Je continue la lecture de Qu’est-ce que le cinéma? d’André Bazin et j’ai été frappé de voir la clairvoyance et la justesse de son analyse de Journal d’un curé de campagne dans laquelle il saisit déjà la vision et la mécanique de Bresson. Au moment où Bazin écrit cet article en 1951, il faut se rappeler que les plus grands films de Bresson sont à venir et que les Notes sur le cinématographe du cinéaste seront publiées beaucoup plus tard.
Voici un extrait de l’article Le «Journal d’un curé de campagne» et la stylistique de Robert Bresson suivis de citations de Notes sur le cinématographe qui, par leur recoupement, confirment la lucidité de Bazin. Frappant.
Bazin dit :
«Car ce n’est pas tant une résonance que l’esprit perçoit qu’un décalage comme celui d’une couleur non superposée au dessin. Et c’est dans la frange que l’événement libère sa signification. C’est parce que le film est tout entier construit sur ce rapport que l’image atteint, surtout vers la fin, à une telle puissance émotionnelle.
On chercherait en vain les principes de sa déchirante beauté dans son seul contenu explicite. Je crois qu’il existe peu de films dont les photographies séparées soient plus décevantes; leur absence fréquente de composition plastique, l’expression guindée et statique des personnages, trahissent absolument leur valeur dans le déroulement du film. Ce n’est pourtant pas au montage qu’elles doivent cet incroyable supplément d’efficacité.
La valeur de l’image ne procède guère de ce qui la précède et la suit. Elle accumule plutôt une énergie statique, comme les lames parallèles d’un condensateur. À partir d’elle, et par rapport à la bande sonore, s’organisent des différences de potentiel esthétique dont la tension devient insoutenable. Ainsi le rapport de l’image et du texte progresse-t-il vers la fin au bénéfice de ce dernier, et c’est très naturellement sous l’exigence d’une impérieuse logique que, dans les dernières secondes, l’image se retire de l’écran. Au point où en est arrivé Bresson l’image ne peut en dire davantage qu’en disparaissant. Le spectateur a été progressivement amené à cette nuit des sens dont la seule expression possible est la lumière sur l’écran blanc».
Bresson dit :
-Il faut qu’une image se transforme au contact d’autres images comme une couleur au contact d’autres couleurs. Un bleu n’est pas le même bleu à côté d’un vert, d’un jaune, d’un rouge. Pas d’art sans transformation.
-Film de cinématographe où les images, comme les mots du dictionnaire, n’ont de pouvoir et de valeur que par leurs position et relation.
-Si une image, regardée à part, exprime nettement quelques chose, si elle comporte une interprétation, elle ne se transformera pas au contact d’autres images. Les autres images n’auront aucun pouvoir sur elle, et elle n’aura aucun pouvoir sur les autres images. Ni action, ni réaction. Elle est définitive et inutilisable dans le système du cinématographe. (Un système ne règle pas tout. Il est une amorce à quelque chose.)
-M’appliquer à des images insignifiantes (non signifiantes).
-Aplatir mes images (comme avec un fer à repasser), sans les atténuer.
-Plus grande est la réussite, plus elle frise le ratage (comme un chef-d’œuvre de peinture frise le chromo).
-Pouvoir qu’ont tes images (aplaties) d’être autres que ce qu’elles sont. La même image amenée par dix chemins différents sera dix fois une image différente.
[Et terminons par celle-là même s’il y en a bien d’autres]
-Démonter et remonter jusqu’à l’intensité.
1 commentaire:
Bresson n'aurait-il pas pu lire ces extraits de Bazin? ;)
Par contre, cela prouve qu'il faut accroître notre reconnaissance envers les réflexions d'André Bazin.
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