«J’ai péché» publié en 1971 dans Jean-Pierre Lefebvre de Renald Bérubé et Yvan Patry.
J’AI PÉCHÉ
1
«J’ai 27 ans. J’aime les voyages, la nature. Je suis cinéaste (québécois). Je mesure six pieds et on me dit d’apparence agréable. J’aimerais rencontrer la société-sœur, vierge autant que possible. But : l’avenir le dira.»
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«J’ai 27 ans. J’aime les voyages, la nature. Je suis cinéaste (québécois). Je mesure six pieds et on me dit d’apparence agréable. J’aimerais rencontrer la société-sœur, vierge autant que possible. But : l’avenir le dira.»
2
D’abord une confidence : je suis l’auteur de mes films.
Le Révolutionnaire : refusé au Festival de Montréal 1966 et au Festival d’Evian de la même année; honte du Festival de Pesaro 1967 et échec au Festival de Berlin 1968.
Patricia et Jean-Baptiste : deux fois refusé par la Société Radio-Canada; honte de Mlle Chantal Renaud qui expliqua dans le Photo-Journal du 17 janvier 1968 pourquoi ce film, montré à la deuxième chaîne de télévision de France, constituait «la pire image du Canada en France»; très récemment retiré de l’affiche du Festival de Sainte-Agathe à la dernière minute par les directeurs qui le jugèrent indigne de figurer à l’intérieur de leurs manifestations «culturelles» et prétextèrent que la salle où devait avoir lieu, le 8 août dernier, la première officielle du film n’était plus disponible ou, comme il fut dit à certaines gens qui s’étaient rendues voir le film, que la copie ne leur était pas parvenue, ce qui est faux (et je dois vous demander d’oublier la critique très juste et très profonde que Luc Perreault, non averti du contretemps, et pour cause, lui a consacrée dans La Presse du vendredi 9 août, à la suite de cette première fantôme).
Mon œil : Film sur la honte.
Il ne faut pas mourir pour ça : ma honte personnelle parce qu’il a remporté trop de prix.
Mon amie Pierrette : chuttt… une petite cousine de Patricia et Jean-Baptiste, tourné en septembre 1967 pour … chutt l’ONF … montage définitif présenté et refusé une première fois en décembre 67, mis en «ballottage» par la suite jusqu’en septembre 1968… soumis à toute la suite logique d’authentiques procédés d’approbation démocratique, quelques personnes fortes refusant d’assumer, au non de l’ONF, ma honte personnelle… mais chutt.
Jusqu’au cœur : film honteux (bien que produit par l’ONF) parce qu’il montre qu’on n’a aucune honte à agir avec honte.
3
Je suis foncièrement un inadapté. Ayant en effet un brillant avenir devant moi, une carrière de professeur dans une institution «canadienne-anglaise», j’ai refusé la sécurité matérielle pour tenter d’exprimer certains problèmes de mon milieu, c’est-à-dire le milieu québécois. C’est alors que je me suis rendu compte, mais trop tard, de mon peu d’intelligence et d’intuition : IL N’Y A PAS DE PROBLÈMES AU QUÉBEC. Je n’ai donc exprimé, dans mes six longs métrages, que des obsessions personnelles : immobilisme d’une société soumise aux rigueurs du froid et d’un colonialisme à la fois britannique, français, américain et religieux; ségrégation absolue au niveau des langages parlés du Québécois et conséquemment des classes sociales; dictature des structures capitalistes, sur l’économie et la culture; crise aiguë de communication entre les individus et les divers groupes de ma société pour les raisons plus haut mentionnées et aussi, bêtement et simplement, pour des raisons d’ordre géographique.
4
Mes films, au reste, malsains et minables, font de façon fort convaincante la preuve de l’état de pauvreté et d’infériorité dans lequel je souhaiterais plonger ma société qui, heureusement, par l’entremise de ses dirigeants responsables et compétents, proteste avec véhémence et affiche clairement son désir de demeurer authentiquement américaine et «transplantée».
Au lieu de montrer la beauté et la chair féminine déployées dans tous leurs attraits sensuels et voluptueux, j’ai commis l’erreur de croire en la tendresse, en la tendresse qui est faite de violence parfois, parce que l’amour est «direct», sans hypocrisie, sans flatterie. Au lieu de montrer de vrais meurtres avec de vrais fusils, j’ai laissé entrevoir un fantôme miné par le défaitisme national et certaines idées fascistes. Par dessus tout, en créant des œuvres «lentes», avec la prétention de méditer quelques paysages et quelques sentiments, avec celle aussi, bien téméraire, de respecter le spectateur en ne l’abaissant pas au dénominateur commun, broutant, qu’a fait de lui le cinéma du luxe, je n’ai pas su témoigner de cette «belle province» agitée, nerveuse, active, violente, novatrice, créatrice, cultivée, industrialisée, débordante d’enthousiasme, dans le vent et dont la langue parlée est la seule de tous les milieux francophones mondiaux à avoir conservé la justesse et la précision de la langue de Rabelais.
5
J’ai péché, donc je suis coupable. Je suis coupable, donc j’ai péché. Si au moins j’avais l’assurance que vous ne me pardonnerez pas, que vous réfléchirez à mes crimes… Si j’avais l’assurance qu’une fois de plus vous ne vous dégagerez pas de vos responsabilités et penserez : paix à son âme, Dieu lui pardonnera, nous on s’en maudit jusqu’au cou. Ainsi ne soit-il pas.
JEAN-PIERRE LEFEBVRE
D’abord une confidence : je suis l’auteur de mes films.
Le Révolutionnaire : refusé au Festival de Montréal 1966 et au Festival d’Evian de la même année; honte du Festival de Pesaro 1967 et échec au Festival de Berlin 1968.
Patricia et Jean-Baptiste : deux fois refusé par la Société Radio-Canada; honte de Mlle Chantal Renaud qui expliqua dans le Photo-Journal du 17 janvier 1968 pourquoi ce film, montré à la deuxième chaîne de télévision de France, constituait «la pire image du Canada en France»; très récemment retiré de l’affiche du Festival de Sainte-Agathe à la dernière minute par les directeurs qui le jugèrent indigne de figurer à l’intérieur de leurs manifestations «culturelles» et prétextèrent que la salle où devait avoir lieu, le 8 août dernier, la première officielle du film n’était plus disponible ou, comme il fut dit à certaines gens qui s’étaient rendues voir le film, que la copie ne leur était pas parvenue, ce qui est faux (et je dois vous demander d’oublier la critique très juste et très profonde que Luc Perreault, non averti du contretemps, et pour cause, lui a consacrée dans La Presse du vendredi 9 août, à la suite de cette première fantôme).
Mon œil : Film sur la honte.
Il ne faut pas mourir pour ça : ma honte personnelle parce qu’il a remporté trop de prix.
Mon amie Pierrette : chuttt… une petite cousine de Patricia et Jean-Baptiste, tourné en septembre 1967 pour … chutt l’ONF … montage définitif présenté et refusé une première fois en décembre 67, mis en «ballottage» par la suite jusqu’en septembre 1968… soumis à toute la suite logique d’authentiques procédés d’approbation démocratique, quelques personnes fortes refusant d’assumer, au non de l’ONF, ma honte personnelle… mais chutt.
Jusqu’au cœur : film honteux (bien que produit par l’ONF) parce qu’il montre qu’on n’a aucune honte à agir avec honte.
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Je suis foncièrement un inadapté. Ayant en effet un brillant avenir devant moi, une carrière de professeur dans une institution «canadienne-anglaise», j’ai refusé la sécurité matérielle pour tenter d’exprimer certains problèmes de mon milieu, c’est-à-dire le milieu québécois. C’est alors que je me suis rendu compte, mais trop tard, de mon peu d’intelligence et d’intuition : IL N’Y A PAS DE PROBLÈMES AU QUÉBEC. Je n’ai donc exprimé, dans mes six longs métrages, que des obsessions personnelles : immobilisme d’une société soumise aux rigueurs du froid et d’un colonialisme à la fois britannique, français, américain et religieux; ségrégation absolue au niveau des langages parlés du Québécois et conséquemment des classes sociales; dictature des structures capitalistes, sur l’économie et la culture; crise aiguë de communication entre les individus et les divers groupes de ma société pour les raisons plus haut mentionnées et aussi, bêtement et simplement, pour des raisons d’ordre géographique.
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Mes films, au reste, malsains et minables, font de façon fort convaincante la preuve de l’état de pauvreté et d’infériorité dans lequel je souhaiterais plonger ma société qui, heureusement, par l’entremise de ses dirigeants responsables et compétents, proteste avec véhémence et affiche clairement son désir de demeurer authentiquement américaine et «transplantée».
Au lieu de montrer la beauté et la chair féminine déployées dans tous leurs attraits sensuels et voluptueux, j’ai commis l’erreur de croire en la tendresse, en la tendresse qui est faite de violence parfois, parce que l’amour est «direct», sans hypocrisie, sans flatterie. Au lieu de montrer de vrais meurtres avec de vrais fusils, j’ai laissé entrevoir un fantôme miné par le défaitisme national et certaines idées fascistes. Par dessus tout, en créant des œuvres «lentes», avec la prétention de méditer quelques paysages et quelques sentiments, avec celle aussi, bien téméraire, de respecter le spectateur en ne l’abaissant pas au dénominateur commun, broutant, qu’a fait de lui le cinéma du luxe, je n’ai pas su témoigner de cette «belle province» agitée, nerveuse, active, violente, novatrice, créatrice, cultivée, industrialisée, débordante d’enthousiasme, dans le vent et dont la langue parlée est la seule de tous les milieux francophones mondiaux à avoir conservé la justesse et la précision de la langue de Rabelais.
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J’ai péché, donc je suis coupable. Je suis coupable, donc j’ai péché. Si au moins j’avais l’assurance que vous ne me pardonnerez pas, que vous réfléchirez à mes crimes… Si j’avais l’assurance qu’une fois de plus vous ne vous dégagerez pas de vos responsabilités et penserez : paix à son âme, Dieu lui pardonnera, nous on s’en maudit jusqu’au cou. Ainsi ne soit-il pas.
JEAN-PIERRE LEFEBVRE
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