jeudi, juin 11, 2009

La volée de Falardeau


J'ai beaucoup de respect pour les gens qui n'ont pas la langue dans leur poche, comme Denis Côté. Mais là voyez-vous, un loup plus vieux que Côté sort de l'orée du bois pour mordre à belles dents dans Carcasses. Il n'a pas la langue dans sa poche lui non plus, et puis ça fait changement des lapements d'un Marc-André Lussier, par exemple. Et bien oui, dans l'article Vengeance, Pierre Falardeau continue à ouvrir sa grande gueule que plusieurs auraient voulu voir muselée depuis longtemps. C'est un règlement de compte. Portes grinçantes, rues désertes, chaleur intense, silouhette à l'horizon. Attention, ça dégaine.


Vengeance

Il y a quelques années, quand on me laissait encore faire des films, Denis Côté se prenait pour un critique de cinéma au journal Ici. Aujourd’hui, Denis Côté se prend pour un cinéaste et moi je travaille au Ici. C’est à mon tour d’être du côté du manche. Pour une fois, j’ai le gros bout du bâton et je compte bien en profiter. Ceci n’est pas une critique de film mais bien un règlement de compte. Ça m’amuse beaucoup.


Comme mon idée était déjà faite, comme mon article était déjà à moitié écrit dans ma tête, je ne voyais pas l’intérêt de visionner le film de Côté. « Carcasses » que ça s’intitule son petit bricolage audio-visuel. J’étais sûr que c’était un très mauvais film. Je pouvais écrire sans crainte de me tromper et de passer au batte en toute connaissance de cause. Mais comme je ramollis en vieillissant, je suis allé voir son film par souci d’honnêteté intellectuelle. Pour un critique, vous me direz que c’est la moindre des choses. Vous avez tort. Quand je faisais des films, je pouvais écrire à l’avance la critique d’un tel ou d’un autre tel.


Dans la salle, dimanche soir au Parallèle, il y avait une dizaine de cinéphiles à tête de cinéphilitiques en phase terminale. Deux égarés venus voir sans doute une vue de monstres cherchaient la machine à pop-corn. La vendeuse de billets faisait des bulles dans son bocal à poissons hi-tech. Et moi je me faisait chier comme un rat mort. J’aurais dû suivre ma première idée et rester chez nous à écouter le bowling à TQS ou les preachers sudistes ou Josélito Michaud à Radio-Cadenas. Comme disait Madame Leriche: « Si c’est ennuyant. » Je pensais voir un très mauvais film, or je me suis trompé royalement. « Carcasses » n’est pas du tout un mauvais film. En fait « Carcasses » c’est rien, absolument rien! Le vide absolu, le néant sans fond, le rien intégral. Mais comment faire une critique quand il n’y a rien?


Denis Côté a trouvé un décor formidable, une cour à scrap et il filme ce décor en long, en large et en travers. C’est tourné en plans fixes et c’est interminable. Des tas de tôle pourrie par en avant, par en arrière, en haut, en bas, sur le côté, partout tout le temps. Un décor et rien d’autre. Les personnages? Inexistants. Il y a bien un espèce de demeuré qui fait de la figuration dans le décor. Et ce demeuré, il travaille comme une bête d’une étoile à l’autre. Il empile des cochonneries en petit tas depuis 40 ans. Pittoresque et pitoyable. Et je ne méprise personne. Il y a aussi deux photographes assez insignifiantes, sans doute étudiantes à « Concordia University » qui paradent pour la galerie. C’est tout. J’oubliais, les quatre trisomiques qui débarquent dans le coin, comme des martiens en voyage de noces. Côté, en metteur en scène pogné dans le ciment, les place dans le cadre comme des objets inanimés. Interdiction de bouger. Interdiction d’ouvrir la bouche. D’ailleurs y a rien à dire. Des carcasses humaines perdues dans une forêt de carcasses. C’est ça le film, un mongol qui met en scène d’autres mongols. Vous pensez sans doute que j’exagère. Je n’exagère jamais.


Au journal Ici, Côté écrivait comme un pied. Il n’a pas changé. Aujourd’hui il tourne comme un pied. Comme deux pieds même. Deux pieds dans la même bottine. Un cinéaste a parfaitement le droit de tourner une succession de plans fixes, ce que réussissait à merveille Ozu dans le Japon des années cinquante. Mais tout le monde n’est pas Ozu. Et « Carcasses » n’est pas sans rappeler les diaporamas que les bons pères nous faisaient visionner au collège dans les années soixante. Côté se réclame du formalisme pour justifier son incompétence. C’est de bonne guerre. Tout se justifie. Même une suite de diapositives qui se mord la queue à l’infini. Des petits bizounages audio-visuels comme ça j’en ai vu des centaines dans les galeries d’art avant-gardissssses de Toronto, dans les années soixante-dix. Du filmage de nombril postmodernes, j’en ai vu des kilomètres et des kilomètres dans tous les musées « Canadians » d’Ottawa, de Moose Jaw ou de Medecine Hat. Ça m’endormait il y a quarante ans et ça m’endort plus que jamais.


Mais la critique « smatte » elle, elle aime ça. Ça l’émoustille. Elle se pâme. Elle se répand. Elle en mouille de plaisir. Ça l’excite. Pensez donc, le critique des cahiers de cinéma a beaucoup aimé. Un Français c’est pas rien. Un Parisien en plus. Ça doit être un film génial. Il y a là comme du terrorisme intellectuel qui fait qu’il faut aimer ce film absolument si on ne veut pas passer pour un crétin fini. Personne va voir les films de Côté et pourtant il est célèbre. Il fait le tour du monde, invité dans tous les festivals. Une espèce de mafia des zarts zartistiques qui règne en maître sur le cinéma d’auteur a décrété du haut de sa chaise que Denis Côté était un cinéaste incontournable. Le procédé est simple : on prend un navet qui parle de n’importe quoi , tourné par n’importe qui, n’importe comment et on lui accole l’étiquette de film d’auteur. À partir de là tout devient possible. Plus c’est platte, plus le cinéaste est un grand auteur. Plus on s’ennuie, plus l’auteur est un auteur de génie. Plus on s’endort plus l’auteur est un auteur sur qui il faut désormais compter. Moins y a de monde qui comprend plus le film est un chef-d’œuvre. Et tous ces gens là s’extasient dans les cocktails en tétant leurs crevettes congelées et leurs biscuits soda équitables en compagnie de leurs petits protégés. Et ce joyeux ramassis d’heureux élus s’entre-invitent de festival en festival. Voilà comment on impose une certaine vision de l’art.


Je ne comprends rien à la mode, ni à la branchitude, ni au post-modernisme, ni au modernisme tout seul , ni à la transculture, ni à tout ce qui est pédant, prétentieux et pincé. La bourgeoisie aime bien se donner de petits frissons avant-gardistes dans ses musées vides et ennuyants. Ça dérange rien. C’est parfaitement inoffensif.


En passant la compagnie de production de Denis Côté s’appelle quelque chose comme « Nihilist Productions ». De nihil en latin qui veut dire « rien ». Ya rien là en effet.



Pierre Falardeau


22 commentaires:

JF a dit...

J'adore.

Je n'ai rien vu de Côté, mais le texte s'applique à bien d'autres "auteurs".

Des Falardeau il s'en fait de moins en moins, et pourtant une société équilibrée en a besoin.

J'adore.

JF

Yvan a dit...

Tu espères quoi Antoine,
à part provoquer?

Antoine a dit...

Falardeau est un cinéaste incontournable de la génération précédente et il donne son opinion sans réserve sur le cinéma de Côté. C'est quelque chose d'assez rare et important. Et puis moi provoquer? Rien à côté de ce qui se passe chez ATC en ce moment...

Marc a dit...

Vous l'avez vu vous Carcasse?
Vous en avez penser quoi ?

Yvan a dit...

J'ai mal formulé,
je dois préciser.
C'est pas un peu expéditif
que de simplement
photocopier Falardeau?
M'enfin,sans doute as-tu
voulu informer et c'est
ben correct.

Je suis cependant convaincu
qu'entre la vengeance et
la dithyrambe à propos
de "Carcasses",il existe
des cinéphiles et des
critiques aux propos
plus nuancés et constructifs.

Ce sont ceux-là qu'on
n'entend pas assez à mon
avis.

Falardeau est à son
meilleur dans le socio-
politique,mais il a tendance
à balayer tout ce qui sort
de ce champ d'intérêt.

Quand il écrit:
"Je n'exagère jamais",
il me fait bien rigoler.
S'il exagère jamais,
mettons qu'il beurre épais
par bouts et c'est le cas
ici en dépit de sa prose
colorée.Il jette tout:
le bébé,l'eau,le bain et
toute la plomberie.
Dès lors qu'il annonce
un règlement de comptes,
il se discrédite et c'est
dommage parce qu'il voit
assez juste concernant une
certaine élite et sa vision
de l'art.

J'ai aimé Carcasses
pour sa poésie trash,
sa lenteur contemplative,
le personnage Colmor et
la bande-son.
Le film n'est pas sans
défauts mais il a le
mérite d'avoir été
filmé librement sans
se préoccuper de
rentabilité.
C'est assez rare de nos
jours,en plus de donner
espoir aux jeunes auteurs
en leur disant en filigrane:
oui la liberté existe en art.

Antoine a dit...

@Marc, non je n'ai pas vu Carcasses, j'aurai peut-être le temps d'ici vendredi.

@Yvan, c'est ça, je voulais simplement informer, faire circuler l'article. Tu as vu juste, ça ne me tentait pas de formuler une opinion. De toute façon dire «Falardeau va trop loin» ou «Falardeau exagère», ça servirait à quoi? Tout le monde le sait et il semblerait que ça ne changera pas. Ensuite sur le contenu, je suis plutôt d'accord. Les gens hésitent à dire qu'ils se sont ennuyés devant un film, comme s'ils se disaient «mon dieu, j'ai peut-être manqué quelque chose de profond». Alors on en voit même chercher de la profondeur dans leur ennui. Falardeau lui se révolte contre ça, il s'est ennuyé, il a trouvé que c'était du rien et il le dit à sa façon.

Maintenant toi tu as ressenti autre chose en le voyant, et cette différence de goût, c'est ce qu'on cherche souvent à comprendre, à saisir dans la dimension critique.

Par exemple je me suis ennuyé à mourir en voyant Elle veut le chaos et je n'ai rien vu de profond. Je cherche à comprendre. Mais pas comme Falardeau.

Stephane a dit...

Faut en prendre et en laisser avec Falardeau mais sur ce coup-ci, j'ai envie d'en prendre.

Pas que je n'aime pas Coté (je n'ai pas encore vu Carcasses par contre) mais le ton et la plume assassine de Falardeau me font souvent sourire.

Parce que dans sa vulgarité, il y a un fond de bon sens. Même si il radote un peu et qu'il ne s'enfarge pas dans les politesses, il y a un discours qui vaut la peine d'être entendu, ne serait-ce que pour ne pas oublier son apport considérable à notre cinématographie et à notre mémoire collective.

Malgré tout les faux pas, on ne peut pas lui enlever la culture et sa façon de la partager.

Suzanne a dit...

Tout à fait d'accord avec Falardeau (en voilà au moins un qui a le courage de dire ce qu'il pense!). Et félicitations à toi d'"oser", le publier sur ton site, vu la campagne de peur que le p'tit monsieur aux gros bras semble vouloir faire règner autour de sa personne. Je fais évidemment référence à ce qui s'est passé ce week-end chez ATC. Triste histoire, qui laisse une bien triste image du bonhomme (et d'Hélène aussi), il faut bien l'avouer...

Réal a dit...

Parlant d'ATC...
http://aretetoncinemaetfichenouslapaix.blogspot.com/

Antoine a dit...

Il faut dire qu'en campagne de peur, tu es (ou vous êtes?) pas mal aussi. C'est juste dommage que ça devienne trop personnel et vindicatif dans les attaques. Pour le reste, il ne manque pas de matière à réflexion.

Stephane a dit...

Moi je trouve justement qu'il manque de matière à réflexion.

J'ai survolé, brièvement, et à part du 'Moi je pense' et du 'Moi je préfère' y'a pas grand chose.

Depuis quand c'est mal d'être favorable à ces amis? À ce que je sache, y'a pas juste le cinéma qui fonctionne comme ça. J'ai des rabais au dépanneur parce que le commis me trouve sympathique, j'vois pas pourquoi 'L'Art' avec un gros A serait différente du rapport humain élémentaire.

Mais bon, c'est pas mon genre de débat. Ça crie et ça crache et ensuite ça se plaint quand ça retombe.

J'te comprends de garder une distance Antoine, j'ferais pareil.

Unknown a dit...

Les arguments tordus fusent.

Cinéma Québécois a dit...

Oh misère...Le cinéma, comme la majorité des formes d'art, provoque des réactions très personnelles parfois difficilement explicables. C'est ce type de relation que j'ai face au cinéma de Denis Côté. J'y reconnais une grande liberté qui manque dans tant d'autres films d'ici. J'y vois des espaces qui parlent autant que les personnages. J'y cherche un dépaysement à même mon pays. J'adhère sans complètement savoir pourquoi, le mystère étant l'un des principaux attraits.

Des ÉTATS NORDIQUES à CARCASSES, j'admire la démarche audacieuse et parfois artisanale de Côté.Il emprunte un chemin peu fréquenté ici, explorant des territoires qui peuvent sembler ordinaires pour certains, mais extras pour d'autres.

Falardeau se la joue facile avec le "batte" dans les mains. Son oeuvre à lui est loin d'être sans bavure. Laissons les artistes défricher notre insconscient collectif aux abris des frustrations de clochers.

Anonyme a dit...

Moi non plus je n’ai pas vu Carcasses.

Mais c’est drôle comment on prête facilement des intentions à des créateurs qui assument pleinement leur indépendance et leur liberté.

Et si Denis Côté avait voulu faire quelque chose de différent, d’iconoclaste afin de proposer un nouveau regard sur le réel ? Est-ce que parce que tu sors du cadre tu veux nécessairement jouer à l’artisse imbu de lui-même ?

Des gens aiment s‘abreuver d’une autre source. Il me semble plus important que le créateur respecte sa vision du monde au lieu de multiplier les compromis afin d’être apprécié du plus grand nombre.

Francis a dit...

Mais non, ça ne manque pas de matière à réflexion.

Une enseignante que je connais me racontait les difficultés qu'elle avait eues (elle en était fort surprise) à faire lire "La cantatrice chauve" d'Eugène Ionesco à ses étudiants. "C'est fou combien ils ne comprennent pas l'absurde et comment l'ironie leur passe complètement par-dessus la tête", disait-elle.

Pour ce qui est d'employer des chemins peu fréquentés, il me semble que le recours à l'absurde, ou à l'ironie (celle d'un Falardeau quand il dit "je n'exagère jamais" par exemple), sont en effet si peu fréquentés qu'aussitôt qu'ils se pointent le bout du nez, on parle aussitôt de mauvaise foi. "Absurde" et "Ironie" n'existent plus dans le vocabulaire. Et, inversement, tout ce qu'un "artiste" peut déclarer publiquement est alors relayé sans discernement ni distance. Sa parole fait autorité, et le lecteur est alors réduit à une passivité qui le dispense d'exercer son propre jugement.

Ça rend ce genre de contre-discours d'autant plus important, même s'il lui arrive en effet de manquer à ce point d'étiquette qu'il se tire sa propre balle dans le pied.

Anonyme a dit...

En grande majorité, les gens ont leur langue dans leur bouche. Et quand ils la sortent, c'est pour lécher des choses.

Francis a dit...

Eh bien, cher Troll, si vous pensez bien ce que vous dites, pensez-vous que je pourrais vous inviter à dîner un de ces jours? Êtes vous vraiment une fille?

R-C Bérubé a dit...

D'abord, merci à Antoine de m'avoir permis de prendre connaissance de ce texte que je n'avais pas vu avant. Ensuite, un mot pour dire que je suis essentiellement d'accord avec Falardeau (même s'il est permis - comme d'habitude - d'avoir des réserves sur la manière dont il s'exprime): sur le fond, il a parfaitement raison, et sa voix - l'une des rares à avoir clairement exposé le film de Côté pour ce qu'il est - est plus que jamais nécessaire! Finalement, un mot sur les commentaires de ceux qui m'ont précédés: à Yvan, qui pense qu'Antoine veut provoquer, je serais tenté de dire "Et après?" Pourquoi devrait-on tous aller dans le sens (très suspect) du concensus pro-Côté? Si ces blogues ne servent pas à discuter de ce genre de choses, à quoi peuvent-ils bien servir? Finalement, à Daniel, qui signe "Cinéma Québécois" (quelle prétention!), je ne peux que déplorer la mauvaise foi d'un homme capable d'écrire, et je cite "Falardeau se la joue facile avec le "batte" dans les mains" (Et Côté, tu penses qu'il s'en est privé de la "batte" du temps où il était critique?). Et tu ajoutes "Son oeuvre à lui est loin d'être sans bavure" (Et celle de Côté, tu crois qu'elle est sans bavure, peut-être?)." Comme s'il était suspect d'exprimer une opinion quand on a une tribune pour le faire et qu'on ne devait le faire que si on avait une oeuvre parfaite! N'importe quoi...

André a dit...

Pour ceux que la polémique Côté-ATC intéressent encore, j'attire votre attention sur la réponse - étonnamment posée - d'un lecteur à un édito d'Helen, portant sur la liberté d'expression sur le ouèbe. Assez bien envoyé, imho...
http://www.revue24images.com/articles.php?article=868

Antoine a dit...

En effet, voilà qui est on ne peut plus ironique. Je n'avais lu ni cet éditorial, ni le commentaire. En tout cas, ils n'ont pas censuré ce commentaire puisqu'il doit être approuvé avant d'être publié, je crois.

yanmaneee a dit...

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yanmaneee a dit...

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