J’accorde une grande importance à la lecture de revues de cinéma telles que nos 24 Images, Ciné-bulles et Séquences, elles me permettent chaque jour de faire reculer un peu plus mon ignorance. J’y ai découvert tellement de cinéastes, d’univers et de films sous tous les angles. Bien souvent, je me demande comment le cinéma peut être si populaire tout en laissant la plupart des gens complètement indifférents aux revues de cinéma. Mais là n’est pas la question.
Des découvertes dans les revues? Par exemple, Jean Pierre Lefebvre, dans le 24 Images de mars-avril 2006, le numéro lui étant consacré. Je m’étais dit «Veux-tu ben me dire qui est-ce gars-là? En plus il fait la page couverture!». Depuis, après avoir lu le bilan de sa carrière et les entrevues, je suis attristé de voir qu’un tel homme (qui n’est même pas mort!), si important dans l’histoire du cinéma du Québec, comme cinéaste et critique, puisse tomber à ce point dans l’oubli général. Il est pourtant président de l’ARRQ, mais comme il ne joue pas à la télé…
Pour lui rendre un petit hommage et parce que son humour m’a complètement charmé, je transcris ici une autobiographie et un document intitulé «J’ai péché» publiés en 1971 dans Jean-Pierre Lefebvre de Renald Bérubé et Yvan Patry. Lefebvre, qui a écrit plusieurs années dans la revue Objectif, ne manquait déjà pas de verve.
LEFEBVRE PAR LUI-MÊME
Autobiographie
(en sachant que tout est une question de naissance)
-Né le 17 août 1941
-Père pharmacien. Mère amoureuse des chats et du cinéma.
-Deux sœurs, un frère.
-Une seule passion : l’aviation.
-Passé de Saint-Henri au low Westmount.
-Huit ans pensionnaire dans un «pensionnat» vieille méthode, en campagne. Bon élève à cause de circonstances incontrôlables.
-Commence à écrire (vers 13 ans) à cause de ces mêmes circonstances incontrôlables (dont le silence forcé, puis le silence voulu). Mais rapidement, la parole devient secret et culpabilité. C’est pourquoi publie très peu. A en outre la chance de se faire voler deux manuscrits en débarquant à Paris, où il passe un an à voir des films avant de découvrir la couleur et les hommes en Espagne.
-Première idée de long métrage à 15 ans : Dollard Des Ormeaux (ou l’Histoire est une histoire comme une autre); coup de foudre, à la même époque, pour Alexandre Newsky.
-Bachelier à 18 ans (toujours ces mêmes circonstances incontrôlables!). Puis, Université de Montréal … en lettres. Là, rencontre d’un professeur pas comme les autres : le Père Ernest Gagnon.
-Critique (?) de cinéma au Quartier-Latin, Séquences (?), Objectif. Environ 7 ans.
-Diverses activités cinématographiques (très peu subversives à l’époque).
-AIME LE CINÉMA.
-Produit lui-même son premier court métrage, L’Homoman (1964), et ses quatre premiers longs : Le Révolutionnaire (1965), Patricia et Jean-Baptiste (1966); Mon œil (1966) et Il ne faut pas mourir pour ça (1966).
-Réalise ensuite deux longs métrages pour l’Office national du film : Mon amie Pierrette (1967) et Jusqu'au cœur (1968).
-Les Films J. P. Lefebvre deviennent Cinak Ltée et en 1969, c’est La Chambre blanche (avec la collaboration de la SDICC) et Un Succès commercial (seul).
-Le 1er avril 1969, devient responsable pour un an du Studio de Fiction de l’ONF et met sur pied, avec Jacques Godbout, une section appelée «premières œuvres».
-Ne met jamais en scène des personnages qu’il n’aime pas.
-A rencontré sa monteuse, Margerite Duparc lors de son premier film; a rencontré sa femme lors du montage de son premier film.
-Met un cinéaste au-dessus de tous les autres : Misoguchi [D’ailleurs, dans l’entrevue ci-nommée, quand les étudiants de Concordia le compare à Godard et Bresson, il revient à Mizogushi]
-Vient de publier (pour se débarrasser des circonstances incontrôlables) un recueil de textes, Parfois, quand je vis, chez HMH.
-Divise son œuvre en trois périodes, correspondant à la couleur de ses trois Volkswagen : grise, rouge, jaune.
-Ne préfère aucun de ses films et ne croit qu’à une seule chose : LA CONTINUITÉ.
-A remplacé le mot «liberté» par celui de «disponibilité».
-Prépare très longuement ses films, n’improvise pas, mais s’adapte à tout.
-Voudrait devenir cinéaste.
Des petites trouvailles en attendant la partie «J’ai péché»:
-Une entrevue à des étudiants (je présume) de Concordia (2004)
-Une entrevue à Hors Champ (2003)
-Sa lettre ouverte sur la crise à Téléfilm, datée du 21 juin 2006 (pour montrer qu’il est bien vivant et qu’il n’a pas perdu sa verve)
Lettre ouverte - LA CRISE À TÉLÉFILM CANADA
L’opinion publique est en état de choc et ne comprend pas : pourquoi soudainement tout va-t-il si mal alors que tout semblait aller si bien?
La crise actuelle a ceci de bon qu’elle démontre par l’absurde que les politiques de Téléfilm Canada en matière de long métrage ne fonctionnent pas (plus). Si elles ne fonctionnent pas c’est qu’avec de l’argent à 100 % public elles appliquent le modèle privé sans toutefois la participation réelle de l’industrie privée qui, elle, de surcroît, bénéficie de largesses accrues - et démesurées - depuis l’instauration des enveloppes à la performance commerciale il y a cinq ans. Ces enveloppes, on ne le répètera jamais assez, pompent 75 % du fonds du long métrage, 50 % automatiquement, 25 % dans le fonds sélectif; donc, contrairement à l’effet escompté, elles n’ont pas rendu les producteurs à succès moins dépendants des investissement et des modes de sélection de Téléfilm : elles ont plutôt contribué à l’accroissement de la gourmandise collective du milieu du cinéma et à l’inflation galopante des coûts de production, le coût moyen d’un film québécois étant passé de 1,9 million en 1999-2000 à 4,9 millions en 2005. Conséquences : 1) le fameux dicton des saucisses, « plus on en mange, plus elles sont fraîches », ne tient plus bien que le grand public ait tant et tant bouffé de films québécois depuis quelques années; 2) plus les films coûtent cher, moins il s’en fait, moins il s’en fera, d’où le présent sevrage de la part de Téléfilm et l’indignation publique qui s’en est ensuivie.
Un « don » miraculeux de 20 millions de Patrimoine Canada au fonds francophone du long métrage viendrait tempérer la situation, certes, mais c’est l’ensemble des politiques et du fonctionnement de Téléfilm Canada qu’il faut revoir et refondre. La vision qu’a de Téléfilm l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) découle des prises de position de son assemblée générale depuis trois ans et tient en une phrase : le même traitement pour tout le monde. Donc, abolition des enveloppes à la performance. Donc, accessibilité de tous les projets au sélectif. Donc, critères de sélection identiques pour les projets et les créateurs qui y sont rattachés, en commençant par les réalisateurs. Cependant, une fois établies des mesures équitables et identiques pour tout le monde, il faudra dégonfler le ballon de l’inflation; il faudra de manière impérative mettre en place des mécanismes de financement automatique, telle une billetterie prélevant un pourcentage fixe sur le box office de tous les films; enfin, il faudra établir des échelles budgétaires réalistes au-delà desquelles un producteur devra obligatoirement avoir recours au capital privé.
Dans le contexte restreint et fragile de cinéma québécois, tout cela relève du sens commun le plus élémentaire mais sous-entend du même coup un changement radical de mentalité et de pratique de la part d’une institution qui affirme que « le producteur est le maître d’œuvre du projet » et a fait de lui son client privilégié.
Présentement, les jeux sont faits, rien ne va plus et tout le monde est mécontent, y compris certains producteurs qui ne se gênent plus pour le dire sur la place publique.
Jean Pierre Lefebvre
Président
Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec
Des découvertes dans les revues? Par exemple, Jean Pierre Lefebvre, dans le 24 Images de mars-avril 2006, le numéro lui étant consacré. Je m’étais dit «Veux-tu ben me dire qui est-ce gars-là? En plus il fait la page couverture!». Depuis, après avoir lu le bilan de sa carrière et les entrevues, je suis attristé de voir qu’un tel homme (qui n’est même pas mort!), si important dans l’histoire du cinéma du Québec, comme cinéaste et critique, puisse tomber à ce point dans l’oubli général. Il est pourtant président de l’ARRQ, mais comme il ne joue pas à la télé…
Pour lui rendre un petit hommage et parce que son humour m’a complètement charmé, je transcris ici une autobiographie et un document intitulé «J’ai péché» publiés en 1971 dans Jean-Pierre Lefebvre de Renald Bérubé et Yvan Patry. Lefebvre, qui a écrit plusieurs années dans la revue Objectif, ne manquait déjà pas de verve.
LEFEBVRE PAR LUI-MÊME
Autobiographie
(en sachant que tout est une question de naissance)
-Né le 17 août 1941
-Père pharmacien. Mère amoureuse des chats et du cinéma.
-Deux sœurs, un frère.
-Une seule passion : l’aviation.
-Passé de Saint-Henri au low Westmount.
-Huit ans pensionnaire dans un «pensionnat» vieille méthode, en campagne. Bon élève à cause de circonstances incontrôlables.
-Commence à écrire (vers 13 ans) à cause de ces mêmes circonstances incontrôlables (dont le silence forcé, puis le silence voulu). Mais rapidement, la parole devient secret et culpabilité. C’est pourquoi publie très peu. A en outre la chance de se faire voler deux manuscrits en débarquant à Paris, où il passe un an à voir des films avant de découvrir la couleur et les hommes en Espagne.
-Première idée de long métrage à 15 ans : Dollard Des Ormeaux (ou l’Histoire est une histoire comme une autre); coup de foudre, à la même époque, pour Alexandre Newsky.
-Bachelier à 18 ans (toujours ces mêmes circonstances incontrôlables!). Puis, Université de Montréal … en lettres. Là, rencontre d’un professeur pas comme les autres : le Père Ernest Gagnon.
-Critique (?) de cinéma au Quartier-Latin, Séquences (?), Objectif. Environ 7 ans.
-Diverses activités cinématographiques (très peu subversives à l’époque).
-AIME LE CINÉMA.
-Produit lui-même son premier court métrage, L’Homoman (1964), et ses quatre premiers longs : Le Révolutionnaire (1965), Patricia et Jean-Baptiste (1966); Mon œil (1966) et Il ne faut pas mourir pour ça (1966).
-Réalise ensuite deux longs métrages pour l’Office national du film : Mon amie Pierrette (1967) et Jusqu'au cœur (1968).
-Les Films J. P. Lefebvre deviennent Cinak Ltée et en 1969, c’est La Chambre blanche (avec la collaboration de la SDICC) et Un Succès commercial (seul).
-Le 1er avril 1969, devient responsable pour un an du Studio de Fiction de l’ONF et met sur pied, avec Jacques Godbout, une section appelée «premières œuvres».
-Ne met jamais en scène des personnages qu’il n’aime pas.
-A rencontré sa monteuse, Margerite Duparc lors de son premier film; a rencontré sa femme lors du montage de son premier film.
-Met un cinéaste au-dessus de tous les autres : Misoguchi [D’ailleurs, dans l’entrevue ci-nommée, quand les étudiants de Concordia le compare à Godard et Bresson, il revient à Mizogushi]
-Vient de publier (pour se débarrasser des circonstances incontrôlables) un recueil de textes, Parfois, quand je vis, chez HMH.
-Divise son œuvre en trois périodes, correspondant à la couleur de ses trois Volkswagen : grise, rouge, jaune.
-Ne préfère aucun de ses films et ne croit qu’à une seule chose : LA CONTINUITÉ.
-A remplacé le mot «liberté» par celui de «disponibilité».
-Prépare très longuement ses films, n’improvise pas, mais s’adapte à tout.
-Voudrait devenir cinéaste.
Des petites trouvailles en attendant la partie «J’ai péché»:
-Une entrevue à des étudiants (je présume) de Concordia (2004)
-Une entrevue à Hors Champ (2003)
-Sa lettre ouverte sur la crise à Téléfilm, datée du 21 juin 2006 (pour montrer qu’il est bien vivant et qu’il n’a pas perdu sa verve)
Lettre ouverte - LA CRISE À TÉLÉFILM CANADA
L’opinion publique est en état de choc et ne comprend pas : pourquoi soudainement tout va-t-il si mal alors que tout semblait aller si bien?
La crise actuelle a ceci de bon qu’elle démontre par l’absurde que les politiques de Téléfilm Canada en matière de long métrage ne fonctionnent pas (plus). Si elles ne fonctionnent pas c’est qu’avec de l’argent à 100 % public elles appliquent le modèle privé sans toutefois la participation réelle de l’industrie privée qui, elle, de surcroît, bénéficie de largesses accrues - et démesurées - depuis l’instauration des enveloppes à la performance commerciale il y a cinq ans. Ces enveloppes, on ne le répètera jamais assez, pompent 75 % du fonds du long métrage, 50 % automatiquement, 25 % dans le fonds sélectif; donc, contrairement à l’effet escompté, elles n’ont pas rendu les producteurs à succès moins dépendants des investissement et des modes de sélection de Téléfilm : elles ont plutôt contribué à l’accroissement de la gourmandise collective du milieu du cinéma et à l’inflation galopante des coûts de production, le coût moyen d’un film québécois étant passé de 1,9 million en 1999-2000 à 4,9 millions en 2005. Conséquences : 1) le fameux dicton des saucisses, « plus on en mange, plus elles sont fraîches », ne tient plus bien que le grand public ait tant et tant bouffé de films québécois depuis quelques années; 2) plus les films coûtent cher, moins il s’en fait, moins il s’en fera, d’où le présent sevrage de la part de Téléfilm et l’indignation publique qui s’en est ensuivie.
Un « don » miraculeux de 20 millions de Patrimoine Canada au fonds francophone du long métrage viendrait tempérer la situation, certes, mais c’est l’ensemble des politiques et du fonctionnement de Téléfilm Canada qu’il faut revoir et refondre. La vision qu’a de Téléfilm l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) découle des prises de position de son assemblée générale depuis trois ans et tient en une phrase : le même traitement pour tout le monde. Donc, abolition des enveloppes à la performance. Donc, accessibilité de tous les projets au sélectif. Donc, critères de sélection identiques pour les projets et les créateurs qui y sont rattachés, en commençant par les réalisateurs. Cependant, une fois établies des mesures équitables et identiques pour tout le monde, il faudra dégonfler le ballon de l’inflation; il faudra de manière impérative mettre en place des mécanismes de financement automatique, telle une billetterie prélevant un pourcentage fixe sur le box office de tous les films; enfin, il faudra établir des échelles budgétaires réalistes au-delà desquelles un producteur devra obligatoirement avoir recours au capital privé.
Dans le contexte restreint et fragile de cinéma québécois, tout cela relève du sens commun le plus élémentaire mais sous-entend du même coup un changement radical de mentalité et de pratique de la part d’une institution qui affirme que « le producteur est le maître d’œuvre du projet » et a fait de lui son client privilégié.
Présentement, les jeux sont faits, rien ne va plus et tout le monde est mécontent, y compris certains producteurs qui ne se gênent plus pour le dire sur la place publique.
Jean Pierre Lefebvre
Président
Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec
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