1974
LEFEBVRE Jean-Pierre
Sweet Movie
Quinzaine 1974, Canada-France
MAKAVEJEV Dusan
1975 (22 longs)
Les Vautours
Quinzaine 1975
LABRECQUE Jean-Claude
1976 (21 longs)
L'eau Chaude, L’eau Frette
Quinzaine 1976
FORCIER André
La Tete De Normande Saint-Onge
Quinzaine 1976
CARLE Gilles
1977 (21 longs)
Why Shoot The Teacher?
(Pitié Pour Le Prof)
Quinzaine 1977
NARIZZANO Silvio
1978 (21 longs)
rien
1979 (16 longs)
Avoir 16 Ans
Quinzaine 1979
LEFEBVRE Jean-Pierre
1980 (15 longs)
L'homme A Tout Faire
Quinzaine 1980
LANCTOT Micheline
1981 (36 longs)
Alligator Shoes
Quinzaine 1981
BORRIS Clay
Les Plouffe
Quinzaine 1981
CARLE Gilles
1982 (20 longs)
Les Fleurs Sauvages
Quinzaine 1982
LEFEBVRE Jean-Pierre
1983 (19 longs)
Rien Qu’un Jeu
Quinzaine 1983
SAURIOL Brigitte
1984 (19 longs)
Les Années De Rêves
Quinzaine 1984
LABRECQUE Jean-Claude
1985 (18 longs)
Gazl El Banat
(Une Vie Supendue)
Quinzaine 1985
Liban, France, - 1h40 (1985)
SAAB Jocelyne
1986 (18 longs)
Dancing in the Dark
(Danse à contre-jour)
Quinzaine 1986 - 1h38 (1986)
MARR Leon
1987 (20 longs)
I’ve Heard The Mermaids Singing
(Le Chant des sirènes)
Quinzaine 1987 - 1h24 (1987)
ROZEMA Patricia
Un Zoo, la nuit
Quinzaine 1987 - 1h56 (1987)
LAUZON Jean-Claude
1988 (18 longs)
La Ligne de Chaleur
Quinzaine 1988 - 1h30 (1987)
ROSE Hubert-Yves
1989 (15 longs)
Speaking Parts
(Les Figurants)
Quinzaine 1989 - 1h32 (1989)
EGOYAN Atom
En regardant cette liste, on se rend tout de suite compte que le cinéma québécois était très présent DÈS LE DÉBUT. Comptez-vous bien comme moi 6 films québécois (oui Mort Ransen est québécois) ? Pour un peu plus, Christian Verbert parlerait d’une nouvelle ère parce que 3 films sur 15 ou 25 longs métrages sont à la Quinzaine, or combien de longs métrages s’était-il tourné en 1968 au Québec ? C’était tout aussi extraordinaire.
À quoi ou à qui était dû ce succès ? À des petites séances organisées en France pour des ministres ? Pourquoi pas. Mais peut-être aussi parce que dès 1960 on s’est intéressé au cinéma ICI (à Montréal) au point de tenir un festival qui ouvrirait un volet compétitif canadien dès 1963. De 1963 à 1967, on fera des pieds et des mains pour inviter des gens du milieu (y compris des critiques) de partout dans le monde qui pourraient découvrir, entre autres, le cinéma canadien. Parmi les noms qui reviennent on retrouve Pierre Perreault, Gilles Groulx, Arthur Lamothe, Michel Brault, Norman McLaren, Jacques Godbout, Jean Pierre Lefebvre, Claude Jutra et Gilles Carle. En 1965, Perreault a droit à un entretien dans les Cahiers, Lefebvre en 1967 et cinq cinéastes sont interviewés en 1966, comme par hasard il s’agit de Brault, Groulx, Jutra, Lamothe et Lefebvre.
En 1967, Premier Plan consacre un numéro au «Jeune cinéma canadien» qui donne la part belle à Michel Brault, Gilles Carle, Gilles Groulx, Claude Jutra, Wolf Koenig, Arthur Lamothe, Jean-Pierre Lefebvre et Norman McLaren. Le petit lexique des 30 réalisateurs canadiens comprend Denys Arcand, Fernand Dansereau, Jacques Godbout, Larry Kent, Allan King, Jean-Claude Labrecque et Pierre Perrault.
Il m’apparaît évident que le «réseautage» s’était fait en grande partie autour de ce festival et qu’en moins d’une décennie, le jeune cinéma canadien s’était fait connaître en France, suffisamment pour que Brault, Lefebvre, Perrault, Godbout, Carle, Groulx, Dansereau, Arcand et Labrecque se retrouvent tous à Cannes dans les années qui suivirent.
La leçon n’est pas compliquée à tirer : la vraie vie culturelle, elle est ici, au Québec, et pour l’instant ce n’est pas rose. Nous avons mille événements autour du cinéma, mais aucun qui puisse attirer les regards d’ici et d’ailleurs, en même temps, avec force et crédibilité. Nos cinéastes québécois préfèrent même une première à Toronto plutôt qu’au FFM. C’est tout dire. Il serait peut-être temps d’arrêter d’essayer de vendre à tout prix nos films à l’étranger et de commencer par créer l’engouement à partir d’ici.
Les films québécois en sélection officielle
1963: Pour la suite du monde (Michel Brault et Pierre Perreault)
1972: La vraie nature de Bernadette (Gilles Carle)
1973: La mort du bûcheron (Gilles Carle)
1974: Il était une fois dans l'Est (André Brassard)
1975: Les ordres (Michel Brault)
1977: Le vieux pays où Rimbaud est mort (Jean-Pierre Lefebvre)
1977: J.A. Martin photographe (Jean Beaudin)
1980: Fantastica (Gilles Carle)
1985: Joshua Then And Now (Ted Kotcheff)
1989: Jésus de Montréal (Denys Arcand)
1992: Léolo (Jean-Claude Lauzon)
1993: L'homme sur les quais (Raoul Peck, Coproduction avec la France)
2001: La répétition (Catherine Corsini, Coproduction avec la France)
2003: Les invasions barbares (Denys Arcand)
2003: La petite Lili (Claude Miller, Coproduction avec la France)
Films québécois primés
1955: Blinkity Blank, de Norman McLaren (palme d’or du court métrage)
1957: Capitale de l’or, de Wolf Koenig et Colin Low (prix du meilleur documentaire, court métrage)
1960: Notre univers, de Roman Kroitor et Colin Low (prix du meilleur documentaire, court métrage)
1972: Zikkaron, de Laurent Coderre (grand prix de la Commission supérieure technique, court métrage)
1973: Balablok, de Bretislav Pojar (palme d’or du court métrage)
1974: La faim, de Peter Foldès (prix du jury, court métrage)
1975: Les ordres, de Michel Brault (prix de la mise en scène)
1977: J.A. Martin photographe, de Jean Beaudin (prix d’interprétation féminine pour Monique Mercure, prix du jury oecumnique)
1980: L’artiste, de Norma Bailey (prix du jury, court métrage)
1981: Zea, de André et Jean-Jacques Leduc (prix du jury, court métrage)
1982: Les fleurs sauvages, de Jean-Pierre Lefebvre (prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique pour un film hors compétition)
1986: Le déclin de l’empire américain, de Denys Arcand (prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique pour un film hors compétition)
1989: 50 ans, de Gilles Carle (palme d’or du court métrage)
1989: Jésus de Montréal, de Denys Arcand (prix du jury, prix du jury oecuménique)
1999: When The Day Breaks, de Amanda Forbis et Wendy Tilby (palme d’or du court métrage)
2001: Atanarjuat: la légende de l’homme rapide, de Zacharias Kunuk (caméra d’or)
2003: Les invasions barbares, de Denys Arcand (prix d’interprétation féminine pour Marie-Josée Croze, prix du scénario)
2004: L’homme sans ombre, de Georges Schwizgebel (prix regards jeunes, court métrage, semaine de la critique)
2004: CQ2, de Carole Laure (Grand rail d’or du long métrage, semaine de la critique)
2006: Conte de quartier, de Florence Miailhe (mention du jury, court métrage)
2007: Madame Tutli-Putli, de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski (Grand prix du meilleur cours métrage et petit rail d’or, semaine de la critique)