mardi, mai 14, 2013

Critique, dissidence, désertion



Un des meilleurs entretiens qu'il m'ait été donné de lire dans les dernières années. Inclusion, servitude volontaire, intellectuel justificateur, rebelle de service, animateur culturel, plasticiens, gavage, désensibilisation, triomphe de l'insignifiance, inculture... Quand Annie Lebrun parle de la culture aujourd'hui, j'ai tellement de flashs de journalistes, d'animateurs, de fonctionnaires, de critiques, d'intellectuels, de films, de cinéastes et autres artistes du Québec. Je laisse le texte vous évoquer vos propres références.

Voici mes extraits préférés, j'ai mis le lien vers l'entretien complet au format pdf à la fin.


« En affirmant « Nous n'avons pas de talent », eux [les surréalistes] qui en avaient plus que quiconque, voulaient prendre la plus grande distance avec la non-pensée artistique qui avait servi à couvrir une société s'étant révélée indéfendable. Le problème est que ce genre de proposition est aujourd'hui retournée pour justifier l'inculture et l'incapacité de gens qui, sous prétexte de « créativité », ne cherchent qu'à occuper le terrain. Dans le même temps, cette exaltation de l'ignorance fait prospérer une nouvelle génération cynique de publicitaires ou de « plasticiens » qui ont bien compris quel parti ils peuvent en tirer pour vivre confortablement. Faute de créer quoi que ce soit, cette nomenklatura impose une expression essentiellement pléonastique. »

« Le spectacle de la folie nous serait exhibé, dissuadant de toute dissidence ?
-Oui et de façon très habile. On pourrait ici parler d'inclusion par exclusion. D'autant que les choses se compliquent quand on est vivant et qu'on ne veut pas devenir fou. Car si l'asile était la meilleure arme des régimes totalitaires après les camps, nos sociétés ont tôt fait de vous enfermer dans une sorte de paranoïa pour peu que vous les considériez d'un oeil critique. En ce sens, Benjamin Péret avait prévu le piège de cette nouvelle escroquerie au poète maudit en déclarant que c'est désormais au poète de maudire le monde. Position, on l'imagine, des plus difficiles à tenir dans des sociétés où la servitude volontaire est devenue la chose la mieux partagée du monde, incitant chacun à jouer son rôle, fût-ce celui du rebelle de service. »

« Car le fait est qu'on ne vous paye jamais pour être libre. Ainsi me parait-il difficile d'avoir un rapport critique à ce monde, tout en étant rétribué pour y exercer un certain pouvoir. C'est aujourd'hui malheureusement autant le cas des intellectuels majoritairement universitaires que celui des artistes cherchant de plus en plus à être subventionnés. Du coup, il ne faut pas s'étonner que les intellectuels, à quelques exceptions près, aient de moins en moins de scrupules à se faire les justificateurs de ce qui est, quand les artistes se laissent réduire au rôle d'animateurs culturels. Il n'y a pas d'un côté la vie et de l'autre la pensée ou l'art. Telle est pour moi l'inconséquence majeure à l'origine de l'actuel triomphe de l'insignifiance. D'autant que, même s'il est difficile d'échapper à l'actuel quadrillage du monde intellectuel et sensible, rien ne peut s'inventer dans les enclos du pouvoir. »

« Comme si, à un moment, le refus d'obligation d'être devait se transformer en une nouvelle identité qui devient une autre obligation d'être. Là est le danger de toute revendication identitaire toujours en proie d'être relayée par un désir d'insertion sinon de pouvoir. »

« Un des principes du monde qui nous est imposé est l'inclusion, ce qui n'existait pas auparavant. Cette nouvelle forme de servitude volontaire est ce que j'appelle la « différence intégrée ». Vous êtes différent, parfait. On vous reconnaît comme tel. Mais cette reconnaissance équivaut à la mise en place d'un cordon de sécurité, puisqu'elle suppose la suspension de toute critique. Sans doute, au cours du siècle passé, trop d'intellectuels en sont-ils venus à accepter l'idéologie qu'ils prétendaient combattre. Même si ce fut, trop souvent, pour des raisons peu reluisantes, fatigue, désir d'être reconnu, crainte d'une situation précaire - et dans bien des cas, cela reste une énigme -, les uns et les autres ont cédé à une société qui leur était hostile, alors que le propre de la nôtre est au contraire de faire l'économie de tout affrontement, instaurant une véritable banalisation de la servitude. »

« Quel rapport tissez-vous entre l'individu et le groupe ?
Cette question est certainement l'une des plus révolutionnaires aujourd'hui. C'est là que le nombre rattrape l'unique et fait un noeud encore plus difficile à dénouer depuis que la question de l'identité ne cesse d'altérer la relation à l'autre sur le modèle du même. »

« Oui, nous sommes face à une désensibilisation par gavage, avec l'anéantissement de tout esprit critique qui va de pair. Le voilà ce libertinage culturel qui est désormais l'apanage de l'esprit fort d'aujourd'hui, de l'homme connexionniste, dont la qualité essentielle est de pouvoir passer d'une chose à l'autre sans jamais s'investir véritablement. À cette mobilisation par désensibilisation systématique, ne serait-il pas temps d'opposer une désertion visant à re-passionner la vie ? »

Entretien avec Annie Lebrun
Attention ! L'ingestion de l'entretien qui suit peut provoquer des lésions mentales irréversibles. Annie Lebrun, écrivain et philosophe, auteur de plusieurs essais remarquables et de pamphlets sur l'embrigadement féministe, a répondu à nos questions. Sa conception intransigeante de la liberté et le sens de la révolte qui l'anime en font l'un des rares esprits qui oxygènent une époque asphyxiante. Discussion avec une insoumise qui trempe sa plume dans une encre noire comme un ciel d'orage.

lundi, avril 29, 2013

Top 10 des cinéastes



Je suis tombé sur ces Top 10 de films préférés de cinéastes en cherchant complètement autre chose sur Internet. Je suis un peu quoique agréablement surpris de voir à quel point, de Denys Arcand à Tarkovski en passant par Roger Corman et Tim Robbins, les références aux mêmes grands cinéastes sont très nombreuses. Comme quoi une culture commune forte et signifiante a quelque chose à voir avec le talent et la capacité de créer soi-même quelque chose de qualité. On n'y échappe pas.

Top 10 Films, as picked by filmmakers

jeudi, avril 18, 2013

La neutralité n'existe pas



Dans un article publié dans Hors Champ, j'écrivais : "Un exemple de système clos et biaisé consiste à jouer le jeu de ne pas imposer de valeurs. Comme tel cinéaste qui ne veut pas imposer d’émotion et tel commentateur d’applaudir « parce que l’auteur n’impose pas de valeurs ou de point de vue ». Le spectateur devrait-il être content de tant de respect mutuel ? D’une part c’est faux, toute œuvre et toute critique est orientée et porteuse de valeurs (au moins esthétiques, par des choix ou des non-choix), d’autre part quel idéal y a-t-il à ne rien recevoir, à rester confortable dans ses positions, à « voir le réel » sans recul, sans intervention ? Ne venons-nous pas d’anéantir l’art et la critique dans leur fonction ?"


Du peu que je lis de nos commentateurs prolifiques, je constate qu'ils s'extasient invariablement devant des "propositions" poétiques de films IKEA (je reprends l'expression de Simon) parce qu'ils peuvent y accoler leurs propres émotions et leur propre vécu nombriliste. Ils ont l'impression jouissive qu'on ne leur impose rien. C'est toujours la même rengaine quoi.

Pour faire changement de ce babillage toujours gazouillé sur le même air, et en attendant de me décider à faire des choses plus utiles et plus saines comme d'habiter dans le Grand Nord pour pêcher la truite arctique le reste de ma vie, je lis Temps et récit de Paul Ricoeur pour m'oxygéner l'esprit et me changer les idées. Or je tombe sur ce passage fort intéressant qui rejoint les préoccupations formulées dans l'extrait précédent.

"La Poétique ne suppose pas seulement des "agissants", mais des caractères dotés de qualités éthiques qui les font nobles ou vils. Si la tragédie peut les représenter "meilleurs" et la comédie "pires" que les hommes actuels, c'est que la compréhension pratique que les auteurs partagent avec leur auditoire comporte nécessairement une évaluation des caractères et de leur action en termes de bien et de mal. Il n'est pas d'action qui ne suscite, si peu que ce soit, approbation ou réprobation, en fonction d'une hiérarchie de valeurs dont la bonté et la méchanceté sont les pôles. Nous discuterons, le moment venu, la question de savoir si une modalité de lecture est possible qui suspende entièrement toute évaluation de caractère éthique. Que resterait-il en particulier de la pitié qu'Aristote nous a enseigné à relier au malheur immérité, si le plaisir esthétique venait à se dissocier de toute sympathie et de toute antipathie pour la qualité éthique des caractères? Il faut savoir en tout cas que cette éventuelle neutralité éthique serait à conquérir de haute lutte à l'encontre d'un trait originairement inhérent à l'action: à savoir précisément de ne pouvoir jamais être éthiquement neutre. Une raison de penser que cette neutralité n'est ni possible ni souhaitable est que l'ordre effectif de l'action n'offre pas seulement à l'artiste des conventions et des convictions à dissoudre, mais des ambiguïtés, des perplexités à résoudre sur le mode hypothétique. Maints critiques contemporains, réfléchissant sur le rapport entre l'art et la culture, ont souligné le caractère conflictuel des normes que la culture offre à l'activité mimétique des poètes. Ils ont été précédés sur ce point par Hegel dans sa fameuse méditation sur l'Antigone de Sophocle. Du même coup, la neutralité éthique de l'artiste ne supprimerait-elle pas une des fonctions les plus anciennes de l'art, celle de constituer un laboratoire l'artiste poursuit sur le mode de la fiction une expérimentation avec les valeurs? Quoi qu'il en soit de la réponse à ces questions, la poétique ne cesse d'emprunter à l'éthique, lors même qu'elle prône la suspension de tout jugement moral ou son inversion ironique. Le projet même de neutralité présuppose la qualité originairement éthique de l'action à l'amont de la fiction. Cette qualité éthique n'est elle-même qu'un corollaire du caractère majeur de l'action, d'être dès toujours symboliquement médiatisée."

Temps et récit 1. L'intrigue et le récit historique, Éditions du Seuil, p. 116-117

jeudi, avril 11, 2013

Claude Jutra sur la naissance du cinéma et À tout prendre

En 1963, le Festival international du film de Montréal (FIFM) créait le Festival du cinéma canadien (FCC), un événement compétitif. Lors de cette première édition, Claude Jutra présentait son premier long métrage, À tout prendre, le 10 août et il remportait le grand prix du jury. Le film avait cependant été présenté avec Pour la suite du monde en privé avant cette date. Dans une lettre de l'Association professionnelle des cinéastes (APC) datée du 27 janvier 1964, on peut lire "Deux films canadiens de long métrage – « Pour la Suite du Monde » et « A Tout Prendre » - furent projetés en avant-première pour les membres de l’association. De plus, les membres furent invités à rencontrer les cinéastes tchèques lors de leur passage à Montréal, ainsi que les cinéastes étrangers invités au Festival du film (J.L. Godard, Roman Polanski, Lindsay Anderson, Vittorio Baldi, André Martin, etc…)" À tout prendre était à l'affiche l'année suivante le 15 mai 1964.

En 1963, un peu avant l'annonce de la création du FCC, les cinéastes venaient de se regrouper en fondant l'Association professionnelle des cinéastes dont le premier président n'était nul autre que Claude Jutra. Il le sera jusqu'au 24 mars 1964, date à laquelle le secrétaire Guy L. Coté en devient le président. En 1964, l'association était très active et elle avait envoyé plusieurs mémoires au gouvernement. Par exemple en début d'année, en 1964, les cinéastes avaient envoyé au Secrétaire d'État du Canada le mémoire "Vingt-deux raisons pour lesquelles le gouvernement du Canada doit favoriser la création d'une industrie de cinéma de long métrage au Canada et s'inquiéter des conséquences économiques et culturelles de l'état actuel de la distribution et de l'exploitation des films". Ce mémoire fut répercuté par la presse qui le désignait bientôt comme « les 22 raisons des 104 ».

Le premier long métrage de Jutra était donc passé au FIFM en 1963 et il était à l'affiche en mai 1964. Jutra avait aussi eu le temps d'être président de l'APC et de participer de près aux réflexions sur l'état du cinéma. Probablement suite à sa rencontre avec les cinéastes tchèques lors du FIFM de 1963, il se retrouve en juillet 64 au festival de Karlovy Vary (Lindsay Anderson s'y retrouve aussi). C'est à Karlovy Vary que Claude Jutra va sentir le besoin de mettre sur papier certaines idées dans le but d'en faire un manifeste qui n'a probablement jamais été publié par la suite. Je suis tombé par hasard sur une partie de cette documentation dans un dossier déposé à la Médiathèque. Je découvre toutefois sur le site de Nouvelles vues un texte qui me semble la suite logique du document que j'ai découvert, mais qui doit se trouver dans une autre chemise. Comme le texte n'est pas daté, on doit déduire sa datation à partir des éléments internes. Pour ma part cela est relativement facile. Claude Jutra affirme dans le texte qu'il se trouve à Karlovy Vary. À cette époque, dans l'empire socialiste, le festival doit alterner entre Karlovy Vary et Moscou. Le texte est donc produit très précisément entre le 4 et le 19 juillet 1964. Cette année-là, Le Journal d'une femme de chambre de Luis Bunuel remporte un prix, Le Silence de Bergman et America, America de Kazan sont présentés hors compétition, mais ce ne sont pas ces films qui attirent l'attention de Jutra.



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Dans un premier temps, Claude Jutra parle de l'urgence "d'arracher notre cinéma au néant" puis il raconte l'enthousiasme que lui suscitent les films tchèques.

Dans un deuxième temps, Jutra défend son film À tout prendre. Cette partie pourrait bien être un brouillon ou alors l'introduction au texte qu'on trouve sur Nouvelles vues.



« Ces mémoires, abondamment documentés, démontrent que l’exploitation cinématographique au Canada est dominée par les grandes firmes américaines qui maintiennent un véritable état du monopole, drainant vers l’étranger toutes les contributions de notre public. Pis encore, ce monopole ne tient aucun compte de nos exigences culturelles et considère tout bonnement le Canada comme une extension du marché américain. Les mémoires de l’APC signalent que de toute évidence, nous sommes encore en pleine préhistoire. Cependant l’heure est à l’optimisme. Nous espérons pouvoir bientôt arracher notre cinéma au néant. Tout est possible puisqu’on part, pour ainsi dire, à zéro. Mais nous voulons démarrer sec. Il faut d’emblée s’engager dans la bonne direction. Le moment est crucial. Les canadiens français semblent vouloir ouvrir la voie. Ils ont beau jeu. Ce langage et cette culture qui les distinguent des autres nord-américains furent longtemps un facteur d’aliénation. Aujourd’hui, c’est un atout extraordinaire dont il faudra jouer. Les échanges et les rapprochements avec des pays qui ont les mêmes affinités seront d’une importance capitale. Or, ce n’est pas par hasard que je publie cet article dans une revue tchèque. Mon séjour ici, à l’occasion du festival de Karlovy-Vary, m’a permis de faire la sidérante découverte du nouveau cinéma tchèque. Quelque chose d’autre, Le Premier cri, Diamants dans la nuit et Joseph Killian, ces quatre films très divers, très personnels, qui ne se ressemblent que par leur extraordinaire qualité, tous produits par le même pays dans le cours d’une seule année, marquent à mes yeux un renouvellement spectaculaire pas seulement du cinéma tchèque, mais du cinéma. C’est pour nous un exemple à ne pas perdre des yeux, d’autant plus que ces films dénotent de la part de leurs auteurs plusieurs préoccupations commune aux nôtres, tant sur le fond que sur la forme. C’est pourquoi il importe que les échanges amorcés entre Prague et Montréal se transforment sur le champ en bonnes habitudes.
 

Claude Jutra

Lorsqu’au printemps de 1961 Michel Brault, Claude Fournier et moi-même nous réunissions pour entreprendre ensemble un long métrage, le vertige du « cinéma-vérité » était à son comble. Nous étions tous trois fort affectés puisque Fournier avait travaillé avec Leacock tandis que Brault et moi avions travaillé avec Rouch. Après de longues discussions à la recherche d’un sujet, Claude Fournier proposa d’organiser une rencontre entre moi-même et Johanne, que j’avais quittée quelques années auparavant. Ce serait peut-être dans le genre « Chronique d’un été ». Du coup, j’abdiquais toute responsabilité d’auteur et je devenais une victime volontaire et passive de ce supplice à la mode. Mais, sitôt le film entrepris, mes deux compères s’excusent  et partent travailler à l’étranger. Pas de chance!


En étais-je sûr? Je n’allais pas laisser aller un long métrage pour une fois que j’en tenais un. C’est ainsi que par la force des choses je suis devenu l’auteur d’un film auto-portrait. Pourquoi pas? D’abord, je n’avais aucune modestie à sacrifier… On tenta de me dissuader. On m’indiquait le piège. Je ne craignais rien. Je m’installai dans ce piège et m’y trouvai très bien. J’y transportai mon ménage, mes phrases, mes gags, ma maviola et j’y vécus trois ans. Johanne était avec moi. C’était parfait. Je me serais senti encore mieux [début de phrase barré avec des xxx donc lecture incertaine], sans doute, si j’avais eu à l’époque ce certificat de garantie signé François Truffaut.


Maintenant que le film est fait, mes amis ont oublié l’histoire du piège. Ils acceptent le film. Ils applaudissent même. Mais de nouveau ils me mettent en garde : « Il faudra t’en sortir. Fais autre chose! Raconte une histoire! Regarde ailleurs! Invente! » Le film-piège est devenu un film-mur érigé autour de moi pour m’y enfermer. »


Tiré du dossier 2005.0055.38.AR à la Médiathèque Guy L. Coté

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Voici la partie que Nouvelles vues a publiée et qui commence étrangement avec la fin de la partie précédente
 

MANIFESTE [sur À tout prendre, inédit]

« Mais il faudra t’en sortir. Que ce film ne soit pas une impasse! Qu’il ne t’emprisonne pas! Fais autre chose! Raconte une histoire! Regarde ailleurs! Invente! »

Ainsi me parlent mes amis, qui, tout en aimant mon film, le dessinent comme une cloison autour de moi. Comment ne pas voir, pourtant, que cette entreprise en était une de libération? J’organisais un spectacle, et ils croyaient m’épier. En me voyant devant mon miroir, ils ont cru surprendre Narcisse en proie à la passion. Ils me privaient du droit au jeu, ils m’imposaient cette morale primaire qui condamne tout libertin à la vérole, et désigne toute femme désirable comme un squelette en puissance.

Mon miroir sert de cadre aux déguisements nombreux que j’aime revêtir. Au cours d’une métamorphose, je brise le miroir avec une arme d’assassin. Il se reconstitue aussitôt, mais à l’instant précis où je le quitte, où je lui dérobe mon image véritable pour m’acheminer vers mon destin, c’est-à-dire la fête où je rencontrai Johanne, où je succomberai à l’amour.

Le miroir-mur je l’ai percé pour en faire une porte, faute de le rendre aussi fluide que celui où plonge le poète, dans les films de Cocteau. J’ai franchi la porte. Je l’oublie. Je lui tourne le dos.

Ce film n’est pas un testament, c’est un concours d’entrée, un rite de passage, une initiation. Une cérémonie sur la place pour conjurer mes démons personnels. Cela se doit d’être public comme une coulpe, comme un sacrifice mystique, comme une prise de possession, où le rythme et la danse permettent la transe.

C’est aussi une histoire d’amour (prière de ne pas l’oublier). Dans ce contexte autobiographique, il m’était difficile d’impliquer contre leur gré, ou hors de leur contrôle, des personnes concernées, trop facilement reconnaissables. La confidence, presque toujours, implique un tiers absent et l’accable. C’est normal puisque la confidence s’accomplit en lieu clos. Mais un film est une fête foraine, où ne doivent prendre place parmi les horreurs et bizarreries qu’on y exhibe ni la délation, ni la mise en accusation. Même à l’égard des personnages qui se prêtent au jeu.

Puisque l’histoire de mon idylle avec Johanne était abortive, puisque le film « finissait mal » (comme on disait jadis à propos des films français) il fallait bien, dramatiquement parlant, que la responsabilité incombât à l’un des personnages. Le public exige que le « bon » soit en blanc et le « méchant » en noir pour être immédiatement reconnaissables. Blanc de peau mais noir de cœur j’ai chargé sur mes épaules tout l’odieux des amours malheureuses. Plusieurs n’ont rien demandé de mieux que d’y croire. Le chœur des haros s’est élevé, magnifiquement orchestré. J’anticipais ce beau tintamarre.

Comment pourtant, a-t-on pu se laisser prendre à de pareilles clowneries? N’a-t-on pas vu que dans ce faux procès je me distribuais plusieurs rôles, courant de la sellette, à la tribune du juge puis au parquet; imitant l’indignation de l’avocat de la poursuite, le larmoiement contrôlé de l’avocat de la défense, les faux-fuyants des témoins, l’humiliation de l’accusé. J’ai voulu que ce procès soit comme tous les procès, ponctué de coups de théâtre, et de développements inattendus; qu’il soit grave parfois, souvent grotesque; qu’il fasse rire, d’un rire joyeux ou bien d’un rire nerveux, comme aux funérailles ou aux cérémonies solennelles. Je ne veux rien prouver. Je veux seulement attendrir, étonner, provoquer, sans que jamais le rire ne soit absent. Car le rire justifie tout. C’est une raison de vivre. L’important, dans la vie, c’est de rigoler. Le reste, c’est de la blague.


Dossier de presse d'À tout prendre, Cinémathèque québécoise. Ce manifeste, qui ne fut jamais publié à notre connaissance, doit dater de 1963 ou 1964. Il s'agit probablement d'un texte écrit après la première au Festival international du film de Montréal en 1963 (au volet Festival des films canadiens) pour accompagner la sortie publique en mai 1964. Nous avons corrigé quelques coquilles. [commentaire de Nouvelles vues]



mardi, juillet 31, 2012

Sublime misanthropie

Parce que je suis toujours obsédé à savoir ce qu'est un «bon» critique, j'en suis à lire Critique de la faculté de juger de Kant. Je ne sais pas quand je vais en sortir, parce que j'y campe et que j'y suis bien. En attendant de sortir de mon Kantping (elle est très mauvaise mais inspirée et sincère), voici ce qu'il dit de la misanthropie, c'est très très merveilleux comme vous pouvez le constater:

Il faut encore remarquer que, bien que la satisfaction procurée par le beau, comme celle procurée par le sublime, soient nettement différenciées des autres jugements esthétiques non seulement par leur caractère d’universelle communicabilité, mais aussi parce que cette qualité leur attribue un intérêt qui les met en rapport avec la société (où elles peuvent être communiquées), néanmoins le fait de se couper de toute société sera également considéré comme sublime si cette attitude repose sur des idées qui visent au-delà de tout intérêt sensible.


Se suffire à soi-même, donc ne pas avoir besoin d’une société sans pourtant être insociable, c’est-à-dire sans fuir la société, voilà une attitude proche du sublime comme toute attitude qui sait s’élever au-dessus des besoins. En revanche, il est en partie haïssable et en partie méprisable de fuir les hommes par misanthropie parce qu’on leur est hostile, ou par anthropophobie (peur des hommes), parce qu’on les craint en les considérant comme des ennemis. Cependant, il existe une misanthropie (qu’on nomme ainsi très improprement) à laquelle l’âge habituellement conduit l’esprit de beaucoup d’hommes bien-pensants : elle est suffisamment philanthropique pour ce qui touche à la bonne volonté, mais, pour ce qui est de la satisfaction éprouvée au contact des hommes, une longue et triste expérience l’en a largement détournée; ce dont témoignent le penchant pour la retraite, le souhait chimérique de pouvoir passer sa vie dans une maison de campagne retirée, ou bien même (chez les personnes jeunes) le rêve de bonheur que serait de vivre avec une famille restreinte sur une île inconnue du reste du monde – rêve que les romanciers et les écrivains fauteurs de robinsonades savent si bien exploiter.

La fausseté, l’ingratitude, l’injustice, la puérilité des buts que nous considérons, nous, comme importants et de grande portée, et dans la poursuite desquels les hommes s’infligent mutuellement tous les maux imaginables, sont tellement contradictoires avec l’idée de ce que les hommes pourraient être s’ils le voulaient et sont à ce point contraires au vif souhait de les voir sous un meilleur jour que, pour ne point les haïr puisqu’on ne peut les aimer, renoncer à toutes les joies de la société paraît n’être qu’un mince sacrifice. Cette tristesse, non pas celle que chagrinent les maux dont le destin frappe d’autres hommes (tristesse dont la sympathie est la cause), mais celle qui s’afflige des maux que les hommes s’infligent eux-mêmes (elle repose alors sur l’antipathie dans les principes), est sublime parce qu’elle se fonde sur des idées, tandis que la première peut tout au plus passer pour belle.

Saussure, aussi spirituel que profond, écrit, en rapportant son voyage dans les Alpes, à propos du Bonhomme, l’un des massifs de la Savoie, qu’«il y règne une certaine tristesse insipide». Il connaissait donc aussi une tristesse intéressante, celle qu’inspire la vision d’une région désertique où certains aimeraient se retirer afin de ne plus rien savoir du monde ni en avoir d’écho, mais qui ne serait pourtant pas si totalement inhospitalière qu’elle ne pût leur offrir qu’un séjour extrêmement pénible.

En faisant cette remarque, j’ai pour seule intention de rappeler que même l’affliction (et non pas la tristesse abattue) peut être comptée parmi les affects stimulants, si elle est fondée sur des idées morales; mais si elle repose sur la sympathie, et bien qu’ainsi elle soit aimable, elle fait seulement partie des affects du genre languissant – j’ai donc eu l’intention de souligner que l’état d’âme n’est sublime que dans le premier cas.

p. 221-223, Éditions Gallimard, folio essais, 1985

jeudi, mars 22, 2012

Restezchezvous.com




Un autre club vidéo qui ferme. La Boite Noire du 380 Laurier Ouest ferme ses portes de façon définitive le 1er juillet 2012. Après les Blockbusters, Vidéotron et quelques clubs qui ressemblaient davantage à la Boîte Noire, c’est une époque qui s’éteint un peu plus.

Depuis le déclin de la fréquentation des salles, des ciné-clubs et de la Cinémathèque, maintenant on ne se rend même plus au coin de chez soi avant de s’enfermer dans son salon. Bon d’accord, il y a eu toutes sortes de ruptures bien plus importantes dans l’histoire et on s’en porte très bien. Tout de même cette perte d’accès à un objet concret et ce renforcement de l’isolement et de la vie virtuelle m’attristent.

Est-ce que les Netflix et les Illico de ce monde réussiront à nous offrir autant sinon plus de choix que la Boite Noire et les autres? Le potentiel est là, mais se trouvera-t-il une ou des entreprises assez puissantes, organisées et surtout intéressées par autre chose que l’offre et la demande afin de nous donner accès à l’histoire du cinéma ? Entre les disques à 60$, les torrents et les sites spécialisés à droite et à gauche sur lesquels on peut bien perdre notre temps à chercher un film précis dans leurs maigres catalogues, j’ai de sérieux doutes. Et même si un site super-puissant nous propose un jour tous les films jamais produits, nous ne retrouverons jamais cette exposition à un cinéma hétéroclite qui favorise les découvertes surprises. Vous remarquerez que la tendance est à la spécialisation et au ciblage sur Internet comme à la télévision. Se « promener » sur un site virtuel qui vous fait des suggestions selon votre profil et vos cookies ne sera jamais comme se promener physiquement parmi des présentoirs.




En attendant de me faire façonner selon qui je suis déjà, je vais continuer de poser ce geste archaïque qui est de fréquenter les clubs vidéos, même au risque de rencontrer un voisin ou un ami...




PS: La Boite Noire commence une vente de son stock le 2 avril. Un rendez-vous à ne pas manquer pour mettre des films rares hors de la circulation dans une collection personnelle à laquelle personne n'aura accès.

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LE DEVOIR

Cinéma - La Boîte noire Laurier ferme ses rabats

Dur coup pour les cinéphiles montréalais: après 15 ans de bons et loyaux services, la Boîte noire Laurier remballe VHS, DVD et Blu-ray. Ainsi, à partir du 30 juin prochain, les fidèles de l'établissement du quartier Outremont devront se rabattre sur la Boîte noire de l'avenue du Mont-Royal, cette dernière poursuivant une activité florissante.

Dès le 2 avril, une vente de fermeture se mettra en branle afin d'écouler l'inventaire du magasin de la rue Laurier. Tant les films du rayon de la vente que ceux de la location seront alors liquidés. En guise de consolation temporaire, sans doute les cinéphiles voudront-ils en profiter pour faire le plein d'oeuvres cinématographiques souvent rares, mais aussi populaires, à prix réduit.

Rappelons que la Boîte noire est un fleuron québécois en matière de cinéma de qualité. Combien de cinéphiles, en effet, purent nourrir et faire croître leur passion pour le septième art grâce à l'inventaire toujours grandissant du commerce spécialisé dans ce que l'on appellera tour à tour le film de répertoire, d'auteur, ou étranger? Disposés en rangs serrés, des longs métrages issus des cinématographies québécoise, espagnole, italienne, allemande, suédoise, japonaise... Une section consacrée au cinéma gai, aux réalisateurs cultes, à la famille... Un classement par pays, par auteur, par genre...

Par voie de communiqué, le président et fondateur de la Boîte noire, François Poitras, évoque des causes multiples à cette décision. «La baisse de l'achalandage ces dernières années est une de ces raisons, mais surtout la levée de nombreux obstacles au commerce sur rue à Montréal rendent l'opération de notre boutique périlleuse: hausses de taxes faramineuses, travaux de voirie majeurs sans compensation et politiques locales néfastes à l'activité commerciale.» On se souviendra qu'en 2009, la Boîte noire McGill, dans le Vieux-Montréal, n'avait pas renouvelé son bail à l'issue d'une expérience de six ans.

Les cinéphiles pourront encore compter sur le club vidéo du Plateau-Mont-Royal.


mardi, septembre 27, 2011

Stalker selon Serge Daney

Andrei Tarkovski

Ne jamais oublier que dans « métaphysique », même en russe, il y a « physique ».


Stalker est un film soviétique (c’est même le sixième de Tarkovski et, à mon sens, son meilleur) mais « to stalk » est un verbe en anglais (c’est même un verbe régulier). To stalk, c’est, très précisément, « chasser à l’approche », une façon de s’approcher en marchant, une démarche, presque une danse. Dans le « stalk », la partie du corps qui a peur reste en arrière et celle qui n’a pas peur veut aller de l’avant. Avec ses pauses et ses frayeurs, le stalk est la démarche de ceux qui s’avancent en terrain inconnu. Dans Stalker, le danger est partout mais il n’a pas de visage. Le paysage non plus n’a ni limites, ni horizon, ni Nord. Il s’y rencontre bien des tanks, des usines, des canalisations géantes, une voie ferrée, un cadavre, un chien, un téléphone qui marche toujours, mais la végétation est en train de recouvrir tout cela. Ce paysage industriel fossile, ce bout de vingtième siècle devenu une couche géologique (Tarkovski a été géologue en Sibérie de 1954 à 1956, il lui en reste quelques chose), c’est la Zone. On ne va pas dans la zone, on s’y glisse en fraude (elle est gardée par des soldats). On n’y marche pas, on y « stalke ».


On a vu, au cinéma, des déambulations urbaines, des cow-boys qui avancent coquettement à petits pas pour se tirer dessus, des piétinements de foules, des couples qui dansent : on n’a jamais vu le stalk. Le film de Tarkovski est avant tout un documentaire sur une certaine façon de marcher qui n’est peut-être pas la meilleure (surtout en URSS) mais qui est tout ce qui reste quand tous les points de repère ont disparu et que plus rien n’est sûr. C’est donc une grande première : une caméra suit trois hommes qui viennent de pénétrer dans la Zone. Où ont-ils appris cette démarche tordue? D’où viennent-ils? Et d’où leur vient cette familiarité avec ce no man’s land? La fausse familiarité du touriste qui ne sait où aller, que regarder, quoi craindre? L’un est venu sans rien, avec une bouteille de vodka dans un sac en plastique : il sort d’une beuverie mondaine. L’autre, au contraire, tient quelque chose de secret dans un petit sac de voyage. Le troisième, celui qui n’a rien que ses regards furtifs et ses élans vite retombés, c’est lui, le Stalker. Il faudrait qu’avant de se ruer sur les innombrables interprétations que ce film-auberge espagnole appelle, le spectateur regarde attentivement trois acteurs russes (excellent : Alexandre Kaidanovski, Anatoli Solonitsine et Nikolai Grinko) « stalker » dans la Zone.


Le film ne commence pas d’une façon aussi abrupte. Il est un peu plus explicatif (pas beaucoup). Tarkovski, adaptant librement un roman SF des frères Strougaltski, imagine qu’à la suite d’un accident mystérieux, une partie de la planète est devenue différente, dangereuse, et qu’on l’a interdite d’accès. La Zone est cette «part maudite», retournée à l’état sauvage, réserve de fantasmes, territoire d’une lugubre beauté. Des marginaux, pour un peu d’argent, la font «visiter». Ces passeurs qui vivent misérablement entre deux mondes, ce sont les stalkers. Celui du film, un peu guide touristique, un peu illuminé, très clochardisé, a pris cette fois avec lui un Ecrivain et un Professeur. L’Ecrivain (l’homme au sac en plastique) doute de tout et surtout de lui-même. Le Professeur (l’homme au sac de voyage) ne parle pas beaucoup mais il a une idée derrière la tête. Car il y a quand même un but à ce trip à trois : au centre de la Zone se trouve une «chambre» qui, à ce qu’on dit, exauce les vœux de celui qui y pénètre. A ce qu’on dit.


Arrivés devant la chambre, le stalker et ses deux clients flanchent : personne n’en franchira le seuil. Par peur d’abord. Par sagesse ensuite. Par peur : si la chambre est un canular, il est humiliant d’avoir eu l’air d’y croire, si elle exauce réellement tous les vœux, il ne restera plus rien à espérer, si elle réalise les désirs inconscients, on ne sait trop à quoi on s’expose. Par sagesse : il n’y a pas de vie vivable sans absolu, certes, mais l’absolu n’est pas un lieu, c’est un mouvement. Un mouvement qui fait dériver, qui déporte (dans tous les sens du terme), qui fait «stalker». Peu importe, à la limite, avec quels biscuits ou quels non-biscuits on embarque, peu importe que l’on croie, que l’on croie croire ou que l’on croie que d’autres croient. Ce qui compte, c’est de se mettre en mouvement.


Impossible de s’empêcher, en tant que spectateur, de «stalker» dans cette forêt de symboles qu’est le film. Le scénario de Tarkovski est une machine suffisamment infernale pour n’exclure a priori aucune interprétation. Dans une auberge espagnole, on peut «apporter son manger». La Zone, c’est peut-être la planète Terre, le continent soviétique, notre inconscient, le film lui-même. Le stalker peut très bien être un mutant, un dissident, un analyste sauvage, un prêtre à la recherche d’un culte, un spectateur. On peut «jouer aux symboles» avec le film mais c’est un jeu dont il ne faut pas abuser (pas plus pour Tarkovski que pour Fellini ou Bunuel, autres grands humoristes de l’interprétation). D’ailleurs, la nouveauté et la beauté de Stalker sont ailleurs.


Quand le film est fini, quand on s’est un peu lassé d’interpréter, quand on a mangé tout ce qu’on avait apporté, qu’est-ce qui reste? Le même film, exactement. Les mêmes images insistantes. La même Zone avec la présence de l’eau, son clapotis sinistre, les métaux rouillés, la végétation vorace, l’humidité. Comme tous les films qui déclenchent chez le spectateur une fureur interprétative, Stalker est un film qui frappe par la présence physique des éléments, leur existence têtue, leur façon d’être là. Même s’il n’y avait personne pour les voir, pour s’approcher d’elles ou pour les filmer. Cela ne date pas d’hier : déjà dans Andrei Roublev il y avait la boue, ce point zéro de la forme. Dans Stalker il y a une présence organique des éléments : l’eau la rosée, les flaques imbibent la terre et rongent les ruines.


Un film, on peut l’interpréter. Celui-ci s’y prête (même si au bout du compte il se dérobe). Mais on n’est pas obligé. Un film, on peut aussi le regarder. On peut y guetter l’apparition de choses qu’on n’avait encore jamais vues dans un film. Le spectateur-guetteur voit des choses que le spectateur-interprète ne sait plus voir. Le guetteur reste à la surface, parce qu’il ne croit pas au fond. Je me demandais au début de cet article où donc les personnages avaient appris le stalk; cette démarche tordue de ceux qui ont peur mais qui ont oublié de quoi. Et ces visages prématurément vieillis, ces mini-Zones où des rictus sont devenus des rides? Et la violence obséquieuse de celui qui s’attend à recevoir des coups (ou à en donner? Ça aussi il a oublié?). Et le faux calme du monomaniaque dangereux et les raisonnements à vide de celui qui est trop seul?


Cela ne vient pas seulement de l’imagination démiurgique de Tarkovski, cela ne s’invente pas, cela vient d’ailleurs. Mais d’où? Stalker est une fable métaphysique, un cours de morale, une leçon de foi, une réflexion sur les fins dernières, une quête, tout ce qu’on voudra. Stalker est aussi le film où, pour la première fois, on croise des corps et des visages qui viennent d’un lieu que l’on ne connaissait que par ouï-dire ou par ouï-lire. Un lieu dont on pensait que le cinéma soviétique n’avait gardé nulle trace. Ce lieu, c’est le Goulag. La Zone est aussi un archipel. Le film Stalker est aussi un film réaliste.

20 novembre 1981