samedi, février 13, 2010

Le cinéma en tant qu'être

Vampyr de Dreyer

«Il est extraordinaire que tant d’hommes aient confié tant d’images, tant d’affects, tant de constructions, tant de beautés à un support si proche, ontologiquement, de sa propre ruine.» -George Didi-Huberman


L'idée de cette citation m'habite. J'admire la sculpture et son éternité, pourtant c'est le cinéma éphémère qui me fascine. Mais qu'est-ce qu'un film? Pourquoi en faire? Pourquoi en voir autant? Pourquoi écrire sur le cinéma?


Jean Louis Schefer en est un qui a su se sonder à ce sujet avec un talent exceptionnel. Un autre auteur qui donne envie de ne jamais écrire. J'aime beaucoup quand il parle de flocons.


«Qu’est-ce après tout que ces «séances»? sinon des durées d’irradiation d’un être indifférencié (sur son savoir, ses souvenirs, sa classe et son langage) probablement déposé en nous, obstinément amputé de tout organe mais subsistant là puisqu’il ne cesse de commencer des mouvements, de commenter nos passions par ces ébauches de gesticulations qui nous endorment. Comme si, toute notre masse s’assoupissant, s’en détachait violemment et peu à peu cet être de désir ou cette créature d’objets qui peut toucher des images et acquiescer à leur réalité, quand même leur invraisemblance ne cesse de nous frapper, même si des stries, des saccades, de la «neige» les corrompent sans cesse et même si toute la couleur tourne à une lumière jaune. Et cet être-là, cet homme sans naissance, aurait-il besoin constamment de cette imperfection d’image ou de ces flocons criblant indifféremment un visage, une main ou un mur, de nappes de suie pour réclamer son existence ou toucher, par l’ébauche seule d’un mouvement, d’un commencement de désir, la matière dont il pourrait se composer (mais cet être inchoatif ne peut donc non plus durer puisque la brièveté de toute image, la disparition même du film le font disparaître).»

«L’image filmée – au contraire de toute autre représentation, comme la peinture – a une définition technique sensible dans sa perception, elle n’a pas de support fixe : je la vois parce que quelque chose (un écran coupant un faisceau) l’empêche de disparaître; elle n’est cependant ni tout à fait sur la pellicule, ni définitivement sur l’écran, ni réellement dans les rayons que projette la lanterne : je suis aussi l’assurance d’une transition des images, je suis donc autre chose que leur spectateur; je m’affaiblis en elles.»

L’Homme ordinaire du cinéma, Jean Louis Schefer

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