Guy L. Coté, Henri Langlois et Serge Losique |
En avril dernier, Serge Losique a publié dans CTVM.info un important témoignage qui selon moi aurait dû se retrouver dans La Presse ou Le Devoir. Au moins quelques échos... En tout cas, ce témoignage montre que si quelque historien devait s'intéresser à l'histoire de la Cinémathèque, le nom de Serge Losique devrait être incontournable. Finalement on le connait assez peu, j'aimerais bien en savoir davantage sur ses études à Paris et consulter quelques documents, notamment sa correspondance avec Henri Langlois et les papiers officiels de la fondation de "sa" cinémathèque canadienne. En attendant ce travail, ce témoignage remet un peu les choses en perspective. Dommage qu'il ait dû faire chemin à part du Festival des années 60 et de la Cinémathèque. Dans un petit pays comme le Québec, ce ne fut certainement pas à notre plus grand avantage de vivre dans la division des forces.
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"Cette année, la
Cinémathèque québécoise fête son 50e anniversaire et je lui souhaite le plus
grand bien. Je ne cherche aucune polémique, mais je me dois d’apporter des
preuves factuelles de sa naissance. Si la direction de la Cinémathèque
québécoise de 1971 n’avait pas transformé son historique à la soviétique (comme
si je n’avais jamais existé!), je n’aurais pas eu à faire cette mise au point.
En voici les faits :
1. En tant que professeur en 1960-61, j’ai demandé et obtenu des locaux de Sir George Williams (Concordia) pour le dépôt de films (fournis par la Cinémathèque française) pour mon cours en cinéma et pour la Cinémathèque Canadienne (que j’ai fondée en novembre 1961). Le cours de cinéma a été crédité en 1962. Ce fut le premier cours de cinéma « crédité » dans une université canadienne. J’ajoute que, pour des raisons familiales, j’aurais voulu, en 1960, donner ce cours à l’Université de Montréal, mais le doyen Sideleau (cousin de ma belle-mère) m’avait montré la porte en hurlant : « Tu peux avoir honte de vouloir amener des femmes nues dans ma classe. Dehors! » Ensuite, j’ai convaincu les protestants de Sir George Williams que le cinéma est un art… La même année (1960), Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, m’a fait nommer comme son ``représentant et correspondant` au Canada. Notre amitié s’est forgée lorsque j’étais étudiant à Paris.
En voici les faits :
1. En tant que professeur en 1960-61, j’ai demandé et obtenu des locaux de Sir George Williams (Concordia) pour le dépôt de films (fournis par la Cinémathèque française) pour mon cours en cinéma et pour la Cinémathèque Canadienne (que j’ai fondée en novembre 1961). Le cours de cinéma a été crédité en 1962. Ce fut le premier cours de cinéma « crédité » dans une université canadienne. J’ajoute que, pour des raisons familiales, j’aurais voulu, en 1960, donner ce cours à l’Université de Montréal, mais le doyen Sideleau (cousin de ma belle-mère) m’avait montré la porte en hurlant : « Tu peux avoir honte de vouloir amener des femmes nues dans ma classe. Dehors! » Ensuite, j’ai convaincu les protestants de Sir George Williams que le cinéma est un art… La même année (1960), Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, m’a fait nommer comme son ``représentant et correspondant` au Canada. Notre amitié s’est forgée lorsque j’étais étudiant à Paris.
2. Fortement encouragé depuis deux ans par mon ami Henri Langlois (il voulait voir des cinémathèques partout), j’ai élargi le conseil d’administration de la Cinémathèque Canadienne, à l’automne 1962, et j’ai signé les accords avec la Cinémathèque française (lettre d’Henri Langlois du 28 octobre 1962). Comme il se devait, j’ai fait part de cette affaire au ministre des Affaires culturelles du Québec. Mon fidèle bras droit et collaborateur, Jean Billard, amena d’autres personnalités au conseil (Guy Joussemet, Arthur Lamothe, Pierre Castonguay, Victor Désy…).
3. En janvier 1963, j’ai appris que Guy L. Coté de l’ONF se préparait à organiser une autre cinémathèque sous le nom de « Connaissance du Cinéma ». Il a enregistré ce nom le 16 avril 1963. Je trouvais qu’à l’époque, il n’y avait pas de place pour deux cinémathèques à Montréal : le Québec sortait à peine de la noirceur clérico-duplessiste et du «Tibet du catholicisme » (dixit archevêque de Paris). Comme il n’avait pas accès aux films de la Cinémathèque française, il fallait obtenir des films d’autres cinémathèques pour ses activités, Guy Coté a effectué des démarches auprès de la FIAF (Fédération Internationale des Archives du Film) pour être reconnu comme une cinémathèque, mais sans succès, car il n’avait pas de dépôt de films. La FIAF reconnaissait à l’époque le Canadian Film Institute comme une cinémathèque qui existait depuis 1935.
4. L’occasion se présenta lorsque la France annonça son Exposition pour octobre 1963. Guy Coté s’est alors adressé à l’ambassade de France à Ottawa pour offrir ses services dans l’organisation de la « Semaine Jean Renoir ». Mais comme personne d’autre que Langlois n’avait les films de Jean Renoir, la demande a abouti sur le bureau de ce dernier. D’abord, Langlois ne voulait pas collaborer avec Guy Coté, qu’il qualifiait de « jésuite » et auquel il ne faisait pas « confiance ». Jean Billard connaissait bien cette méfiance. Guy Coté, sachant qu’il n’avait pas d’atomes crochus avec Langlois, s’est assuré la `collaboration` d’un membre de la Cinémathèque canadienne pour démontrer à Langlois que la Cinémathèque canadienne est pleinement impliquée dans l’organisation de la Semaine Jean Renoir. Ensuite Guy s’est adressé à moi pour pour que j’approche Langlois. J’avais promis la présence d’Henri Langlois, avec les films, à Montréal, à condition qu’on discute de la fusion entre la Cinémathèque Canadienne et Connaissance du Cinéma (j’avais déjà fait cette proposition à Guy Coté lors de notre première rencontre en mai 1963 mais il l’a refusée). Assuré de la promesse de Guy Coté, j’ai expliqué à Langlois que ce serait la meilleure façon de manifester publiquement son engagement envers la Cinémathèque Canadienne. Finalement, on a établi une stratégie commune. Sans cet accord entre nous deux, Henri Langlois ne serait pas venu à Montréal cette année-là.
5. Henri
Langlois est venu en octobre 1963 pour « la rétrospective Jean Renoir » et fut
salué par les médias comme un véritable « Messie du cinéma ».
6. Pendant le
déroulement de la rétrospective Jean Renoir, la Cinémathèque Canadienne et
Connaissance du Cinéma ont négocié de la fusion dans la suite d’Henri Langlois
à l’hôtel Windsor. Après plusieurs jours de discussions, et pour démontrer ma
bonne foi, j’ai offert la présidence de la Cinémathèque Canadienne à Guy Coté
et j’ai gardé la vice-présidence ; Connaissance du Cinéma fut éliminée au
profit de la Cinémathèque Canadienne. C’est la meilleure preuve que Langlois
est venu à Montréal pour la Cinémathèque Canadienne et non pas pour
Connaissance du cinéma. Cela prouve aussi que la Cinémathèque canadienne
existait bien avant 1963 et que son nom n’a pas soudainement surgi du désert saharien.
7. C’est ainsi
que Connaissance du Cinéma est mort-née en octobre 1963, et que la Cinémathèque
Canadienne fut considérée comme seule véritable cinémathèque au Québec.
8. On n’avait
pas de problèmes particuliers à la Cinémathèque Canadienne jusqu’en 1964 au
moment où j’ai appris par Langlois que Guy Coté avait effectué des démarches
secrètes pour devenir membre de la FIAF (Fédération Internationale des Archives
du Film) sans m’en parler auparavant. J’ai passé des jours et des nuits à
essayer de l’en dissuader car « nous ne pouvions pas trahir notre père qui nous
a aidé à exister, ni nous couper des trésors de la Cinémathèque française,
notre alliée naturelle ». Quand j’ai compris que Guy Coté avait fait son lit
avec le Belge Jacques Ledoux (secrétaire général de la FIAF à partir de 1961 et
ennemi juré d’Henri Langlois) et le Polonais Jerzy Toeplitz, je n’avais pas
d’autre choix que de démissionner. Jean Billard m’a suivi. C’était pour moi une
question d’honneur et de fidélité à un homme génial qui a marqué l’histoire du
cinéma ainsi que mon propre cheminement dans le cinéma. Rappelons, pour
l’histoire, que la FIAF a été fondée par Henri Langlois en 1938. Il en a été le
secrétaire général jusqu’en 1960. Il l’a quittée parce que certaines
cinémathèques (surtout des pays communistes) faisaient des contre-typages de
films (scandale autour des films de Charlie Chaplin et d’autres). Henri
Langlois les accusait de piratage. C’était donc la guerre ouverte entre
Langlois et la FIAF. Avec sa démarche, Guy Coté a offert une belle aubaine à Ledoux-Toeplitz
pour narguer Langlois sur son propre terrain au Canada! La rupture fut
consommée à jamais entre Guy Coté et Henri Langlois (la lettre d’Henri Langlois
à Guy Coté datée du 16 juillet 1964 est très virulente).
9. Pour ne pas pénaliser le public pendant cette rupture (dont je n’étais pour rien), j’ai présenté des rétrospectives et des films à Montréal en dehors de la Cinémathèque, car j’avais accès aux trésors des trois plus grandes cinémathèques du monde : la Cinémathèque française, la George Eastman House de Rochester et la Japan Film Library de Tokyo. Afin d’éviter les bagarres légales à la Cinémathèque Canadienne, en été 1966, j’ai fondé une nouvelle cinémathèque, le Conservatoire d’Art Cinématographique de Montréal (CACM), à l’université Sir George Williams (Concordia) où Henri Langlois a enseigné de 1968 à 1971 (après la fameuse affaire Langlois-Malraux de 1968), ainsi que Jean-Luc Godard de 1978 à 1980. Ces deux sommités du cinéma m’ont aidé à façonner l’image de Montréal à travers le monde comme la « Mecque du cinéma en Amérique du Nord ». Les plus beaux livres de l’histoire du cinéma ont été écrits au Conservatoire grâce à Godard (« Histoire(s) du cinéma ») et à Langlois (« Henri Langlois : premier citoyen du cinéma »). C’est le Conservatoire qui, par la fréquentation des cinéphiles, fut la cinémathèque la plus populaire du Québec des années 1960, 1970, 1980 et 1990. C’est à ce même Conservatoire que j’ai présenté pendant trente ans un nombre incalculable de films, de rétrospectives, de différents festivals et fait venir à Montréal les plus grands cinéastes.
10. Le nom de la Cinémathèque canadienne fut en usage jusqu’en 1971; on le remplaça alors par celui de la Cinémathèque québécoise.
11. Malgré tous les mensonges qu’on a forgés et propagés à mon endroit pendant plusieurs décennies, c’est la première fois que je m’explique sur les origines de la Cinémathèque québécoise. Comme les droits moraux sur la création de la Cinémathèque Canadienne m’appartiennent, je ne remets pas en question son 50e anniversaire qui devrait coïncider avec la Rétrospective Jean Renoir et l’absorption de Connaissance du cinéma par la Cinémathèque Canadienne (octobre 1963). Le bébé n’était pas né le 16 avril 1963, alors il faudrait tenir compte de la naissance de la Cinémathèque Canadienne en 1961. Finalement, je signale au public (ce qui a déjà été fait par la Cinémathèque québécoise il y a deux ans) que je suis le plus important dépositaire de films à la Cinémathèque québécoise. Je suis aussi son grand défenseur. Les pouvoirs publics doivent traiter la Cinémathèque québécoise comme ils traitent la Bibliothèque nationale, car c’est à travers la Cinémathèque, ce « cimetière des vivants » (dixit Langlois), que notre mémoire collective sera sauvegardée.
9. Pour ne pas pénaliser le public pendant cette rupture (dont je n’étais pour rien), j’ai présenté des rétrospectives et des films à Montréal en dehors de la Cinémathèque, car j’avais accès aux trésors des trois plus grandes cinémathèques du monde : la Cinémathèque française, la George Eastman House de Rochester et la Japan Film Library de Tokyo. Afin d’éviter les bagarres légales à la Cinémathèque Canadienne, en été 1966, j’ai fondé une nouvelle cinémathèque, le Conservatoire d’Art Cinématographique de Montréal (CACM), à l’université Sir George Williams (Concordia) où Henri Langlois a enseigné de 1968 à 1971 (après la fameuse affaire Langlois-Malraux de 1968), ainsi que Jean-Luc Godard de 1978 à 1980. Ces deux sommités du cinéma m’ont aidé à façonner l’image de Montréal à travers le monde comme la « Mecque du cinéma en Amérique du Nord ». Les plus beaux livres de l’histoire du cinéma ont été écrits au Conservatoire grâce à Godard (« Histoire(s) du cinéma ») et à Langlois (« Henri Langlois : premier citoyen du cinéma »). C’est le Conservatoire qui, par la fréquentation des cinéphiles, fut la cinémathèque la plus populaire du Québec des années 1960, 1970, 1980 et 1990. C’est à ce même Conservatoire que j’ai présenté pendant trente ans un nombre incalculable de films, de rétrospectives, de différents festivals et fait venir à Montréal les plus grands cinéastes.
10. Le nom de la Cinémathèque canadienne fut en usage jusqu’en 1971; on le remplaça alors par celui de la Cinémathèque québécoise.
11. Malgré tous les mensonges qu’on a forgés et propagés à mon endroit pendant plusieurs décennies, c’est la première fois que je m’explique sur les origines de la Cinémathèque québécoise. Comme les droits moraux sur la création de la Cinémathèque Canadienne m’appartiennent, je ne remets pas en question son 50e anniversaire qui devrait coïncider avec la Rétrospective Jean Renoir et l’absorption de Connaissance du cinéma par la Cinémathèque Canadienne (octobre 1963). Le bébé n’était pas né le 16 avril 1963, alors il faudrait tenir compte de la naissance de la Cinémathèque Canadienne en 1961. Finalement, je signale au public (ce qui a déjà été fait par la Cinémathèque québécoise il y a deux ans) que je suis le plus important dépositaire de films à la Cinémathèque québécoise. Je suis aussi son grand défenseur. Les pouvoirs publics doivent traiter la Cinémathèque québécoise comme ils traitent la Bibliothèque nationale, car c’est à travers la Cinémathèque, ce « cimetière des vivants » (dixit Langlois), que notre mémoire collective sera sauvegardée.
Serge Losique
13 avril 2013"
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