jeudi, août 03, 2006

Le cinéma d'auteur selon Érik Canuel

Dans le cadre de la promotion à 2 millions de dollars orchestrée par Alliance Atlantis Vivafilm et visant à faire connaître le film Bon Cop, Bad Cop, j'ai interviewé le réalisateur Érik Canuel pour Canoë. Le résultat officiel de cette entrevue est publié ici sur Canoë.

Il y a une question que j'ai posée pour mon propre plaisir et qui n'apparaît pas sur Canoë. Elle n'y apparaît pas tout d'abord parce que c'était un peu hors sujet par rapport à Bon Cop, Bad Cop, mais surtout parce que, sans le savoir, j'étais mal préparé. La question était «Vous avez déjà dit que vous faisiez des «films d'auteur-commerciaux». Qu'entendez-vous par là?»

Lors de ma recherche sur Érik Canuel, j'ai trouvé un article du Voir où Séverine Kandelman semblait avoir «brassé la cage» au réalisateur lors d'une entrevue sur Nez Rouge, si l'on se fie au type de réponses qu'il lui a donné. Par exemple, on y retrouvait ce paragraphe:

Le réalisateur Érik Canuel nous offre une comédie romantique qui ne fait pas dans le grand Art, mais dans le divertissement sympathique. "Autant j'ai un sens développé comme artiste, c'est-à-dire que je veux être intègre vis-à-vis de mon art, autant j'ai un côté commercial qui comprend que le cinéma, c'est aussi une business. Quand tu fais un film, tu veux qu'il se vende et que les gens le voient. Je fais donc un cinéma qui est divertissant... parce que je veux que tout le monde vienne. De l'intellectuel au mineur, au livreur de bière, ce sont tous des gens qui comptent pour moi. Si mes messages sont d'ordre émotif, sociétal, tout le monde va les comprendre. T'as du plaisir, t'as pleuré, ça t'a donné le goût de rêver, c'est ça qui compte. La culture n'appartient pas à l'élite... mais qu'on s'entende: le cinéma populaire, ça ne veut pas dire que tu nivelles par le bas. Je suis un cinéaste qui fait des films d'auteur commerciaux."

Remarquez cette dernière phrase «Je suis un cinéaste qui fait des films d'auteur commerciaux». Mais qu'est-ce que ça veut dire? Je n'ai pu m'empêcher de lui poser la question.

Je ne m'en cache pas, je n'ai pas étudié en cinéma, mais plutôt en histoire. J'ai donc étudié les origines de la première et de la deuxième Révolution industrielle plutôt que de me demander ce qu'est vraiment la définition de cinéma d'auteur. Et cela paraît dans mes sous-questions. Cependant, j'ai appris par cette entrevue. Je pensais savoir précisément ce qu'était la définition du cinéma d'auteur alors que ce n'est qu'une idée floue qui nécessite des précisions. Posez-vous la question et tentez d'y répondre «Quel est le cinéma d'auteur?» Pas évident.

Justement -drôle de coïncidence- un nouvel article vient de paraître sur le site de Cadrage.net et qui s'intitule «Qu'est-ce que l'auteurisme (30 après la Nouvelle Vague)?»

Voici l'extrait d'entrevue

Antoine Godin: -Vous avez déjà dit que vous faisiez des «films d'auteur-commerciaux». Qu'entendez-vous par là?

Érik Canuel: -Moi le terme cinéma d'auteur, je le mets avec un grand «H». C'est de se prendre pour un autre que de se considérer un auteur. Tous les cinéastes sont des auteurs.

AG: -Mais est-ce que ça ne renvoie pas plus à quelqu'un qui écrit son scénario?

ÉK: -Non. Sais-tu d'où vient le terme cinéma d'auteur? André Bazin, Cahiers du cinéma, sais-tu à qui il l'a donné? Premier qui a été nommé cinéma d'auteur: Alfred Hitchock. Il n'a jamais écrit un film. Ça a été approprié par les intellos qui voulait se considérer...

AG: -Un cinéma d'auteur, souvent par exemple, Robert Morin c'est vraiment son univers direct qu'on voit. Toi c'est ton univers qu'on va voir, comme dans la Loi du Cochon, mais moins direct...

ÉK: -Comme dans tous mes films.

AG: -Peut-être moins dans Le Survenant quand même...

ÉK: -Non.

AG: -C'est quand même un autre univers, une autre époque, ça ne renvoie pas directement à ta vie.

ÉK: -Attention, c'est pas la même chose. C'est ça l'affaire. Que tu sois auteur d'un scénario c'est un. Ça veut pas dire que t'es l'auteur du film. C'est pas parce que c'est ton univers direct que tu es un auteur. Je veux dire, Dali est-il moins un auteur parce que c'est pas son univers direct? Il a créé un univers qui lui appartient. Picasso. Regarde tout le début de Picasso. Ça n'a rien à voir avec ce qu'il a fait par la suite. Il a fait un choix à un moment donné. Est-ce que ce qu'il a fait avant il en est moins l'auteur? Sa période bleue n'a rien à voir avec sa période d'affaires toutes croches. Est-il moins l'auteur de l'un parce qu'il a décidé de consacrer le reste de sa vie à faire ça? Non. Ce sont des choix.

Ridley Scott est-il moins un cinéaste d'auteur? Il a une signature dans tous ces chriss de films.
Spielberg est-il moins un auteur? Il y a une signature spielbergienne dans tous ses films. Tu comprends. À un moment donné, c'est d'attribuer une lettre de noblesse qui est inexistante.
Robert Morin fait un cinéma, propre à lui, qui est très efficace par moment, beaucoup moins par d'autres, il n'est pas plus auteur que Spielberg peut l'être, ou que Tim Buron peut l'être ou que n'importe quel autre. Tout le monde est auteur de ses films.

Est-ce que c'est un bon auteur ou un mauvais auteur? Ça, ça reste à voir. Est-ce que c'est un bon cinéaste ou un faiseur d'images?

Je m'amuse souvent à dire «il y a énormément de réalisateur qui ne connaissent que 2 voyelles et 10 consonnes». Tu leur demanderais d'écrire un roman de ce qu'ils connaissent du langage cinématographique, il y aurait 2 voyelles et 10 consonnes. Ils ne connaissent pas leur médium.

Ils savent écrire un scénario et puis ils savent mettre un kodak devant lequel le monde joue.
Est-ce des auteurs? C'est des auteurs de scénario qui savent diriger des acteurs et puis qui s'arrangent pour capturer ça sur peloche. Mais souvent ce sont des pièces de théâtre sur pellicule, ce ne sont pas des films. Un film c'est un langage.

Maintenant, c'est une vision un peu arbitraire, je pense qu'il faut embrasser tout ce qui se fait et se dire «tous les cinémas sont du cinéma d'auteur». Il y a des gens qui disent sensiblement la même chose over and over dans le même style, dans la même ligne. Il y en a d'autres qui essaient d'explorer à chaque fois. Je veux dire, tu regardes ce qu'Orson Welles a fait, il n'a jamais fait rien d'aussi percutant - à part peut-être Touch of Evil, Lady of Shanghai- que Citizen Kane. Ça reste le point marquant, il a réinventé le cinéma avec ça. Lui-même l'a dit, il a copié sur tous les cinéastes avant lui et il a tout mis ça dans un film. C'est aléatoire tu sais.

Alors le terme «auteur» pour moi, quand on dit «cinéma d'auteur», quand j'entends certains cinéastes ou certains réalistateurs de films d'auteur se prétendre des auteurs et dirent qu'ils écrivent des scénarios... Oui, regarde, tu écris ton scénario. Il y a ben des gars qui écrivent leur scénario et qui devraient pas shooter de films parce que, chriss, ils ne savent pas shooter. Et puis il y a bien des cinéastes qui ne devraient pas écrire leur scénario parce qu'il ne savent pas écrire. Ils écrivent et ce n'est pas intéressant, mais ils ont un hostie de talent derrière le kodak par exemple. Je pense qu'il faut attribuer à tous les niveaux et dire que le cinéma de Robert Morin est le cinéma de Robert Morin et que ce n'est pas un cinéma d'auteur plus qu'un autre.

AG: -Ok, donc «films d'auteur-commerciaux» c'est un peu un genre de pied-de-nez?

ÉK: -Ben oui, ben oui, ben oui. C'est de s'amuser. Il y a certains films qui trompent la vigilance et qui deviennent des hosties de blockbusters qui sont pas supposés l'être, tout à coup ce sont des succès commerciaux. Va-t-on les amoindrir parce que ce sont des succès commerciaux? Non. C'est toujours un film extrêmement pointu qui a marché. Il y a des films qui sont faits pour être des succès commerciaux et qui se plantent hostie ça n'a pas de bon sang!

AG: -Comme Les dangereux.

ÉK: -Voilà. Il n'y a pas de recette.

2 commentaires:

Benjamin a dit...

J'ai lu l'entrevue. Félicitations, c'est bien fait. Lache pas!

Steven Painchaud a dit...

wow... illumination dans ma tête!