jeudi, mars 22, 2012

Restezchezvous.com




Un autre club vidéo qui ferme. La Boite Noire du 380 Laurier Ouest ferme ses portes de façon définitive le 1er juillet 2012. Après les Blockbusters, Vidéotron et quelques clubs qui ressemblaient davantage à la Boîte Noire, c’est une époque qui s’éteint un peu plus.

Depuis le déclin de la fréquentation des salles, des ciné-clubs et de la Cinémathèque, maintenant on ne se rend même plus au coin de chez soi avant de s’enfermer dans son salon. Bon d’accord, il y a eu toutes sortes de ruptures bien plus importantes dans l’histoire et on s’en porte très bien. Tout de même cette perte d’accès à un objet concret et ce renforcement de l’isolement et de la vie virtuelle m’attristent.

Est-ce que les Netflix et les Illico de ce monde réussiront à nous offrir autant sinon plus de choix que la Boite Noire et les autres? Le potentiel est là, mais se trouvera-t-il une ou des entreprises assez puissantes, organisées et surtout intéressées par autre chose que l’offre et la demande afin de nous donner accès à l’histoire du cinéma ? Entre les disques à 60$, les torrents et les sites spécialisés à droite et à gauche sur lesquels on peut bien perdre notre temps à chercher un film précis dans leurs maigres catalogues, j’ai de sérieux doutes. Et même si un site super-puissant nous propose un jour tous les films jamais produits, nous ne retrouverons jamais cette exposition à un cinéma hétéroclite qui favorise les découvertes surprises. Vous remarquerez que la tendance est à la spécialisation et au ciblage sur Internet comme à la télévision. Se « promener » sur un site virtuel qui vous fait des suggestions selon votre profil et vos cookies ne sera jamais comme se promener physiquement parmi des présentoirs.




En attendant de me faire façonner selon qui je suis déjà, je vais continuer de poser ce geste archaïque qui est de fréquenter les clubs vidéos, même au risque de rencontrer un voisin ou un ami...




PS: La Boite Noire commence une vente de son stock le 2 avril. Un rendez-vous à ne pas manquer pour mettre des films rares hors de la circulation dans une collection personnelle à laquelle personne n'aura accès.

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LE DEVOIR

Cinéma - La Boîte noire Laurier ferme ses rabats

Dur coup pour les cinéphiles montréalais: après 15 ans de bons et loyaux services, la Boîte noire Laurier remballe VHS, DVD et Blu-ray. Ainsi, à partir du 30 juin prochain, les fidèles de l'établissement du quartier Outremont devront se rabattre sur la Boîte noire de l'avenue du Mont-Royal, cette dernière poursuivant une activité florissante.

Dès le 2 avril, une vente de fermeture se mettra en branle afin d'écouler l'inventaire du magasin de la rue Laurier. Tant les films du rayon de la vente que ceux de la location seront alors liquidés. En guise de consolation temporaire, sans doute les cinéphiles voudront-ils en profiter pour faire le plein d'oeuvres cinématographiques souvent rares, mais aussi populaires, à prix réduit.

Rappelons que la Boîte noire est un fleuron québécois en matière de cinéma de qualité. Combien de cinéphiles, en effet, purent nourrir et faire croître leur passion pour le septième art grâce à l'inventaire toujours grandissant du commerce spécialisé dans ce que l'on appellera tour à tour le film de répertoire, d'auteur, ou étranger? Disposés en rangs serrés, des longs métrages issus des cinématographies québécoise, espagnole, italienne, allemande, suédoise, japonaise... Une section consacrée au cinéma gai, aux réalisateurs cultes, à la famille... Un classement par pays, par auteur, par genre...

Par voie de communiqué, le président et fondateur de la Boîte noire, François Poitras, évoque des causes multiples à cette décision. «La baisse de l'achalandage ces dernières années est une de ces raisons, mais surtout la levée de nombreux obstacles au commerce sur rue à Montréal rendent l'opération de notre boutique périlleuse: hausses de taxes faramineuses, travaux de voirie majeurs sans compensation et politiques locales néfastes à l'activité commerciale.» On se souviendra qu'en 2009, la Boîte noire McGill, dans le Vieux-Montréal, n'avait pas renouvelé son bail à l'issue d'une expérience de six ans.

Les cinéphiles pourront encore compter sur le club vidéo du Plateau-Mont-Royal.


mardi, septembre 27, 2011

Stalker selon Serge Daney

Andrei Tarkovski

Ne jamais oublier que dans « métaphysique », même en russe, il y a « physique ».


Stalker est un film soviétique (c’est même le sixième de Tarkovski et, à mon sens, son meilleur) mais « to stalk » est un verbe en anglais (c’est même un verbe régulier). To stalk, c’est, très précisément, « chasser à l’approche », une façon de s’approcher en marchant, une démarche, presque une danse. Dans le « stalk », la partie du corps qui a peur reste en arrière et celle qui n’a pas peur veut aller de l’avant. Avec ses pauses et ses frayeurs, le stalk est la démarche de ceux qui s’avancent en terrain inconnu. Dans Stalker, le danger est partout mais il n’a pas de visage. Le paysage non plus n’a ni limites, ni horizon, ni Nord. Il s’y rencontre bien des tanks, des usines, des canalisations géantes, une voie ferrée, un cadavre, un chien, un téléphone qui marche toujours, mais la végétation est en train de recouvrir tout cela. Ce paysage industriel fossile, ce bout de vingtième siècle devenu une couche géologique (Tarkovski a été géologue en Sibérie de 1954 à 1956, il lui en reste quelques chose), c’est la Zone. On ne va pas dans la zone, on s’y glisse en fraude (elle est gardée par des soldats). On n’y marche pas, on y « stalke ».


On a vu, au cinéma, des déambulations urbaines, des cow-boys qui avancent coquettement à petits pas pour se tirer dessus, des piétinements de foules, des couples qui dansent : on n’a jamais vu le stalk. Le film de Tarkovski est avant tout un documentaire sur une certaine façon de marcher qui n’est peut-être pas la meilleure (surtout en URSS) mais qui est tout ce qui reste quand tous les points de repère ont disparu et que plus rien n’est sûr. C’est donc une grande première : une caméra suit trois hommes qui viennent de pénétrer dans la Zone. Où ont-ils appris cette démarche tordue? D’où viennent-ils? Et d’où leur vient cette familiarité avec ce no man’s land? La fausse familiarité du touriste qui ne sait où aller, que regarder, quoi craindre? L’un est venu sans rien, avec une bouteille de vodka dans un sac en plastique : il sort d’une beuverie mondaine. L’autre, au contraire, tient quelque chose de secret dans un petit sac de voyage. Le troisième, celui qui n’a rien que ses regards furtifs et ses élans vite retombés, c’est lui, le Stalker. Il faudrait qu’avant de se ruer sur les innombrables interprétations que ce film-auberge espagnole appelle, le spectateur regarde attentivement trois acteurs russes (excellent : Alexandre Kaidanovski, Anatoli Solonitsine et Nikolai Grinko) « stalker » dans la Zone.


Le film ne commence pas d’une façon aussi abrupte. Il est un peu plus explicatif (pas beaucoup). Tarkovski, adaptant librement un roman SF des frères Strougaltski, imagine qu’à la suite d’un accident mystérieux, une partie de la planète est devenue différente, dangereuse, et qu’on l’a interdite d’accès. La Zone est cette «part maudite», retournée à l’état sauvage, réserve de fantasmes, territoire d’une lugubre beauté. Des marginaux, pour un peu d’argent, la font «visiter». Ces passeurs qui vivent misérablement entre deux mondes, ce sont les stalkers. Celui du film, un peu guide touristique, un peu illuminé, très clochardisé, a pris cette fois avec lui un Ecrivain et un Professeur. L’Ecrivain (l’homme au sac en plastique) doute de tout et surtout de lui-même. Le Professeur (l’homme au sac de voyage) ne parle pas beaucoup mais il a une idée derrière la tête. Car il y a quand même un but à ce trip à trois : au centre de la Zone se trouve une «chambre» qui, à ce qu’on dit, exauce les vœux de celui qui y pénètre. A ce qu’on dit.


Arrivés devant la chambre, le stalker et ses deux clients flanchent : personne n’en franchira le seuil. Par peur d’abord. Par sagesse ensuite. Par peur : si la chambre est un canular, il est humiliant d’avoir eu l’air d’y croire, si elle exauce réellement tous les vœux, il ne restera plus rien à espérer, si elle réalise les désirs inconscients, on ne sait trop à quoi on s’expose. Par sagesse : il n’y a pas de vie vivable sans absolu, certes, mais l’absolu n’est pas un lieu, c’est un mouvement. Un mouvement qui fait dériver, qui déporte (dans tous les sens du terme), qui fait «stalker». Peu importe, à la limite, avec quels biscuits ou quels non-biscuits on embarque, peu importe que l’on croie, que l’on croie croire ou que l’on croie que d’autres croient. Ce qui compte, c’est de se mettre en mouvement.


Impossible de s’empêcher, en tant que spectateur, de «stalker» dans cette forêt de symboles qu’est le film. Le scénario de Tarkovski est une machine suffisamment infernale pour n’exclure a priori aucune interprétation. Dans une auberge espagnole, on peut «apporter son manger». La Zone, c’est peut-être la planète Terre, le continent soviétique, notre inconscient, le film lui-même. Le stalker peut très bien être un mutant, un dissident, un analyste sauvage, un prêtre à la recherche d’un culte, un spectateur. On peut «jouer aux symboles» avec le film mais c’est un jeu dont il ne faut pas abuser (pas plus pour Tarkovski que pour Fellini ou Bunuel, autres grands humoristes de l’interprétation). D’ailleurs, la nouveauté et la beauté de Stalker sont ailleurs.


Quand le film est fini, quand on s’est un peu lassé d’interpréter, quand on a mangé tout ce qu’on avait apporté, qu’est-ce qui reste? Le même film, exactement. Les mêmes images insistantes. La même Zone avec la présence de l’eau, son clapotis sinistre, les métaux rouillés, la végétation vorace, l’humidité. Comme tous les films qui déclenchent chez le spectateur une fureur interprétative, Stalker est un film qui frappe par la présence physique des éléments, leur existence têtue, leur façon d’être là. Même s’il n’y avait personne pour les voir, pour s’approcher d’elles ou pour les filmer. Cela ne date pas d’hier : déjà dans Andrei Roublev il y avait la boue, ce point zéro de la forme. Dans Stalker il y a une présence organique des éléments : l’eau la rosée, les flaques imbibent la terre et rongent les ruines.


Un film, on peut l’interpréter. Celui-ci s’y prête (même si au bout du compte il se dérobe). Mais on n’est pas obligé. Un film, on peut aussi le regarder. On peut y guetter l’apparition de choses qu’on n’avait encore jamais vues dans un film. Le spectateur-guetteur voit des choses que le spectateur-interprète ne sait plus voir. Le guetteur reste à la surface, parce qu’il ne croit pas au fond. Je me demandais au début de cet article où donc les personnages avaient appris le stalk; cette démarche tordue de ceux qui ont peur mais qui ont oublié de quoi. Et ces visages prématurément vieillis, ces mini-Zones où des rictus sont devenus des rides? Et la violence obséquieuse de celui qui s’attend à recevoir des coups (ou à en donner? Ça aussi il a oublié?). Et le faux calme du monomaniaque dangereux et les raisonnements à vide de celui qui est trop seul?


Cela ne vient pas seulement de l’imagination démiurgique de Tarkovski, cela ne s’invente pas, cela vient d’ailleurs. Mais d’où? Stalker est une fable métaphysique, un cours de morale, une leçon de foi, une réflexion sur les fins dernières, une quête, tout ce qu’on voudra. Stalker est aussi le film où, pour la première fois, on croise des corps et des visages qui viennent d’un lieu que l’on ne connaissait que par ouï-dire ou par ouï-lire. Un lieu dont on pensait que le cinéma soviétique n’avait gardé nulle trace. Ce lieu, c’est le Goulag. La Zone est aussi un archipel. Le film Stalker est aussi un film réaliste.

20 novembre 1981

mardi, septembre 06, 2011

Lecture et amitié selon Proust

Il y a de la camaraderie : qu’il y ait de l’amitié !
Ainsi parlait Zarathoustra.


Dans Pastiches et mélanges de Marcel Proust, on retrouve le très beau texte «Journées de lecture» où il est question du rapport entre le lecteur et l'auteur par l'intermédiaire du texte. J'ai eu envie de partager la vision de Proust sur l'amitié et la lecture par ce petit exercice d'édition où j'ai enlevé les multiples exemples et détours pour ne garder que ce qui rapporte directement au propos. Je ne saurais trop recommander la lecture de Pastiches et mélanges (pour ceux qui ne voudraient pas tout de suite lire ou relire À la recherche, on a là tout Proust en condensé, même une superbe phrase sur deux pages pour décrire sa chambre d'enfance).

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« On sait que les ‘Trésors des Rois’ est une conférence sur la lecture que Ruskin donna à l’hôtel de ville de Rusholme, près Manchester, le 6 décembre 1864, pour aider à la création d’une bibliothèque à l’institut de Rusholme.

[…]

Pour nous, qui ne voulons ici que discuter en elle-même, et sans nous occuper de ses origines historiques, la thèse de Ruskin, nous pouvons la résumer assez exactement par ces mots de Descartes, que « la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs. »

[…]

J’ai essayé de montrer dans les notes dont j’ai accompagné ce volume que la lecture ne saurait être ainsi assimilée à une conversation, fût-ce avec le plus sage des hommes; que ce qui diffère essentiellement entre un livre et un ami, ce n’est pas leur plus ou moins grande sagesse, mais la manière dont on communique avec eux, la lecture, au rebours de la conversation, consistant pour chacun de nous à recevoir communication d’une autre pensée, mais tout en restant seul, c’est-à-dire en continuant à jouir de la puissance intellectuelle qu’on a dans la solitude et que la conversation dissipe immédiatement, en continuant à pouvoir être inspiré, à rester en plein travail fécond de l’esprit sur lui-même.

[…]

Et c’est là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nous fera comprendre le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle) que pour l’auteur ils pourraient s’appeler « Conclusions » et pour le lecteur « Incitations ». Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre. Mais par une loi singulière et d’ailleurs providentielle de l’optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-même), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c’est au moment où ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naître en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit. D’ailleurs, si nous leur posons des questions auxquelles ils ne peuvent pas répondre, nous leur demandons aussi des réponses qui ne nous instruiraient pas. Car c’est en effet de l’amour que les poètes éveillent en nous de nous faire attacher une importance littérale à des choses qui ne sont pour eux que significatives d’émotions personnelles.

[…]

Le suprême effort de l’écrivain comme de l’artiste n’aboutit qu’à soulever partiellement pour nous le voile de laideur et d’insignifiance qui nous laisse incurieux devant l’univers.

[…]

C’est donner un trop grand rôle à ce qui n’est qu’une initiation d’en faire une discipline. La lecture est au seuil de la vie spirituelle; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas.

[…]

Tant que la lecture est pour nous l’initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle, quand la vérité ne nous apparaît plus comme un idéal que nous ne pouvons réaliser que par le progrès intime de notre pensée et par l’effort de notre cœur, mais comme une chose matérielle, déposée entre les feuillets des livres comme un miel tout préparé par les autres et que nous n’avons qu’à prendre la peine d’atteindre sur les rayons des bibliothèques et de déguster ensuite passivement dans un parfait repos de corps et d’esprit.

[…]

Sans doute, l’amitié, l’amitié qui a égard aux individus, est une chose frivole, et la lecture est une amitié. Mais du moins c’est une amitié sincère, et le fait qu’elle s’adresse à un mort, à un absent, lui donne quelque chose de désintéressé, de presque touchant. C’est de plus une amitié débarrassée de tout ce qui fait la laideur des autres. Comme nous ne sommes tous, nous les vivants, que des morts qui ne sont pas encore entrés en fonctions, toutes ces politesses, toutes ces salutations dans le vestibule que nous appelons déférence, gratitude, dévouement et où nous mêlons tant de mensonges, sont stériles et fatigantes. De plus, - dès les premières relations de sympathie, d’admiration, de reconnaissance, - les premières paroles que nous prononçons, les premières lettres que nous écrivons, tissent autour de nous les premiers fils d’une toile d’habitudes, d’une véritable manière d’être, dont nous ne pouvons plus nous débarrasser dans les amitiés suivantes; sans compter que pendant ce temps-là les paroles excessives que nous avons prononcées restent comme des lettres de change que nous devons payer, ou que nous paierons plus cher encore toute notre vie des remords de les avoir laissé protester. Dans la lecture, l’amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d’amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c’est vraiment que nous en avons envie. Eux, du moins, nous ne les quittons souvent qu’à regret. Et quand nous les avons quittés, aucune de ces pensées qui gâtent l’amitié : Qu’ont-ils pensé de nous? – N’avons-nous pas manqué de tact? – Avons-nous plus? – et la peur d’être oublié pour tel autre. Toutes ces agitations de l’amitié expirent au seuil de cette amitié pure et calme qu’est la lecture. Pas de déférence non plus; nous ne rions de ce que dit Molière que dans la mesure exacte où nous le trouvons drôle; quand il nous ennuie nous n’avons pas peur d’avoir l’air ennuyé, et quand nous avons décidément assez d’être avec lui, nous le remettons à sa place aussi brusquement que s’il n’avait ni génie ni célébrité. L’atmosphère de cette pure amitié est le silence, plus pur que la parole. Car nous parlons pour les autres, mais nous nous taisons pour nous-mêmes. Aussi le silence ne porte pas, comme la parole, la trace de nos défauts, de nos grimaces. Il est pur, il est vraiment une atmosphère. Entre la pensée de l’auteur et la nôtre il n’interpose pas ces éléments irréductibles, réfractaires à la pensée, de nos égoïsmes différents. Le langage même du livre est pur (si le livre mérite ce nom), rendu transparent par la pensée de l’auteur qui en a retiré tout ce qui n’était pas elle-même jusqu’à le rendre son image fidèle; chaque phrase, au fond, ressemblant aux autres, car toutes sont dites par l’inflexion unique d’une personnalité; de là une sorte de continuité, que les rapports de la vie et ce qu’ils mêlent à la pensée d’éléments qui lui sont étrangers excluent et qui permet très vite de suivre la ligne même de la pensée de l’auteur, les traits de sa physionomie qui se reflètent dans ce calme miroir. Nous savons nous plaire tour à tour aux traits de chacun sans avoir besoin qu’ils soient admirables, car c’est un grand plaisir pour l’esprit de distinguer ces peintures profondes et d’aimer d’une amitié sans égoïsme, sans phrases, comme en soi-même.

[…]

Si le goût des livres croît avec l’intelligence, ses dangers, nous l’avons vu, diminuent avec elle. Un esprit original sait subordonner la lecture à son activité personnelle. Elle n’est plus pour lui que la plus noble des distractions, la plus ennoblissante surtout, car, seuls, la lecture et le savoir donnent les « belles manières » de l’esprit. La puissance de notre sensibilité et de notre intelligence, nous ne pouvons la développer qu’en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre vie spirituelle. Mais c’est dans ce contact avec les autres esprits qu’est la lecture, que se fait l’éducation des « façons » de l’esprit. Les lettrés restent, malgré tout, comme les gens de qualité de l’intelligence, et ignorer certain livre, certaine particularité de la science littéraire, restera toujours, même chez un homme de génie, une marque de roture intellectuelle. La distinction et la noblesse consistent dans l’ordre de la pensée aussi, dans une sorte de franc-maçonnerie d’usage, et dans un héritage de traditions.

mardi, août 16, 2011

Cinéma: asphyxie culturelle

Serge Daney met le doigt dessus... en 1983. Et depuis ça n'a fait que s'intensifier.

Alors allons-y d'un billet on ne peut plus simple avec une citation pour donner un signe de vie sur le blogue en 2011. Je n'abandonne pas mon idée d'analyser les films Miroir et Stalker.


Dialogues sauvages

«S. DANEY: Je ne crois pas qu'on puisse longtemps écrire sur le cinéma en se nourrissant seulement du cinéma. Il y a quand même des dialogues sauvages qui se sont noués, y compris le dernier en date, le dialogue cinéma et politique, avec toutes les dures retombées que l'on sait mais qui a quand même fait bouger les gens. Toute la bagarre de Bazin, c'était par rapport au théâtre, et aux problèmes de l'adaptation littéraire. Aujourd'hui le fait que le cinéma ait consolidé ses frontières, cela crée une asphyxie culturelle parfois terrifiante, dont Wenders est peut-être l'exemple le plus brillant, mais en même temps le plus clôturé. Il y a quand même beaucoup de symptômes de ça. Untel prépare un festival de la bande-annonce, la pub, on ne parle plus que de ça. Les vidéo-clips, il y a déjà quinze festivals. Il y a une boulimie d'un monde d'images qui se dévore et qui se recrache lui-même qui fait qu'on est tous pris dans cette sorte de solipsisme stressé. On mélange plus de choses dans un ensemble qui est clôturé, alors qu'avant on mélangeait moins de choses à l'intérieur d'un ensemble qui était poreux. Et c'est cette porosité que les Cahiers à un moment ont bien saisi. À l'époque, le «bon cinéma» excluait la série B. Elle excluait les grands monstres, alors on a fait rentrer les grands monstres. Aujourd'hui il y a un tout qui bouffe tout et à l'extérieur plus personne ne s'aventure pour se poser même des questions naïves: est-ce que les films qu'on voit ressemblent à la vie quotidienne? Du coup les questions de Godard deviennent incompréhensibles. On le voyait bien quand il est passé à 7 sur 7, à la façon stupide et terrifiée dont les deux journalistes de télé le regardaient. Parce qu'il avait une manière à lui de pointer une question totalement archaïque, marxiste au sens littéral du terme: «est-ce qu'il y a une économie du besoin pour ce qui est de l'image?» Quand Godard parle du Mozambique en même temps que l'Amérique, il a une vision géographique des choses que plus personne n'a. Parce que nous sommes dans le recyclage culturel, chacun dans son créneau. Les gens qui voient dix films par an vont voir Les Compères, les gens qui voient trente films par an vont voir Zelig, les gens qui vont en voir cinquante vont voir le Brisseau. Voilà.»

Le point critique, Cahiers du cinéma no 356, mai 1984, dans Critique et Cinéphilie, VI. Petite anthologie des Cahiers du cinéma

samedi, octobre 02, 2010

Tarkovski - Finalement

Voilà déjà plus de 4 ans que ce blogue existe sous le nom de "Stalker" et je n’ai jusqu’à maintenant jamais vraiment abordé le cinéma de Tarkovski. Le moment est venu.

Je suis hanté par le film Stalker depuis le jour où je l’ai vu il y a quelques années. Depuis ce temps, quand je vois un film, je me retrouve très souvent à penser « ce n’est pas aussi fort que Stalker ». Chose étrange, très impressionné par Andrei Rublov mais plutôt déçu de Solaris et The Sacrifice par rapport à Stalker, je m’étais arrêté là. Ce n'est que dernièrement que j’ai revu The Sacrifice pour ce qu’il est et que j’ai enfilé Nostalghia, L’enfance d’Ivan et finalement Le Miroir. Maintenant c’est pire qu’avant, plus rien au cinéma n’est à la hauteur de Stalker ET Le Miroir. Le moment est donc venu d’aller aux fonds des choses, de plonger pour découvrir et nommer ce qui est si bouleversant.

J’expliquerai plus en détail mon approche et ma méthode dans les billets à venir. Le blogue sera finalement digne de porter ce nom.

Voici une réflexion parmi tant d’autres du film Stalker, d’abord telle que tirée des Œuvres cinématographiques complètes II, puis du film par captures d’écran :

L’écrivain (Anatoli Solonitsyn) : Et puis comment pourrais-je savoir ou même nommer ce que je désire? Ou être bien certain de ne pas vouloir ce que je ne désire pas? Ce sont des trucs insaisissables, il suffit de leur donner un nom pour que leur sens s’estompe, s’évapore, se désagrège. Comme une méduse au soleil. (Silence.) Ma conscience voudrait voir le végétarisme triompher dans le monde entier, mais mon subconscient se languit d’un quartier de bonne viande. Mais qu’est-ce que je veux, moi? Moi?!
















dimanche, juin 20, 2010

100e de Kurosawa au Cinéma du Parc

YojimboJ'ai perdu l'habitude de regarder la programmation du Cinéma du Parc depuis qu'on y passe du numérique à tour de bras, mais depuis que j'ai cédé à Facebook, je suis notamment devenu un ami ou un fan (je ne sais plus trop bien) dudit cinéma. Et bien quelle bonne surprise ai-je d'apprendre qu'il y aura 15 films d'Akura Kurosawa en 35mm en salle au mois d'août prochain! Malheureusement Kagemusha, Ran et bien d'autres sont en numérique... Si les films en numérique vous intéressent, visitez le site du Cinéma du Parc, pour les puristes, voici la liste des 35mm.



1- YOIDORE TENSHI / DRUNKEN ANGEL


Vendredi 6 août, 19h30


Samedi 7 août, 19h30


Dimanche 8 août, 19h00


Lundi 9 août, 21h15


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Japon. 1948. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 98 min. Avec Toshiro MifuneVersion originale japonaise avec sous-titres anglais


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Le Japon de l’immédiate après-guerre. Un soir, un médecin alcoolique officiant dans les quartiers défavorisés est réveillé par un jeune yakuza blessé par balle. En le soignant, il découvre que celui-ci est atteint de tuberculose, mais il refuse de suivre les prescriptions proposées. Commence alors une relation étrange entre les deux hommes."Toshiro Mifune jouait avec une énergie stupéfiante […]. Avec sa vivacité, il avait également une grande finesse de sensibilité. […] J’ai compris tout de suite que je ne devais pas le laisser devenir trop séduisant dans le rôle du gangster, mais il aurait été désastreux de contenir la puissance attractive de Mifune au moment où sa carrière s’ouvrait…"– AKIRA KUROSAWA




2- RASHÔMON / RASHOMON


Vendredi 6 août, 21h30


Samedi 7 août, 17h30 et 21h30


Dimanche 8 août, 15h00


Vendredi 13 août, 18h15


Lundi 16 août, 18h15


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Japon. 1950. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 88 min. Avec Toshiro MifuneVersion originale japonaise avec sous-titres anglais


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"Véritable leçon de cinéma, le film de Kurosawa demeure une réalisation exemplaire dont le modernisme surprend encore et toujours. Tout comme Citizen Kane, qui aurait pu être réalisé aujourd'hui sans grandes altérations majeures, Rashomon se distingue par la finesse d'un jeu de caméra posé et intelligent. Que ce soit le premier film oriental à attirer l'attention des cinéphiles occidentaux justifie son importance historique mais n'explique pas son succès. Ce qui fait que l'on revient encore et toujours au classique de Kurosawa, c'est cette splendide naïveté nuancée qui en informe la réflexion. L'indéniable accomplissement technique de l'ensemble n'est que le couronnement pour un film fort simple dont la densité, pourtant, a de quoi laisser pantois. Ce qui a vraiment eu lieu dans cette forêt restera à jamais un mystère, car même la perspective qui peut nous sembler définitive est voilée par le mensonge et la subjectivité. Mais c'est cette absence d'absolu qui fait de Rashomon un film grandiose."– PANORAMA-CINEMA.COM




3- NORA INU / STRAY DOG


Dimanche 8 août, 21h00


Lundi 9 août, 19h00


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Japon. 1949. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 122 min. Avec Toshiro Mifune.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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"Stray Dog, tourné en 1949, est déjà le neuvième film de Kurosawa, qui commença sa carrière en 1942 alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage. S’attaquant aux mêmes problématiques que le néo-réalisme italien — et même le réalisme poétique de Renoir —, ce polar magnifique conjugue l’atmosphère tendue et oppressante du film noir, la réflexion existentialiste sur les notions de bien et de mal et la description quotidienne d’un Japon ravagé par la guerre. Un film essentiel pour aborder l’œuvre difficile — et cependant incontournable — du cinéaste japonais.Conjuguant la chaleur et l’humidité palpables des scènes, la musique aux soubresauts violents, les contre-plongées en forme d’abîme, la mise en scène toute en intensité (dans les passages d’un plan à l’autre, souvent par volets) et en profondeur (dans le cadrage), Kurosawa obtient avec Stray Dog un « film noir » parfait de bout en bout. Hitchcock lui-même l’aurait salué bien bas."– CRITIKAT.COM




4- IKIRU / TO LIVE


Mardi 10 août, 21h00


Mercredi 11 août, 21h00


Jeudi 12 août, 18h15


Samedi 14 août, 13h45


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Japon. 1952. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 143 min. Avec Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Un fonctionnaire effacé apprend qu'il n'a que quelques mois à vivre et décide de profiter de la vie avant de se rendre compte que cela ne le satisfait pas.Film préféré de Kurosawa, To Live est une oeuvre humaniste touchant à une préoccupation essentielle du réalisateur, tourmenté à l'idée de mourir avant d'avoir assez vécu."To Live est un film spécifiquement japonais, mais ce qui frappe en cette oeuvre et s'impose à l'esprit, c'est la valeur universelle de son message."- ANDRÉ BAZIN




5- SHICHININ NO SAMURAI/ SEVEN SAMURAI/ LES SEPT SAMOURAIS


Vendredi 13 août, 20h00 (STA)


Samedi 14 août, 16h15 (STF) et 20h00 (STA)


Dimanche 15 Août, 16h15 (STF) et 20h00 (STA)


Lundi 16 août, 20h00 (STA)


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Japon. 1954. Réal.: Akira Kurosawa. Projection numérique (STF) / 35 mm (STA). 207 min. Avec Toshiro Mifune, Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres français ou anglais selon l’heure de projection


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Au XVIe siècle, époque de grande violence au Japon, une bande de guerriers sans pitié opprime et rançonne un village de paysans. Désespérés, ces derniers se résolvent à engager des samouraïs pour les protéger. Kambei, aidé de son disciple Katsushiro, recrute quatre soldats errants ainsi qu'un demi-fou, Kikuchiyo. Peu à peu, ils s'intègrent au village dans un climat de confiance. Grâce à un entraînement intensif, et parfois cocasse, les villageois se préparent à défendre leurs biens et à combattre aux côtés des samouraïs...Ce fut longtemps le film le plus cher de l'histoire du cinéma nippon. Confrontés à un tournage long et difficile, les dirigeants de la Toho faillirent même abandonner le projet. Mais la version intégrale prouve que Les sept samouraïs est un chef-d'oeuvre, bien plus qu'un simple western japonais. D'ailleurs, si Kurosawa a pu se dire influencé par John Ford, c'est son film qui a suscité un remake sous forme de western (le trop élaboré Les sept mercenaires) et non l'inverse. L'assaut final est filmé avec de nombreuses caméras et une multitude de plans latéraux qui, dans un montage rapide accélérant l'action, contribuent à l'aspect frénétique et mémorable de la scène.- ARTV




6-IKIMONO NO KIROKU / I LIVE IN FEAR


Mardi 17 août, 19h00


Mercredi 18 août, 21h00


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Japon. 1955. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 103 min. Avec Toshiro Mifune , Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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L’industriel Nakajima, chef de famille fortuné, est obsédé par la menace atomique. Il souhaite vendre tous ses biens et s’exiler au Brésil pour se protéger. Dans cette intention, il retire tout son argent de la banque et cherche à vendre son usine."Mifune nous offre ici une prestation remarquable, très éloignée de ses habituels rôles, toujours aussi énergique et fougueux, sous les traits plus marqués d’un vieillard, qui plie sous le poids de l’angoisse dont il est imprégné."– KUROSAWA-CINEMA.COM




7-KAKUSHI-TORIDE NO SAN-AKUNIN/ THE HIDDEN FORTRESS


Mardi 17 août, 21h00


Mercredi 18 août, 18h30


Dimanche 22 août 22, 14h00


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Japon. 1958. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 139 min. Avec Toshiro Mifune , Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Afin de refonder le clan Akizuki, une jeune princesse tente de gagner un territoire allié, escortée par un guerrier hors pair et deux paysans cupides et maladroits."Après quelques films sérieux et graves, Kurosawa se lance dans le film d'aventures. Dans cette histoire relativement classique, Kurosawa surprend le spectateur avec des personnages qui le sont beaucoup moins. Ainsi, le héros, le général joué par Mifune, n'hésite pas à sacrifier sa soeur, la princesse est une femme indépendante qui se ballade en short, quant aux paysans-serviteurs ils ne sont là que par l'appât du gain, et apportent une touche d'humour par leur maladresse et leur naïveté. Pour son premier film en cinémascope, Kurosawa perfectionna l'utilisation de caméras multiples. Il tourna la même scène avec plusieurs caméras (entre deux et six) sous différents angles. Cette technique il permettant une grande souplesse lors du montage. George Lucas avoua s'être inspiré du scénario de La Forteresse cachée pour écrire La Guerre des étoiles. En effet, Lucas raconte l'histoire d'une princesse (Leia) pourchassée par ses ennemis (Dark Vador et l'Empire), aidée dans sa fuite par un chevalier (Luke Skywalker) et deux hommes attirés par l'argent (Han Solo et Chewbacca)."– UTC.FR




8- TENGOKU TO JIGOKU / HIGH AND LOW


Jeudi 19 août, 18h00


Vendredi 20 août, 21h15


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Japon. 1963. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 143 min. Avec Toshiro Mifune , Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Gondô est placé devant un dilemme : il a réuni une grosse somme d’argent pour racheter la totalité des parts de son usine, mais on lui demande la même somme comme rançon d’un enfant kidnappé."Polar ayant inspiré de grands noms tel que Polanski, High and Low est un oeuvre majeure à mi-chemin entre la dénonciation sociétale et le thriller hitchkokien. On retrouve tous les éléments qui inspireront des cinéastes comme Polanski ou Scorsese. Une méthode en partie brisée par la suite, quand le film se concentre sur l'enquête policière. Chose rare, la presse n'est pas un obstacle au bon déroulement des investigations, mais un allié collaborant avec la police. En toile de fond, l'industrie devient un environnement de requins dont s'émancipe l'homme d'affaires. Après un final haletant, le constat est là : High and Low est bel et bien l'un des meilleurs polars jamais réalisés. Du très très grand cinéma !"– PLAN-C.FR




9-KUMONOSU-JÔ / THRONE OF BLOOD


Jeudi 19 août, 21h00


Vendredi 20 août, 19h00


Samedi 21 août, 17h15


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Japon. 1957. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 109 min. Avec Toshiro Mifune , Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Dans le Japon du XVIe siècle, deux généraux, Taketoki Washizu et Yoshiaki Miki, sont perdus dans les brumes et la forêt au retour d'une bataille victorieuse. Ils rencontrent une sorcière qui leur prédit que Washizu deviendra commandant du fort septentrional et succédera à son seigneur Kuniharu Tsuzuki. Cependant, ce sera Yoshiteru, le fils de son ami Miki, qui régnera. Sous l'influence de sa femme Asaji, Washizu assassine le seigneur Tsuzuki, puis envoie ses hommes tuer Miki, mais son fils échappe à la mort."Cette très fidèle transposition du Macbeth de Shakespeare dans le Japon médiéval se révèle une véritable splendeur plastique. Avec Shakespeare, Akira Kurosawa trouve une sorte de frère : l'univers de l'auteur de Hamlet se fond admirablement dans celui du cinéaste, qui ne renie jamais la théâtralité de son matériau d'origine. La violence, les conflits, les enjeux de pouvoir, les marques du destin, le sens du mystère trouvent ici de merveilleux équivalents japonais. D'où une réalisation expressive et théâtrale, marquée par quatre moments forts inscrits dans toutes les mémoires : l'apparition magique d'une lady Macbeth directement issue du théâtre nô ; les oiseaux chassés de la forêt qui envahissent la forteresse ; la ténacité d'un brouillard mystérieux dans les environs du château ; enfin, l'attaque finale du château par des guerriers que l'on ne distingue pas de la forêt et qui s'achève sur un buisson de flèches s'abattant sur Toshiro Mifune, l'acteur fétiche du cinéaste. À la fois fidèle à la lettre et profondément japonais, Throne of Blood illustre la force d'inspiration d'un réalisateur majeur de l'histoire du cinéma, et qui reviendra 30 ans plus tard à Shakespeare, avec Ran, inspiré du Roi Lear."-SYLVAIN LEFORT




10-WARUI YATSU HODO YOKU NEMURU/ THE BAD SLEEP WELL


Samedi 21 août, 14h30


Dimanche 22 août, 16h45


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Japon. 1960. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 150 min. Avec Toshiro Mifune , Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Le directeur d’une agence immobilière va marier sa fille à son secrétaire. Mais il est plongé au coeur d’une affaire de corruption qui semble toucher beaucoup d’employés."À la fois film noir et chronique sociale, Kurosawa, à travers l'histoire de Nishi, futur époux d'une riche héritière estropiée, aborde tous les thèmes qui lui sont chers : les bas-fonds, la criminalité, la corruption des riches et la misère."– CINEMATEK.BE




11-YÔJIMBÔ / YOJIMBO


Samedi 21 août, 19h15


Dimanche 22 août, 19h30


Lundi 23 août, 19h30


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Japon. 1961. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 110 min. Avec Toshiro Mifune , Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Au milieu du XIXe siecle le samourai Sanjuro loue ses services a une des bandes qui regnent sur un village au detriment des villageois. Voyant qu'on veut se debarrasser de lui apres qu'il eutaccompli la salle besogne, Sanjuro va decimer les deux bandes qui se dechirent le village."Yojimbo est un film très ironique de Kurosawa, qui filme ici une "parodie de la violence" (Aldo Tassone). Il reprend tous les codes du film de samouraï et du western américain (que Kurosawa, grand cinéphile, connaît bien), pour mieux les détruire et faire rire le spectateur. Certaines scènes sont hilarantes, tant les personnages sont ridicules et les quiproquos cocasses.Une telle démonstration ne pouvait qu'influencer les occidentaux: Sergio Leone, qui tombe par hasard sur le film, décide de l'adapter: ce sera For A Few Dollars More, avec Clint Eastwood (1964), nettement moins fin que son modèle, mais tout aussi jouissif. Plus récemment, Walter Hill adaptera de nouveau le scénario, dans Last Man Standing, avec Bruce Willis (1996). Le succès considérable de Yojimbo au Japon poussera les producteurs à demander une suite à Kurosawa: ce sera Sanjuro (1962), un autre chef-d'oeuvre d'ironie et de parodie."– MATHIEU PERRINTous les montréalais qui se disent ‘’cinéphiless’’ viendront voir (ou revoir) en 35mm Yojimbo et Sanjuro.




12-TSUBAKI SANJÛRÔ / SANJURO


Samedi 21 août, 21h30


Dimanche 22 août, 21h30


Lundi 23 août, 21h30


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Japon. 1962. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 96 min. Avec Toshiro Mifune, Takeshi Shimura.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Au Japon, à l’ère Tokugawa, dans la capitale d’un petit Etat féodal, le samouraï rônin Sanjuro Tsubaki (Sanjuro des camélias) prend sous son aile neuf jeunes guerriers idéalistes et épris de justice, mais inexpérimentés. Il les aide dans leur lutte contre le chambellan leur maître."Poursuivant dans la veine de divertissement pur entamée par The Hidden Fortress, et dont l'apothéose serait peut-être le Yojimbo mis en scène un an auparavant, Akira Kurosawa offre avec Sanjuro (la « suite » de Yojimbo) un film de sabres d'une fluidité et d'une évidence cinématographiques mémorables.(…) Akira Kurosawa ouvrait la porte à un renouveau du cinéma d'exploitation, plus nerveux, plus violent, faisant la part belle aux héros marginaux et sans concessions."– ÉCRAN LARGE




13-AKAHIGE / RED BEARD


Mardi 24 août, 20h30


Mercredi 25 août, 18h00


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Japon. 1965. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 185 min. Avec Toshiro Mifune.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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En 1820, le jeune médecin Yasumoto est bien décidé à faire une brillante carrière, sa connaissance de la médecine occidentale et ses origines le destinant aux plus hautes sphères médicales. Mais sa première affectation l’envoie dans un quartier très pauvre de Tokyo, dans le dispensaire de l’intransigeant docteur Kyojo Niide, surnommé Barberousse, médecin des pauvres. Au terme d’expériences parfois éprouvantes, Yasumoto découvre la misère des quartiers et s’ouvre au monde à l’aide de son mentor."Réalisé dans la douleur (deux ans de tournage, un budget faramineux impossible à amortir qui entraînera la rupture définitive avec la Toho, de profonds désaccords avec Toshiro Mifune, qui mettront fin à leur très fructueuse collaboration), Red Beard ne souffre nullement de ces contraintes et c’est un nouveau chef-d’œuvre que nous livre ici Akira Kurosawa. S’attaquant, après To Live, The Lower Depths... à l’un de ses sujets de prédilection, le sort des miséreux, celui que l’on surnommait l’Empereur déploie une nouvelle fois toute sa science septième art, pour nous offrir une œuvre d’une bouleversante humanité."– ÀVOIR-ÀLIRE.COM




14-DONZOKO / THE LOWER DEPTHS


Jeudi 26 août, 18h45


Vendredi 27 août, 21h00


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Japon. 1957. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 125 min. Avec Toshiro Mifune.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Rokubei et de son épouse Osugi vivent dans un asile où trouvent refuge une douzaine de vagabonds."On retrouve dans cette adaptation de la pièce de Gorki, un des thèmes préférés de Kurosawa: la peinture de la misère et des petites gens (qu'on retrouve dans The Seven Samurai ou The Drunken Angel). Alors que beaucoup considèrent Kurosawa seulement comme un grand peintre du monde des samouraïs, il démontre ici l'ampleur de son talent et des préoccupations sociales pour dépeindre aussi la pauvreté..."– MATHIEU PERRIN




15-DODESUKADEN / DODES'KA-DEN


Jeudi 26 août, 21h00


Vendredi 27 août 27, 18h15


Jeudi 29 août, 13h30


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Japon. 1970. Réal.: Akira Kurosawa. 35 mm. 144 min.Version originale japonaise avec sous-titres anglais


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Dans un quartier défavorisé de Tokyo, dans les années 70, la vie des marginaux. Un jeune garçon s’échappe du réel pour se construire un monde imaginaire."Reprenant le thème des The Lower Depths (1957), c’est dans un décor stylisé aussi flamboyant que désolé qu’Akira Kurosawa choisit de faire évoluer ses personnages, pour sa première réalisation en couleurs. Pour Kurosawa, qui traverse alors une grave dépression (il tentera d’ailleurs de mettre fin à ses jours devant l’échec commercial de son film), l’humanité offre un spectacle aussi désolé que désolant. Le seul espoir, ténu, se situe dans le rêve. Celui du père clochard et de son fils (dont le couple rappelle celui du Kid de Chaplin), qui fantasment leur maison idéale. Un superbe film sur le monde tel qu’il va mal et l’art, tel qu’il sauve."– ÀVOIR-ÀLIRE.COM

lundi, mars 22, 2010

Simon Galiero attaque le cinéma d'auteur et la critique

Il y a deux textes - non trois - que j'ai lus dernièrement sur le cinéma québécois qui me paraissent très importants même s'ils ne font pas la Une de La Presse. Enfin si, celui de Foglia auquel j'ai pensé après les deux premiers, mais ils sont rares ceux qui ont quelque chose à dire et qui peuvent être entendus par le plus grand nombre.

Tout d'abord le fruit d'une entrevue du blogue Films du Québec avec Simon Galiero.

Extraits:

«Pour moi il [le cinéma d'auteur] n'est pas forcément si vivant que ça. Quand ça grouille, ça peut être vivant mais ça peut aussi être quelque chose de mort qui se fait bouffer par des vers.»

«Beaucoup de critiques ne sont plus des critiques mais des attachés de presse qui peuvent être autant au service d'"Avatar" que de la "nouvelle vague du cinéma québécois".»

Je prépare moi-même un article sur le manque de sens critique chez nos cinéastes inspiré par un article de Jean Douchet, et ce dernier extrait tiré de l'entrevue de Galiero rejoint ce que Douchet écrivait en 1961: «Il est évident que n'entre pas dans son propos [à la critique] d'entretenir le lecteur de ces papotages si répandus dans tant de gazettes. Ils n'ont de critiques que le nom et, dégradant le mot, avilissent la fonction et abaissent ceux qui la pratiquent. Considérer le cinéma (puisque c'est de cet art que nous parlons) comme un sujet de conversation et seulement comme tel me semble inqualifiable. L'envisager uniquement comme un objet d'intérêt personnel (gagne-pain, occasion de se faire un nom et d'arriver, possibilité de vendre un scénario ou de se vendre), ou l'utiliser pour mener un combat idéologique, politique, religieux, qui lui est étranger, bref, gonfler son moi ou une cause, fût-elle la plus noble, fût-ce même l'objection de conscience, ou détriment du cinéma, trahit une malhonnêteté intellectuelle foncière. L'art exige de la critique qu'elle le serve et non qu'elle s'en serve.» («L'art d'aimer»)

Dans son article Que disent les images? (24 Images, numéro 146) Marie-Claude Loiselle poursuit et élabore sa réflexion amorcée dans son éditorial Chercher sa place (24 Images, numéro 140). Ce superbe texte empreint de lucidité est très important, car si on accuse souvent la presse quotidienne de pauvreté intellectuelle, les magazines tels que Séquences, Ciné-bulles et même 24 Images se contentent le plus souvent d’éviter de faire des vagues.

L'article est très long et si les extraits stimulent votre intérêt, il vous faudra acheter le magazine ou le consulter à la biblio. (Pour les paresseux, voici l'article en pdf, désolé pour le look, Google a changé son service dernièrement et je ne le connaissais pas jusqu'à ce soir...) Je vous offre ces extraits qui n'apparaissent pas sur le site de 24 Images.

Il y a quelques phrases assez assassines bien senties mais beaucoup de questions importantes d'ordre plus général sont soulevées comme dans cet extrait:

«On a en tout cas l'impression que les plus jeunes cinéastes sont écartelés, et quelquefois de façon confuse, entre le poids de l'héritage (du cinéma) à assumer et le besoin d'affirmer une modernité en acceptant le fait de venir justement «après», en tournant le dos à ce qui pourrait constituer une entrave à leur simple envie de faire des films. Mais paradoxalement, c’est chez ceux qui revendiquent de la façon la plus ostensible un désir de liberté, de dissidence par rapport aux impératifs imposés par le commerce que cette liberté semble la plus difficile à atteindre, comme si la chape de plomb de ce qui apparaît moderne à leurs eux tendait à se refermer sur eux tels un piège, une prison. La lenteur, les silences soutenus, la fixité des cadrages, la quasi-absence de dialogue inscrivent, certes, leurs films aux antipodes d’un certain univers audiovisuel aux effets tonitruants, mais cela les place-t-il du coup à l’abri des tendances et de tout conformisme autant que leurs auteurs le souhaitent?»

À lire, absolument.

Finalement Pierre Foglia. Je suis toujours étonné du phénomène Foglia. Cet auteur adore l’écrit, il s’applique, il approfondit, il se torture pour livrer des textes vivants et intelligents, les gens l’aiment, l’admirent, on dit même que les ventes de La Presse augmentent quand on le publie. Alors quoi, la qualité peut vendre? Pourquoi la tendance est-elle uniquement de niveler par le bas dans les médias?

En tout cas, qu’il parle de vélo ou de cinéma, on a toujours envie d’être d’accord avec lui.

«Les céréales»

mercredi, février 17, 2010

Bride of Frankenstein



Bride of Frankenstein, l'un des rares films compris dans une suite qui est meilleur que le premier (Frankenstein, aussi réalisé par James Whale).


À chaque fois que je vois ce film, je ne peux m'empêcher de penser à quel point notre actrice québécoise Catherine Trudeau (à droite sur le montage) ressemble à l'actrice Elsa Lanchester (à gauche). Avec la perruque, le maquillage et l'éclairage, ce serait identique. À quand le remake québécois? Peut-être un clin d'oeil dans Karmina 3 (quoique... on y tient peut-être pas non plus)?

samedi, février 13, 2010

Le cinéma en tant qu'être

Vampyr de Dreyer

«Il est extraordinaire que tant d’hommes aient confié tant d’images, tant d’affects, tant de constructions, tant de beautés à un support si proche, ontologiquement, de sa propre ruine.» -George Didi-Huberman


L'idée de cette citation m'habite. J'admire la sculpture et son éternité, pourtant c'est le cinéma éphémère qui me fascine. Mais qu'est-ce qu'un film? Pourquoi en faire? Pourquoi en voir autant? Pourquoi écrire sur le cinéma?


Jean Louis Schefer en est un qui a su se sonder à ce sujet avec un talent exceptionnel. Un autre auteur qui donne envie de ne jamais écrire. J'aime beaucoup quand il parle de flocons.


«Qu’est-ce après tout que ces «séances»? sinon des durées d’irradiation d’un être indifférencié (sur son savoir, ses souvenirs, sa classe et son langage) probablement déposé en nous, obstinément amputé de tout organe mais subsistant là puisqu’il ne cesse de commencer des mouvements, de commenter nos passions par ces ébauches de gesticulations qui nous endorment. Comme si, toute notre masse s’assoupissant, s’en détachait violemment et peu à peu cet être de désir ou cette créature d’objets qui peut toucher des images et acquiescer à leur réalité, quand même leur invraisemblance ne cesse de nous frapper, même si des stries, des saccades, de la «neige» les corrompent sans cesse et même si toute la couleur tourne à une lumière jaune. Et cet être-là, cet homme sans naissance, aurait-il besoin constamment de cette imperfection d’image ou de ces flocons criblant indifféremment un visage, une main ou un mur, de nappes de suie pour réclamer son existence ou toucher, par l’ébauche seule d’un mouvement, d’un commencement de désir, la matière dont il pourrait se composer (mais cet être inchoatif ne peut donc non plus durer puisque la brièveté de toute image, la disparition même du film le font disparaître).»

«L’image filmée – au contraire de toute autre représentation, comme la peinture – a une définition technique sensible dans sa perception, elle n’a pas de support fixe : je la vois parce que quelque chose (un écran coupant un faisceau) l’empêche de disparaître; elle n’est cependant ni tout à fait sur la pellicule, ni définitivement sur l’écran, ni réellement dans les rayons que projette la lanterne : je suis aussi l’assurance d’une transition des images, je suis donc autre chose que leur spectateur; je m’affaiblis en elles.»

L’Homme ordinaire du cinéma, Jean Louis Schefer

vendredi, février 12, 2010

Hiroshima mon amour, Montreal, 1960


Aimez-vous Vajda?
Arthur Lamothe
Cité Libre, XIe année, No 30, oct. 1960

Ce fut de la frénésie. Le Loew’s plein à craquer, la police à la porte, des billets au marché noir. Hiroshima mon amour était mot de passe.

Il n’y avait pourtant pas de vedettes sur scène; et sur l’écran seuls Paul Meurisse et Vittorio de Sica pouvaient, à la très grande rigueur, figurer les monstres sacrés du cinéma. Car personne n’oserait affirmer que les foules se déplaçaient pour admirer Martin Lasalle et Marika Green, Emmanuele Riva et Eiji Okada, Francisco Rabal et Marga Lopez, Soumitra Chatterji et Shamila Tagore, Zbigniew Cybulski et Eva Krzyzanowska, Toshiro Mifune et Misa Uehara. On courut voir Renoir, Bresson, Resnais, Bunuel, Ray et ses Indes, Vajda et sa Pologne, Kourosawa et son Japon. Pendant la semaine du Premier Festival international du film de Montréal, la rue Ste-Catherine résonna, souvent pour la première fois, de ces noms étranges.

Pour la première fois, Montréal découvrait la vitalité du cinéma indien et beaucoup rencontraient une Inde sortie des clichés faciles avec lesquels on habille tous les peuples dits sous-développés. La Pologne traversait le rideau de fer, le Japon affichait les légendes épiques et truculentes de son Moyen-Age.

Ce fut aussi un arrêt au milieu d’une grande diète, une pose dans le carême qui nous est imposé. Tous les grands noms que l’on retrouve aux trophées de Cannes et de Venise, aux rares exceptions qui confirment la règle, ne sont jamais isncrits sur les frontons montréalais. Les revues, magazines et journaux français et américains nous en parlent; certains voyageurs se rendent à New-York… Mais à Montréal, inconnus. Or le Loew’s, 2,800 places, était plein pour Pickpocket et Cendres et Diamants. Cela ne prouve rien, cela ne veut pas dire grand chose, mais permet au moins de se poser quelques questions utiles, de formuler des hypothèses, comme disent les chercheurs. Voyez Hiroshima mon amour.

Avant que toute publicité soit lancée sous ce titre, tous les billets étaient vendus… Certes, il y avait le léger attrait du fruit défendu, mais quand même, il y avait au moins 2,800 montréalais qui avaient entendu parler de l’œuvre de Resnais.

Cinéma art mineur? Où est l’humanisme que d’aucuns prêchent, chez Feydeau ou chez Bresson et Bunuel? Avez-vous vu le théâtre Kabuki dont on parle si bien et que l’on voit si peu… La compréhension de l’œuvre de Resnais requiert-elle moins de sensibilité et d’intelligence que la compréhension de l’œuvre de Proust?

On peut aimer ou ne pas aimer le Monde d’Apu, on peut préférer Le Général Della Rovere à Cendres et diamants ou inversement, des esprits distingués ou avertis préféreraient Kanji Mizoguchi à Akira Kourosawa, on peut, avec grand chagrin, pleurer sur l’absence de Bergman ou d’Antonioni, mais nul ne peut nier l’importance du regard kaléidoscopique que ce festival permit de jeter sur diverses formes des humanismes de notre époque.

D’ailleurs, sur les films présentés, tout a été dit. Le festival répondait à un besoin, remplissait un tel vide qu’on s’en rend compte en regardant la place que lui accorda la presse locale. A l’étranger The New York Times le consacra événement cinématographique majeur; Le Monde y ajouta le prestige de MacLaren; Variety, la plus importante revue mondiale de la corporation cinématographique, parla de ce «premier festival de la Côte Est de l’Amérique du Nord» comme «l’événement culturel majeur de l’été à Montréal»; le New York Film Bulletin écrivit que c’est à New-York qu’aurait dû être présenté pareil programme.

Tout le monde fut content, et les finances du gouvernement provincial additionnèrent, avec les droits de censure, les milliers de dollars de la taxe d’amusement.