vendredi, septembre 08, 2006

Notre cinéma conformiste et plate

Environ un siècle après le passage de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du surréalisme, du dadaïsme et des autres ismes qui secouèrent à leur façon les assises des écoles conservatrices dans les diverses formes artistiques, je m'étonne toujours de voir la trop grande place qu'occupe le réalisme dans les films grand public. Pourquoi n'avons-nous pas évolué davantage dans notre façon de représenter le réel? Est-ce la faute des scénaristes? Des réalisateurs? Des studios? Du public? Le phénomène social échappe-t-il à la volonté des individus? Pourtant notre bagage culturel et nos moyens technologiques nous permettraient de créer un langage cinématographique beaucoup plus riche et probablement beaucoup plus juste pour exprimer notre «réalité».

Je m'étonne parce que dans presque toutes les formes d'art que nous connaissons en Occident, les artistes ont tous fini par représenter leur réalité «de l'intérieur». Toutes sauf celle du cinéma. Vous remarquerez que la plupart du temps, on suit des personnages «de l'extérieur» dans une histoire chronologique ou presque. Tout ça n'a rien à voir, mais absolument rien à voir, avec votre réalité à vous et à moi. Même si nous sommes soumis physiquement au temps et à la durée (de notre corps), notre réalité est d'abord mentale, psychologique, nerveuse, d'un mouvement perpétuel et circulaire entre l'intérieur ET l'extérieur. Dans une conversation à quatre, debout dans un hall public, rien n'est chronologique et l'utilisation du fameux champ/contre-champ n'est qu'un vieux réflexe primitif pour la représenter. La discussion part dans tous les sens, tantôt vous écouter attentivement, tantôt vous êtes distrait «tiens, une belle fille. Ses souliers sont un peu laids par contre. Ça me fait penser que je dois en acheter une nouvelle paire. Si je peux recevoir ce foutu chèque. Qu'est-ce qu'il me disait déjà lui. Ah oui.»

Un autre exemple. On enferme une personne dans une pièce vide sans fenêtre pour une période de deux heures. Que serait un film réaliste? Braquer une, deux, trois ou quatre caméras sur la personne pour filmer sa réaction? Ce serait d'un ennui mortel. Pourtant, la personne qui est enfermé là vivra peut-être les deux heures les plus intenses de sa vie: émotivement, psychologiquement et mentalement. Que vit la personne en «réalité»? Elle cherchera des explications, elle aura peut-être d'innombrables hypothèses et solutions, de la rage contre des personnes, des souvenirs douloureux, le désir d'être ailleurs dans un endroit précis, etc. Toutes ces idées et ces émotions se produiront de façon désordonnée, nerveuse, la pensée revenant parfois aux mêmes hypothèses et aux mêmes solutions cycliques. Le vrai défi des cinéastes de demain, c'est de sortir des petits patterns bien établis (par exemple le flash-back explicatif). Le mélange des genres à la Tarentino, c'est bien beau, c'est sanglant et drôle à la fois et ça «flash» esthétiquement, mais ça n'apporte rien de neuf. Des combats au ralenti à la Matrice, une très belle trouvaille technique mais qui se rapproche en quoi de notre réalité psychologique? En rien.

Loin de moi l'espoir de voir un jour le cinéma devenir à l'image des films de Stan Brakhage, mais je pense que le succès de films comme Being John Malkovich et Eternal Sunshine of the Spotless Mind laisse entrevoir une forme d'évolution vers un cinéma différent.

Alors que j'attendais impatiemment de sortir de l'hôpital Ste-Justine où les médecins trouvaient des maux inexistants à mon fiston et au gré de mes nombreuses lectures cumulées pendant ce qui s'avéra 6 jours d'attente institutionnelle, j'ai lu deux articles qui rejoignent ces préoccupations concernant le réalisme. Voici donc deux extraits que je veux partager avec vous. L'un est tiré d'un entretien du 24 Images avec Zbigniew Rybczynski et l'autre est un entretien complet des Cahiers avec Takeshi Kitano (dans le prochain billet). Lorsque j'ai vu l'analyse que fait Rybczynski des peintures du Moyen Âge et les leçons qu'il en tire, j'ai tout de suite été d'accord, et je ne vois plus l'art de cette époque de la même façon.

24 Images No 127

Qui a peur de la technologie?

C'est l'idée même de la réalité qui sera ainsi transformée.

L'idée du réalisme, du moins. J'ai la conviction que les gens regarderont bientôt les films prétendument réalistes d'aujourd'hui avec un sourire moqueur, s'amusant de notre naïveté, cela parce qu'il sera bientôt possible de concrétiser, de visualiser une image qui sera plus proche de celle qui existe dans notre tête, dans notre imagination. Nous n'arrivons pas encore à bien décrire cette image parce que nous n'avons pas le langage visuel pour l'exprimer, mais nous le pressentons. Nous sommes actuellement en train de lui donner une forme grâce aux progrès techniques. La perspective d'accéder à ces images mentales est extrêmement stimulante.

Je ne crois pas avoir directement répondu à votre question de tout à l'heure, mais j'ai l'impression que nous allons dans la direction que vous vouliez emprunter.

Tout à fait. De toute façon, vos propos nous permettent de déduire votre réponse à la question. J'aimerais cependant que vous élaboriez sur le concept d'image mentale.

Prenons New York, Manhattan. Si vous arrivez au coeur de la ville, en moins de deux secondes vous sentez les masses autour de vous, vous vous faites une idée claire de votre environnement et se dessine dans votre tête une sorte de carte de la ville avec vous au milieu, tout petit mais important à la fois. Je crois qu'il n'y a aucun moyen, avec une caméra, de traduire efficacement cette image mentale. Il n'y a pas un point de vue qui permette de le faire. Or, avant l'apparition des lentilles, dans les peintures de la fin du Moyen Âge par exemple, il est intéressant de constater que les artistes ont essayé de capter de telles images. Ce sont des images dans lesquelles se fondent un ou des individus, un espace géographique, des idées, des événements qui se sont produits à des moments divers. Tout cela a plus ou moins disparu avec l'invention de la perspective.

Je suis d'avis que ces images dites primitives expriment davantage la réalité psychologique que ce que peuvent offrir, par exemple, les représentations photographiques. Il y a une forme de régression découlant de ce qu'on pourrait appeler la dictature du regard. Ce qui n'est pas étonnant car toutes les découvertes, toutes les technologies provoquent d'abord une part de régression, souvent de manière incidente.

Si vous prenez une émission de télévision datant de la fin des années 1960, vous remarquerez d'abord la lenteur du montage. En publicité, à cette époque, un plan durait au minimum cinq secondes. À la fin des années 1980, on voyait des plans d'une seconde en publicité. Aujourd'hui, il n'est pas rare d'en voir qui durent 1/6e de seconde. Ce changement est lié à l'évolution technologique- le montage numérique permet de travailler ainsi -, mais il est aussi lié au fait que les spectateurs réagissent positivement à cette vitesse. Pourquoi? Peut-être parce que cela correspond davantage au fonctionnement cérébral, qui nous fait voyager dans le temps, dans l'espace, dans divers niveaux de réalité. Je crois que le surréel est plus conforme à notre mode de pensée que l'idée naturaliste qui tend à dominer encore aujourd'nui. Des associations d'images, des images qui étaient inacceptables il y a tout juste vingt ans deviennent aujourd'hui la norme. Je le répète, cela a à voir avec le fait que les gens sont en mesure de sentir que ces représentation sont proches d'eux. Ce que nous découvrons peu à peu est quelques chose qui est à l'intérieur de nous.

7 commentaires:

Anonyme a dit...

Salut Antoine! Content de voir que tu as laissé Ste-Justine derrière toi pour en tirer le meilleur: de l'inspiration pour tes réflexions sur le cinéma... Mais à quand tes expériences cinématographiques? Tu m'avais parlé de ça lorsque tu avais fait ton film « coffee's ready », tu pourrais sûrement exploiter cela ou trouver des manières de l'exploiter mieux. Le cinéma n'est pas QUE des images, ou bien il faut repenser, comme tu dis, notre rapport à l'image, travailler sur les associations images-idées-émotions... As-tu lu le Joueur d'échec de Stefan Zweig? Un film allemand l'avait mis à l'écran, mais je me rappelle pas bien comment ils avaient mis en images la folie intérieure du prisonnier...

Antoine a dit...

J'ai recommencé à travailler sur mon long projet de vidéo, mais je ne m'attends pas à révolutionner le cinéma avec mes petites expériences. Comme on dit en Chinois, il y a des gens plus «lourds» et de talent qui devraient s'y mettre ou qui y sont déjà et qui finiront par avoir une influence. Kitano en est un exemple. Et il dit que tout le monde s'en fout... Au moins il essaie.

Je n'ai jamais entendu parlé du Joueur d'échec, mais je prends ça en note.

Anonyme a dit...

va voir là pour le film...
http://www.imdb.com/title/tt0054272/

pour la nouvelle, l'auteur est Stefan Zweig.

Yvan a dit...

La dernière frontière au cinéma ne serait-elle pas la possibilité de filmer directement nos rêveries éveillées et endormies, que l'on pourrait ensuite "monter" à notre guise?

Le cinéma au contraire de la musique, suggère absolument tout et ne laisse plus de place à l'imagination, c'est véritablement une dictature du regard personnel d'un individu.
Les plans de 1\16e de seconde et les montages hyper-nerveux sont à mon avis une arme à deux tranchants: Ils nous envoûtent dans un cas talentueux; ou nous assomment et nous font décrocher dans le cas contraire d'un sans-génie.

Je n'ai vu qu'un seul film de Kitano: "Zatoichi, le samouraï"
Ce fut une de mes "top" expériences cinématographiques cette année-là.
Des fusions musique-image hallucinantes, un peu comme Lars Von Trier l'a fait dans "Dancer in the Dark" en utilisant les bruits ambiants pour en faire une musique.Et ce n'est qu'un aspect de ce film magistral.

Anonyme a dit...

Tres bel article! Moi tout pareil! Nous sommes au moins deux. Je vous salue bien bas.

Dr Devo.

yanmaneee a dit...

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sleney a dit...

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